Les TPE et PME risquent d'être les plus impactées par cette crise sanitaire qui a imposé à l'Etat de faire des sacrifices économiques. Toutefois, malgré les mesures annoncées par le gouvernement pour soutenir cette frange de l'économie, leur mise en œuvre sur le terrain laisse à désirer. C'est ce que déplore le Président de la Confédération marocaine de TPE-PME, Abdellah El Fergui qui revendique également le manque de représentativité de cette catégorie au sein du CVE. EcoActu.ma : La 8ème réunion du Comité de veille économique a été marquée par le lancement de nouveaux produits de garanties à savoir « Relance TPE » et « Damane Relance » destinés aux TPE et PME qui visent à mobiliser les financements nécessaires pour l'impulsion d'une dynamique économique. Quelle appréciation faites-vous de ces nouveaux produits ? Abdellah El Fergui : J'ai depuis toujours demandé la séparation des offres destinées aux TPE de celles des PME et ce pour les produits de financement, les programmes d'appui, les commandes publiques ou encore le foncier dont les lots des zones industrielles ne sont pas adaptés aux TPE, les offres des opérateurs Télécoms, etc ... Dès le début de la pandémie Covid-19 et avec la création du Comité de veille économique, nous avons demandé à ce que notre Confédération Marocaine de TPE-PME soit présente dans ce Comité pour défendre les TPE-PME et auto-entrepreneurs mais spécialement les TPE qui n'ont pas de voix dans ledit Comité. Mais malheureusement le président de cette commission a oublié le discours royal du 11 octobre où SM le Roi Mohammed VI a clairement dit que les TPE-PME représentent plus de 95% de l'économie du Maroc. En Afrique, plusieurs pays ont associé les Fédérations et Confédérations des TPE-PME dans leurs Comités de Veille. De ce fait, les décisions du CVE n'ont pas beaucoup atteint les TPE-PME et auto-entrepreneurs mais simplement les grandes et moyennes entreprises. Le CVE a certes pris des décisions mais sur le terrain celles-ci se sont heurtées à la réticence des banques comme dans toutes les décisions les concernant et à la négligence de l'Etat. Non seulement, l'Exécutif nous laisse seules face aux banques mais Bank Al-Maghrib n'a pas non plus pris ses responsabilités comme l'ont fait plusieurs banques centrales africaines pour accompagner leurs TPE-PME. Du coup la seule vraie décision prise par le CVE en faveur des TPE en crise pendant le confinement est Damane Oxygène qui a pour but de donner une bouffée d'air aux trésoriers des TPE-PME. Une décision dont n'ont pas bénéficié pleinement les TPE-PME à cause de la résistance des banques. Dernièrement et suite à nos diverses sorties médiatiques, les banques et la CCG ont assoupli les conditions d'octroi de cette ligne de financement pour 3 mois de fonds de roulement de ces entreprises en situation de crise. Suite aux résultats de l'étude que nous avons menée du 18 mars au 6 avril sur les effets de la crise de Covid-19 sur les TPE-PME, auto-entrepreneurs et coopératives nous avons adressé le 16 avril 2020 notre deuxième lettre au Chef du gouvernement et au président du CVE pour lancer des lignes de crédit spécialement dédiées aux TPE afin de les accompagner dans le redémarrage. Nous remercions d'ailleurs le Chef du gouvernement, le président du Comité CVE et le DG de la CCG d'avoir répondu positivement à notre demande en lançant le crédit « Relance TPE » et « Damane Relance ». Toutefois nous demandons aux banques de rattraper le retard en jouant le jeu dans cette dynamique de relance économique qui passe obligatoirement par une relance des TPE-PME. Nous avons demandé aussi de relancer le programme « Intelaka » et de le généraliser aux TPE plus de 5 ans. Depuis le début de la pandémie l'Etat affirme être au chevet du tissu économique notamment les TPE et PME pour les soutenir à surpasser cette crise avec le moins de dégâts. Concrètement, comment se traduit, sur le terrain, cet accompagnement étatique et bancaire ? Il faut définir le tissu économique d'abord pour voir si l'Etat a vraiment soutenu les TPE et PME à surpasser cette crise économique avec le moindre dégât. L'Etat a accompagné et soutenu les grandes et moyennes entreprises pendant cette crise et a délaissé les TPE-PME. Le patronat a défendu ses membres et continue de le faire alors qu'il y a une absence totale de porte-parole des TPE-PME au sein du CVE. Dès le 12 mars nous avons créé notre « Comité de Crise Covid-19 » qui s'est mis le lendemain au travail pour présenter le 14 mars au Chef du Gouvernement El Otmani des mesures d'urgence à prendre pour soulager la souffrance des TPE-PME et Auto-entrepreneurs. Parmi les mesures, le report des déclarations des impôts, des cotisations de CNSS, des crédits bancaires et leasing de 18 mois et non pas de 3 mois, la création d'un fond spécial TPE et enfin déclarer le coronavirus comme force majeure. L'Etat à travers le CVE a bien répondu à quelques revendications urgentes. Mais pendant les deux mois de confinement les TPE-PME ont été laissées pour compte. Ni consultation, ni écoute, ni accompagnement comme l'ont fait d'autres pays du Nord et du Sud pour sauver leurs tissus économiques. Quelles sont les contraintes majeures auxquelles font face aujourd'hui ces entreprises ? Ces entreprises font face aujourd'hui à des contraintes d'existence. Une existence fortement menacée par faute de soutien et d'accompagnement. Avant le Covid-19, elles étaient endettées, très faibles, marginalisées et livrées à elles mêmes. Sans aucun programme pour les dynamiser ou les aider à se développer. Les secteurs toutes catégories confondues avaient de sérieux problèmes et, pourtant ils n'étaient pas écoutés par leurs ministères de tutelle. Avec l'arrivée du Covid-19 les choses se sont