C'est indéniable. La crise sanitaire ayant sévi depuis pratiquement quatre mois a bouleversé tous les codes et rouvert des plaies que l'on croyait pouvoir cicatriser. Protectionnisme, relocalisation, chacun pour soi… autant de concepts galvaudés dans tous les discours et stratégies. La crise sanitaire ayant surgi au cours des derniers mois a fait réveiller de vieux démons. Un pays comme l'Hexagone n'a pas caché son ambition de relocaliser certaines activités notamment la santé et l'automobile. Le leitmotiv est de freiner le processus de désindustrialisation qui s'est déclenché ces dernières années. Etant le premier partenaire économique, le Maroc, à l'instar d'autres pays africains, ne serait pas épargné des conséquences de cette prise de décision. Toutefois, les économistes les plus érudits rassurent et annoncent qu'un tel processus s'étale sur des années durant. Mais ceci n'est pas une raison pour que le Maroc dorme sur ses lauriers. Nombreux sont les économistes qui considèrent que le Maroc présente un potentiel de relocalisation pour l'Europe et ce grâce à ses écosystèmes industriels novateurs et performants. Ce potentiel peut permettre de "rapprocher certaines chaînes d'approvisionnement venues de la Chine au Vieux Continent, à travers la captation par le Royaume d'investissements industriels chinois", a expliqué M. Fassi Fihri qui s'exprimait lors d'un webinaire tenu récemment à l'initiative de l'Institut Amadeus sous le thème « le commerce international dans un monde post-Covid-19 ». Dans la foulée, il a tenu à rappeler que le "Maroc s'impose comme un acteur économique et industriel de premier plan sur son continent d'appartenance et peut de fait, favoriser la création de chaînes de valeurs afro-africaines qui pourraient elles-mêmes s'arrimer aux chaînes de valeur mondiales". Bien évidemment cette crise sanitaire a mis en exergue l'importance des zones économiques pour faire jouer les effets de synergie et faire front commun face aux défis. Comme l'a si bien dit Abdou Diop Managing Partner de Mazars Audit & Conseil dans une interview accordée à Ecoactu.ma : « la Zlecaf est une opportunité pour les pays africains de trouver de nouveaux débouchés et favoriser le commerce intra-africain et développer des chaînes de valeur régionales. Des pays comme l'Afrique du Sud, de la Côte d'Ivoire ou du Ghana qui exportaient leurs productions de denrées alimentaires notamment en dehors du Continent pourront se tourner vers des pays africains. Il en va pour les autres produits. Tout le monde en sortirait gagnant ». Il est plus que jamais nécessaire pour l'Afrique de transformer ses matières premières au niveau local au lieu de les exporter à l'état brut, est-il annoncé lors du webinaire : "les entreprises marocaines sont dans l'obligation d'élaborer des plans de continuité afin de survivre à la crise en cours". Pour des produits à forte valeur ajoutée C'est pour dire que l'intégration économique africaine, à travers la zone de libre-échange continentale (ZLECA), outre celle sous régionales permettront une meilleure intégration du continent africain aux chaînes de valeur mondiales. Toutefois pour réussir l'intégration africaine, les pays membres sont acculés à réadapter les chaînes de valeur et les renforcer. Il est même impératif de diversifier davantage leur production vers des produits à forte valeur ajoutée. Faute de quoi, ils seront éternellement dépendants des pays industrialisés. Autre point important à souligner est celui des vertus de la mondialisation. Nous avons constaté que certaines grandes puissances semblent s'orienter davantage vers le protectionnisme. Ceci pourrait engendrer une fragilisation du commerce mondial avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. Les pays en développement seraient les plus atteints. D'où l'intérêt de mettre progressivement des stratégies de substitution aux importations et du coup renforcer leur autonomie. Nabil Adel, professeur à l'ESCA Ecole de Management, a souligné lors du webinaire que "la crise du Covid-19 a démontré à quel point la mondialisation était nécessaire" et que "c'est le partage international de l'information qui a permis de limiter la propagation de la maladie". En effet, bien qu'elle soit remise en cause dans cette crise sanitaire, elle reste tout de même d'une grande importance. La montée du protectionnisme serait, d'après l'expert, "dangereuse pour cette coopération, qui permet de contenir des crises de niveau mondial". Les ALE problème ou solution ? Il a également rappelé que "c'est grâce aux Accords de Libre-Echange (ALE), que le Maroc a battu ses records d'exportation", ajoutant que refermer les frontières serait "un frein à notre développement". Vaille que vaille, les problèmes de déficit et de manque de compétitivité sont liés à des questions internes et non pas à l'ouverture sur l'international". La première leçon que le Maroc devra tirer de cette crise sur le plan économique est qu'il est dans l'obligation de créer de la nouvelle valeur ajoutée. Les accords actuels ne permettent que l'exportation de produits bruts. C'est dans ce cadre que ceux-ci devraient être révisés afin de permettre l'exportation de produits finis et d'encourager l'emploi et l'industrialisation. Par ailleurs, Mohamed Benchekroun, professeur à l'Université de Ningbo en Chine a relevé que l'industrialisation devrait se faire par des opérateurs marocains. Il a insisté sur "la nécessité d'ouvrir une réflexion sur les instruments de financement des grands projets", mettant l'accent sur "l'importance d'une politique innovatrice et protectionniste pour permettre de soutenir le potentiel d'industrialisation marocain qui s'est dévoilé durant cette crise du Covid-19". Lire également : [Entretien] Risque de relocalisation : Ce que pense Larbi Jaïdi