La crise du coronavirus (Covid-19) a fait revenir avec force la question de la souveraineté industrielle dans le débat politique et économique, a indiqué mardi l'économiste et membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement, Larabi Jaidi. Intervenant lors d'une visioconférence tenue à Rabat dans le cadre de la 9ème édition des Dialogues Stratégiques du Policy Center for the New South (PCNS) placée sous le thème de "la Démondialisation", M. Jaidi a mis l'accent sur l'industrie qu'il considère comme un secteur très stratégique pour le développement économique dans son ensemble, notamment pour les pays du sud, faisant remarquer que c'est à ce niveau que les enjeux de chaine de valeur et les questions de délocalisation et de relocalisation se manifestent avec le plus d'ampleur ces dernières années. Après avoir souligné que l'économie et la souveraineté sont devenus deux notions indissociables dans un monde mondialisé et que la question de la souveraineté ne devrait plus être appréhendée à travers le prisme du repli sur soi, M. Jaidi a noté que la crise sanitaire a dévoilé les défaillances d'une mondialisation en pleine redéfinition et fait prendre conscience de la montée des risques, notamment la résurgence du protectionnisme et la perte de contrôle de secteurs stratégiques. En outre, le spécialiste a relevé les risques liés à la fragmentation des systèmes de production à l'origine de l'hyperspécialisation, à la dévitalisation des territoires en faveur de l'agglomération et de la concentration des dynamiques de développement, ainsi que les risques liés à la rupture des chaines d'approvisionnement qui sont autant d'aléas ayant constitué une menace pour les États durant la crise sanitaire et qui interrogent sur le concept de souveraineté industrielle. S'agissant de la relocalisation, M. Jaidi explique qu'il ne s'agit pas d'un phénomène nouveau lié au Coronavirus du fait qu'elle a toujours constitué un moyen de riposte de la part des pays du Nord, mais elle intervient à des moments séparés, prend des ampleurs différentes et concerne des secteurs à part, lorsque l'économie d'un État est à l'épreuve des enjeux de coûts de production et de recherche et développement (R&D) ou encore des risques liés aux incertitudes. Par opposition, le spécialiste a fait observer que les pays du Sud, animés par la logique d'attractivité, n'interviennent pas dans le notion de relocalisation mais plutôt dans la logique de reconquête du marché intérieur à travers le concept d'import-substitution ou encore d'industrialisation par substitution aux importations, précisant toutefois que cette attitude économique ne devrait pas être insérée dans une idée de protectionnisme afin préserver la qualité des produits et développer la chaine de valeur. Notant que pour réussir sa stratégie, un pays, quel qu'il soit, n'a d'autre choix que de s'ouvrir, M. Jaidi a expliqué que l'industrie des pays du Sud est appelée à s'insérer dans la logique 4.0 qui correspond à une façon d'organiser les moyens de production orientée vers l'innovation afin d'intégrer la dynamique de la chaine de valeur internationale, en plus de la nécessité de promouvoir le rapprochement entre l'industrie et les services qui sont deux secteurs différents mais complémentaires du fait que la plupart des produits industriels incorporent des services. Alors que les chaines de valeur sont conduites par les firmes multinationales (FNM) qui entrainent souvent avec elles des sous-traitants, M. Jaidi a insisté sur l'importance de la mise en place d'une politique de soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) qui serait à même de les promouvoir au niveau de la chaine de valeur mondiale. La territorialisation des entreprises ainsi que le renouveau des outils d'intervention de pouvoirs publics sont également des mécanismes à prendre en compte pour favoriser des conditions propices au climat des affaires, a-t-il ajouté. Lors de cette rencontre, animée par l'ancienne ministre de la femme et la famille et ancienne ambassadrice, Nouzha Chekrouni, l'ancien ministre de l'économie et des finances, Fathallah Oualalou, l'ancien ambassadeur du Royaume auprès des Nations Unies, Mohammed Loulichki et l'économiste et membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement, Larabi Jaidi, ont débattu des nouveaux paradigmes de l'ordre mondial, entre mondialisation et protectionnisme, dans un contexte marqué par la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19. Depuis 2016, le Policy Center for the New South et HEC Center for Geopolitics organisent chaque année deux éditions des "Dialogues Stratégiques". Cette plateforme d'analyse et d'échange réunit des experts, des chercheurs provenant de différents think-tanks et du monde académique, des praticiens, ainsi que des décideurs politiques pour débattre des grandes questions géopolitiques et sécuritaires à l'échelle internationale, ainsi que des problématiques d'importance commune à la fois pour l'Europe et l'Afrique.