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L'impôt, le rapport à la loi et la politique budgétaire
Publié dans EcoActu le 28 - 05 - 2019

Le débat suscité à l'occasion de la tenue des Assises de la fiscalité semble dédier une place prépondérante à l'égrénement de recommandations d'élargissement de l'assiette, de réduction des taux d'impôts, de révision des barèmes ou des exonérations. A rebours, le rapport à l'Etat et les conditions de conduite de la ponction fiscale sont largement escamotés ; quand ils sont évoqués c'est sous la forme d'une pétition de principe quant à l'engagement des autorités publiques en matière de délais de prélèvements et de restitution de l'impôt. Dans ce contexte imprégné par une vue de l'instrument fiscal, au demeurant, sujet à discussion, il est remarquable de noter que certaines interventions n'ont pas manqué de soulever une question d'importance cruciale : celle de l'infraction aux modalités des versements fiscaux. Sous ce rapport, elles conduisent à s'interroger, d'une part, sur la capacité de contrôle de l'Etat et la propension à respecter la loi et, d'autre part, à envisager les prélèvements comme un levier de la politique budgétaire indissociable des options fondamentales de société.
Incitations, informalité et Etat
Par-delà les variantes, l'exercice de prescriptions qui émaille le débat est mu par une même demande d'allégement du poids des versements obligatoires. L'assertion de base dont se nourrit cette demande est que l'excès de la pression fiscale et l'inadaptation du régime de prélèvements affectent, à travers la variation des prix, les comportements d'offre et de demande et grèvent par-là la compétitivité. Comme tel, il s'adosse à la norme de la concurrence parfaite selon laquelle les marchés garantissent un équilibre pleinement efficient de sorte que le bien-être collectif est à son maximum. A l'aune de cette efficience, l'impôt est vu comme une charge excédentaire qui engendre des distorsions et des pertes de ce bien-être. Cette assertion apparaît, à l'examen de ses termes, fragile à bien des égards. La portée descriptive du taux de prélèvements obligatoire est très limitée. D'abord, il n'est pas un indicateur de l'ampleur d'une charge en ce sens que les impôts servent au financement de biens et services au profit de la collectivité. Tel qu'il est nommé, il possède une connotation négative qui évacue les contreparties correspondant à la qualité de l'infrastructure, des services d'éducation et de santé et leur impact sur la productivité et la croissance. Ainsi une croissance soutenue de l'activité est en mesure d'induire une hausse des recettes qui vient accroître le taux de prélèvements. Cette hausse ne traduit en rien un alourdissement de la ponction fiscale. En second lieu, il s'agit d'une catégorie globale qui, non seulement ne reflète pas les taux d'imposition individuels supportés par les contribuables, mais ne peut servir de caution à des inflexions à des politiques fiscales, ni a fortiori, à des comparaisons internationales, d'autant que les modes d'évaluation et les conventions comptables sont souvent différentes. Les cas du Mexique et de la Turquie où les taux sont respectivement de 17,50% et 19%, parfois mis en avant comme exemples à suivre, ne sauraient tenir lieu d'argument.
La compétitivité bénéficie également d'une présomption d'évidence. Elle est réduite à la maîtrise des coûts et charges et l'économie nationale à une entreprise individuelle. Une telle identification s'expose à des objections. Pour peu que l'on puisse parler de compétitivité d'un pays, elle réside dans sa capacité à croître en répondant à la demande domestique et étrangère. Dans ce cas, l'appréciation de cette capacité sollicite la référence aux déterminants de la croissance à long terme à travers la prise en compte des interdépendances entre variables macroéconomiques. La dynamique de l'économie est conditionnée dans ce sens par un ensemble d'éléments où la fiscalité ne saurait être tenue pour une composante centrale. Enfin, la supposition que l'effet de l'impôt sur les allocations des ressources transite par le prix implique que l'incidence et les réactions des agents sont déterminées a priori. Or, la sensibilité des offres et des demandes aux prix commande fortement les comportements. La répercussion de l'impôt varie selon cette sensibilité. Une entreprise peut intégrer le montant de l'impôt dans le prix de vente au cas où la demande est faiblement élastique et s'y abstenir dans le cas inverse. Dans le même temps, une baisse de l'impôt, par exemple, sur les revenus du travail ou du capital peut entraîner des arbitrages en faveur du loisir ou de la consommation qui sont opposés à ceux que prête l'analyse aux choix individuels. Le sens des incitations et leur intensité étant indéterminé, il n'est possible pas de spécifier l'impact de l'impôt sur les décisions des agents. Le lien supposé entre le poids des prélèvements et la compétitivité est, en définitive, introuvable suite à l'ambiguïté de ces termes. L'appel corrélatif à la réforme fiscale semble dès lors dépourvu de fondements.
