Bien que l'Afrique regorge de ressources minières, le passage du potentiel à des projets exploitables constitue un vrai défi pour les entreprises et donc pour les Etats africains. Le Maroc est l'un des très rares pays (avec l'Afrique du Sud) où le secteur minier a atteint un niveau de maturité très élevé. Le point avec Abdellah Mouttaqi, Secrétaire Général de l'Office National des Hydrocarbures et des Mines (ONHYM) et membre du Conseil Economique, Social et Environnemental sur un secteur incontournable pour l 'émergence de l'Afrique. EcoActu.ma : Sachant que le secteur minier représente généralement une part importante des exportations et du PIB des pays africains, dans quelle mesure contribue-t-il au développement économique de l'Afrique ainsi que du Maroc ? Abdellah Mouttaqi : Les ressources du sous-sol procurent à l'Afrique un net avantage comparatif, le continent possède environ 12 % des réserves mondiales de pétrole, 42 % de celles d'or, plus de 60 % des gisements des minerais du groupe des platinoïdes (au nombre de six dont le platine, palladium et le rhodium), 66 % des réserves de phosphate, 44 % de celles de chrome, 82 % de manganèse, 95 % de vanadium, 55 % de cobalt, 88 % de diamant et 45 % de celles de bauxite. Avec la flambée des cours mondiaux à la fin de la décennie 90, le continent était au cœur de toutes les convoitises. Et malgré une baisse généralisée des cours des matières premières depuis 2012, conséquence surtout du ralentissement de la croissance chinoise, l'industrie liée aux ressources minérales continue à être au cœur des modèles économiques de nombreux pays africains. Pour donner une première perspective, l'OCDE indique que pour chaque 1% de hausse du PIB d'un grand pays acheteur (la Chine), cela induit 0,4% de croissance pour les pays les moins avancés. Pour la chaîne de valeur du développement minier, le passage du potentiel à des projets exploitables constitue à mon avis un vrai défi pour les entreprises et donc pour les Etats africains. Les statistiques révèlent que la part du contient dans la production mondiale reste très modeste. Je propose une analyse globale à l'échelle du continent pour pouvoir réfléchir sur le rôle du secteur minier dans l'industrialisation et l'intégration continentales. Ainsi, par classe de produits miniers, la part de l'Afrique dans la production mondiale atteint à peine 4% pour les métaux précieux, 5% pour le fer et les métaux non ferreux et 3% pour les minéraux industriels. Par nature de substance, la production africaine dépasse 80% pour le rhodium, le tantale et le platine, se situe autour de 50% pour le diamant, le manganèse et le chrome. La production minière africaine reste donc très concentrée et sélective ; elle est dominée par un groupe restreint de produits et une certaine spécialisation par pays ou par région (cas de l'Afrique de l'Ouest pour l'or par exemple) ; elle est tirée par la demande extérieure qui reste très sensible aux nouvelles tendances en relation avec le développement des énergies renouvelables, les TIC… A mon avis, la diversification de la production minière reste le grand défi pour le continent africain. Ceci passe bien entendu par l'augmentation des investissements qui dépendent des cadres miniers et des incitations fiscales propres à chaque pays. Le meilleur schéma étant celui d'une harmonisation régionale pour faciliter la complémentarité. Je rappelle que selon le SP Global Market Intelligence, le budget de l'exploration en Afrique a atteint 1,12 milliard de dollars US en 2019, en baisse de 12,2% par rapport à 2018 plaçant le continent à la cinquième place (derrière l'Amérique latine, l'Australie, le reste du monde et le Canada ; et devant les USA et la zone Asie SE – Pacifique). En attirant plus de la moitié du budget total africain, l'or reste le principal moteur pour l'activité d'exploration en 2019. Pour le Maroc, avec une part de 10% dans le PIB et 40 000 emplois directs, le secteur minier est un contributeur important dans le développement socio-économique. En 2018, la production a atteint 34 millions de tonnes de phosphates bruts et 2,5 millions de tonnes pour les autres produits (Argent, cobalt, plomb, zinc, cuivre, manganèse, barytine, bentonite, sel gemme, fluorine...). Le Maroc est l'un des très rares pays (avec l'Afrique du Sud) où le secteur minier a atteint un niveau de maturité très élevé aussi bien sur le plan de la gouvernance que sur celui du développement des filières et des responsabilités socio-environnementales. Quels sont les différents mécanismes de gouvernance du secteur minier africain et dans quelle mesure le mode de gouvernance du secteur impacte les retombées sur les économies et contribue à l'intégration continentale ? De manière générale, il faut rappeler que la gouvernance du secteur minier se fait par la combinaison et la convergence de mécanismes contraignants (engagements internationaux et lois minières) et d'un arsenal de soft law volontaires (directives, normes...) pour permettre à ce secteur de jouer pleinement son rôle dans le développement inclusif. Ces mécanismes concourent pour une gouvernance transparente, une bonne intégration économique du secteur et au respect des droits des populations et des droits