aggravées et comme toujours l'Etat écoute plus les grandes qui ont des voix au parlement sans trop se soucier des 95% du tissu économique qui sont les TPE-PME. La majorité de ces entreprises travaillent avec acharnement et ne possèdent pas d'assise financière. Sans oublier le caractère de notre économie marocaine basé sur les transactions en espèces. Avec plus de deux mois et demi de confinement, elles vont perdre toutes leurs créances chez des particuliers en général qui sont eux aussi surendettés. Sans oublier, le payement de loyer, eau, électricité, téléphone, internet, etc... Parmi les grosses contraintes des entreprises, la perte des salariés formés durant des années et que ces TPE-PME n'arriveront jamais à récupérer après le redémarrage. Et pour cause, les TPE-PME dans certains secteurs comme le BTP ne peuvent déclarer tous leurs salariés à la CNSS. Il faut aussi rappeler que ces petits patrons manquent de visibilité sur l'avenir et devront faire face à de graves problèmes sans solutions à court terme. Le CVE a adopté lors de la 7ème réunion la constitution d'un comité en charge d'étudier les dossiers des entreprises réalisant un chiffre d'affaires de plus de 500 MDH et ce dans le cadre du dispositif approprié pour le financement de la relance. Qu'en est-il des TPE et PME ? Comme je viens de le dire lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts des grandes et moyennes entreprises, le patronat ne cède pas et crée des commissions comme celle créée dernièrement lors du 7éme réunion du Comité de Veille Economique : « Les entreprises réalisant un chiffre d'affaires de plus de 500 millions de dirhams seront intégrées dans un dispositif approprié pour le financement de la relance. Les mécanismes et les modalités opérationnelles de ce dispositif seront finalisés incessamment par un comité constitué par le ministère de l'Economie, des Finances et de la réforme de l'Administration, Bank Al Maghrib, la CGEM et le GPBM ». Si on analyse cette décision prise par le Comité de Veille Economique, on constate que les grandes entreprises qui ont un chiffre d'affaires plus de 500 MDH seront très bien défendues par la CGEM, le ministère des Finances et Bank Al Maghrib devant les banques. La question que je pose à la CGEM qui prêtant défendre les TPE-PME, au ministre des Finances et au Wali de Bank Al-Maghrib : pourquoi vous n'avez pas défendu les TPE-PME ? Pourquoi vous n'avez pas créé la même commission pour les TPE-PME qui sont les plus touchées et les plus menacées ? C'est ainsi que se présente la reprise ou la relance : il y a des entreprises et secteurs qui sont défendus avec la bénédiction de l'Etat et d'autres laissés pour compte. Dans cette crise comme dans d'autres, l'Etat sacrifie les soldats (TPE) pour sauver les généraux (Grandes entreprises). On peut conclure que l'Etat a peur que les investissements étrangers partent mais il ne se soucie pas des éventuelles faillites en cascade des TPME et PME. Pensez-vous que les mesures prises par le gouvernement sont suffisantes pour permettre aux TPME de se remettre debout ? D'abord les mesures prises par le gouvernement n'ont pas touché les TPE-PME. Elles ont profité plutôt aux grandes et moyennes entreprises qui sont très bien représentées au niveau du CVE mais aussi au parlement. Contrairement aux pays africains ou les Fédérations et Confédérations des TPE-PME africaines sont bien représentées dans les Comités de veille de leurs pays. D'autant plus elles sont en contact permanent avec leurs ministres des Finances. Ce qui n'est pas le cas pour nous. C'est le constat que nous avons relevé lors des différentes réunions de la nouvelle Confédération Africaine des TPE-PME dont je suis président. Il faut un « Plan Marchal », une vraie volonté des pouvoirs publics et des partenaires pour sauver des millions des TPE-PME au Maroc. Sans doute les TPME qui constituent 95% du tissu économique seront les plus touchées de cette crise. Quels sont donc les risques qui planent ? Si le gouvernement et le CVE n'ouvrent pas un dialogue très urgent avec nous pour essayer de sauver et d'accompagner ces TPE-PME, nous allons assister à des faillites en cascade de nos entreprises. L'impact sur l'économie sera dans doute très important étant donné que ces entreprises constituent à plus de 95% du tissu économique avec plus de 5 millions d'entreprises qui contribuent à l'essor de l'économie nationale, à la création d'emplois et donc à la paix sociale. Cette paix est vraiment menacée par un manque d'écoute et de communication. Comme déjà signalé, dans d'autre pays, la TPE est soutenue et accompagnée. Malheureusement au Maroc, il y a beaucoup d'effet d'annonce et très peu de concret. Il est temps de créer une banque d'Etat pour les TPE. Il est aussi temps que la TPE prenne la place qu'elle mérite au sein des supers ministères. Il est temps d'appliquer les orientations de SM le Roi Mohammed VI. Nous avons encore du temps pour sauver le soldat TPE. A votre avis que faire pour éviter un tel scénario ? Pour éviter le pire il faut arrêter de négliger les 95% du tissu économique du Maroc et qu'il ne soit pas juste un chiffre dans les discours mais un vrai constat. Arrêtons de s'intéresser qu'aux grandes entreprises et ouvrir d'urgence le dialogue avec la Confédération afin d'accompagner ces TPE-PME dans diverses régions et villes du Maroc. Arrêtons de nous imposer la CGEM avec ces fédérations comme le seul représentant du secteur privé au Maroc. Notre système privé au Maroc a atteint ses limites et il est temps d'écouter les hommes du terrain. L'instinct de survie se déclenche au moment où l'on se trouve noyé, sans aide et sans nourriture. Lire également : Délais de paiement : des mesures à tour de bras mais les TPME suffoquent