Qui plus est, considérer que l'impôt a atteint un niveau dissuasif revient à postuler, qu'au-delà d'un certain seuil, les mécanismes désincitatifs entraînent un recul de l'activité et partant une baisse du rendement fiscal. Un tel a priori suppose que les agents privés se comportent en respect de la loi y compris en cas de perception d'un excès d'imposition. Or, rien n'interdit d'envisager l'informalité en matière fiscale comme réponse consécutive à cette perception, au demeurant, tout à fait conforme à la rationalité des agents. La structure des prélèvements livre à cet égard des enseignements intéressants. 50% des recettes de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée sont seulement issus de 140 entreprises. 70% des versements au titre de l'impôt sur le revenu provient des salariés et seulement 5% de l'impôt sur le revenu professionnel. Cette déformation semble correspondre au mode de prélèvement. La contribution moyenne des salariés, soumise à la ponction à la source, est 5 fois plus importante à celle des professionnels dont les déclarations relèvent de la procédure déclarative. Celle-ci implique que le contribuable fournit lui-même sa base imposable. A ce titre, elle ne décourage guère la tentation de minorer les recettes et de gonfler les charges et autres contournement. L'entorse à la loi subséquente signale, comme l'a bien montré Bruno Lautier, l'absence de pertinence du découpage de l'économie entre un secteur formel indemne de toute illégalité et un secteur informel qui ne satisfait pas aux obligations légales. Cette image, chère aux avocats de la formalisation de ce dernier, omet que l'informalité innerve, en tant qu'infraction aux règles et des codes édictés par l'Etat, les unités formelles. Les entorses au droit fiscal, au même titre que les transgressions à la législation du travail et à d'autres réglementations, participent d'une imbrication entre le légal et l'illégal qui fait l'objet d'un large consensus social. L'informalité afférente aux impôts participe de la corruption en tant poursuite d'intérêts particuliers ou catégoriels au mépris de la loi et aux dépens de l'intérêt général. Sous ce rapport, elle restreint l'étendue des recettes et entrave les fonctions de gestion de la conjoncture et de redistribution du bien-être social.
Fiscalité et actions budgétaires
De par l'accent mis sur le comportement des agents face à l'impôt, le débat n'a que marginalement abordé la question de l'utilisation de l'instrument fiscal dans le cadre de la mise en place d'une politique économique susceptible d'amorcer la sortie de la croissance molle des performances d'emploi et de bien-être social qui l'accompagnent. L'appel à la réflexion sur les contours d'un « nouveau modèle de développement » semble rester en effet sans échos. Tel qu'il est conçu par les décideurs des finances publiques, le projet de réforme fiscale vise à renforcer la capacité d'action de la politique budgétaire. Ce faisant, il s'assigne l'objectif d'élargir l'espace budgétaire que le FMI définit comme la marge dont dispose l'Etat pour affecter les ressources à des dépenses sans compromettre sa position financière et la stabilité macroéconomique. La finalité de la réforme est d'étendre l'assiette et de réaménager le barème des taux eu égard à l'impératif de contrôle du déficit et de maîtrise de l'endettement public. L'enjeu est de desserrer la contrainte budgétaire de l'Etat en agissant sur les recettes. A cet effet, le principe d'orientation prôné est d'accroître le rendement de l'impôt en appliquant des taux de plus en plus faibles et en réduisant les dépenses fiscales.
Dégager des ressources requiert des actions publiques motivées par la réduction de la tolérance des entorses à l'emprise fiscale et le renforcement des contraintes incitatives au respect du droit. Les pertes de recettes consécutives à l'informalité sont multiples comme le révèlent les bases d'informations fiscales et patrimoniales. La taxe sur la valeur ajoutée pâtit de pratiques frauduleuses. Moins de 1% d'entreprises reversent 70% des recettes au Trésor et 73% des déclarations ne donnent pas suite au paiement. L'impôt sur les sociétés est bridé par la prépondérance des déficitaires chroniques : le nombre de déclarations de résultats atteint 67%. S'agissant de l'impôt sur le revenu professionnel, la contribution des professions libérales est inférieure à 2% des recettes. De l'autre coté la moitié des professionnels ne déposent pas de déclarations de revenus. L'impôt par forfait, dont le montant est fixé indépendamment de la capacité contributive, occasionne des pertes de ressources pour l'Etat en ce qu'il favorise les faux forfaitaires.