environnementaux. Pour le cas de l'Afrique et en raison de l'importance de ses ressources minières et leur positionnement au cœur d'enjeux géostratégiques, le continent s'est doté de plusieurs instruments, à trois niveaux, pour garantir une gestion exemplaire du développement minier africain. Au niveau panafricain, l'Agenda 2063 considéré comme un cadre global, a pour but de transformer, d'accroitre et d'industrialiser les économies africaines par l'enrichissement et l'apport d'une valeur ajoutée aux ressources naturelles. Ensuite la Vision minière africaine (VMA) qui constitue un instrument central pour la réalisation des objectifs de l'Agenda 2063 ; adoptée en 2009, la VMA vise « une exploitation transparente, équitable et optimale des ressources minérales pour assurer une croissance et un développement socio-économique larges et durables ». Le Centre Africain de Développement Minier a été créé pour aider les Etats à mettre en place la VMA. Dans le but de promouvoir un secteur minier responsable, la VMA met en place également deux outils clés : « le cadre de gouvernance du secteur minier africain » qui intègre les performances environnementales et sociales, et le « Pacte de la VMA avec les responsables du secteur privé » qui s'appuie sur le concept de la responsabilité sociale de l'entreprise. La stratégie de l'union africaine pour les produits de base, en cours de finalisation par l'union africaine, est également un projet phare de l'Agenda 2063 qui se fixe comme objectifs l'utilisation optimale des produits de base africains pour une industrialisation durable, le développement et le renforcement des échanges commerciaux. Au niveau régional, deux exemples de mécanismes peuvent être soulignés. D'une part la directive de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) sur l'harmonisation des principes directeurs et des politiques dans le secteur minier. Cette directive se base sur des référentiels universels pour la promotion des droits de l'Homme, la transparence et l'équité sociale, et la garantie de la protection des communautés locales et de l'environnement. Et d'autre part, à titre d'illustration, le Développement de la Vision Minière Régionale pour la communauté de développement d'Afrique australe ; celle-ci constitue une expression régionale de la VMA, elle a été adaptée pour répondre aux contraintes, aux réalités et aux opportunités de l'économie régionale du secteur minier, en tenant compte des protocoles, des plans et des stratégies régionaux. Le dernier niveau de gouvernance correspond aux codes miniers. En effet, de nombreux pays africains se sont dotés de lois minières conformes aux évolutions de la gouvernance en intégrant le partage équitable des revenus entre Etats- populations- entreprises, la performance environnementale, le droit communautaire, le contenu local et en tenant compte de la durabilité des infrastructures. Tenant compte du fort potentiel minier du continent africain, la bonne gouvernance constitue à mon avis le mécanisme incontournable pour permettre au secteur minier de remplir pleinement son rôle dans le développement socio-économique à l'échelle de chaque pays. A cet égard, le modèle marocain qui a évolué sur une période d'environ un siècle mérite d'être mis en avant à l'échelle du continent africain. Il s'agit en effet d'un secteur très mâture, depuis longtemps libéralisé, avec séparation et clarification des rôles entre le public, le privé et la société civile ainsi que des engagements et responsabilités fiscales et environnementales bien identifiées. Quels sont les principaux défis en termes de responsabilités sociétales du secteur minier africain ? La notion de responsabilité sociétale pour le secteur minier africain est examinée en termes d'impacts économiques, sociaux et environnementaux, dans le souci de maximiser les impacts positifs et de minimiser les impacts négatifs. Pour un continent comme l'Afrique, il faut aussi faire la part entre la responsabilité des Etats, des entreprises et de la société civile. En se plaçant donc bien au-delà de l'étroite responsabilité de l'entreprise (RSE), les défis du secteur minier africain seraient les suivants : * la transparence et la conformité avec les standards internationaux. * Les conflits armés et le défi sécuritaire notamment en RDC et dans la zone des Grands Lacs, dans le golfe de Guinée, le delta du Niger, en république de Centrafrique et la zone du Sahel. * Les mines artisanales qui, malgré leur rôle dans le développement de proximité, ont des impacts environnementaux, sanitaires et de sécurité négatifs. * Le travail des enfants comme problématique endémique du secteur minier de l'Afrique subsaharienne. * Les relations avec les communautés, le développement communautaire et le contenu local. * La gestion des ressources hydriques et énergétiques Ces défis combinés ou pris séparément sont dans de nombreux cas à l'origine de conflits liés à l'exploitation des ressources minières africaines. Leur gestion de manière responsable dans un cadre de partenariat régional ou international, avec des rôles bien identifiés, constitue à mon avis un mécanisme de transition vers le développement durable du continent et une réponse à la notion de malédiction des ressources.