S'agissant des dépenses fiscales, leur poids sur l'assiette des prélèvements représente 2,8% du PIB, soit un niveau proche du seuil du déficit public. Conçues en fonction de la logique incitative à l'offre, elles sont loin d'exercer les effets escomptés en termes d'investissement et d'emplois. Les exonérations, abattements, taux préférentiels et dérogations donnent lieu à des décisions, souvent motivées par l'avantage fiscal, qui conduisent à des réallocations de l'industrie vers l'immobilier et l'agriculture. Dans le même temps, elles conduisent à des effets d'aubaine au profit d'entreprises dont l'investissement dans les activités ciblées ne répond pas à l'incitation fiscale.
L'amélioration de la levée des ressources par le renforcement des dispositifs de lutte contre l'informalité est en mesure de permettre au décideur public de disposer d'une marge d'action en vue de mieux adapter la gouvernance budgétaire à la régulation des aléas conjoncturels, à la relance de la croissance et à la redistribution compte tenu de la montée des inégalités. La mobilisation de l'espace budgétaire peut ainsi développer le potentiel des stabilisateurs automatiques qui résulte de la réponse spontanée des recettes et des dépenses publiques à la variation de l'activité. Dans le cas d'un ralentissement de l'activité qui se traduit par une baisse des revenus, la baisse des recettes induites par la réduction de l'assiette fiscale a pour effet de soutenir les revenus privés par conséquent la consommation et de modérer la volatilité de l'activité.
Ce rôle d'amortisseur s'exerce également en cas de hausse de recettes en période de surchauffe. Ces stabilisateurs jouent un rôle bien contra-cyclique que le décideur public peut renforcer en optant pour des mesures qui accroissent la sensibilité de la base d'imposition à l'activité. Au-delà, il peut procéder à des interventions discrétionnaires dictées par le cycle en augmentant les prélèvements en cas de surchauffe et en les diminuant dans le cas inverse. Une telle réactivité est de nature à éviter les biais pro-cycliques que produit la stricte discipline budgétaire. S'en tenir à l'application mécanique de la norme de contrôle du déficit de 3%, quels que soient les chocs défavorables qui affectent l'économie, conduit à des effets pervers. Ainsi, le gouvernement choisit de freiner la détérioration des finances publiques lors d'un creux conjoncturel, cette disposition risque d'accentuer le ralentissement. La réforme fiscale est susceptible d'offrir l'opportunité d'assortir la politique budgétaire de plus de flexibilité en vue d'amortir le cycle économique. Nombre d'interventions lors des débats ont abondamment rappelé les « équilibres fondamentaux » mais sont restés muets sur leur articulation avec la politique fiscale. A force de les tenir pour des principes sacro-saints, on s'interdit de s'enquérir du traitement que le FMI lui-même leur réserve (2015).
Selon l'institution de Washington, en tant qu'instrument contra-cyclique, la fiscalité permet de lisser les fluctuations de la production et de l'inflation et réduire leurs retombées négatives sur la croissance à long terme qui se manifestent dans des effets d'hystérèse de la demande globale. Dans le cas de règle intangible de gestion des finances publiques, des effets se manifestent dans la contraction des dépenses qui vient accentuer le déficit de l'activité et dégrader son potentiel.
L'extension de la capacité budgétaire de l'Etat peut également contribuer à la redistribution des ressources et servir des objectifs d'équité. Les inégalités dues à la persistance du rationnement de l'accès à l'emploi, au caractère massif du chômage des jeunes, à l'extension de la vulnérabilité et aux disparités d'accès aux services d'éducation justifient à l'évidence l'engagement des actions redistributives. L'imposition progressive et les dépenses publiques sont à travers les transferts de pouvoir d'achat et les prestations des vecteurs primordiaux d'atténuation des écarts de revenu. La préférence accordée par le débat à l'argument de l'efficacité conduit à attribuer à la progressivité des prélèvements des effets désincitatifs et à considérer, du même coup, que la redistribution nuit à l'allocation des ressources. Ainsi que le soutient Atkinson, le dilemme entre équité et efficacité n'a de validité que dans le cadre de marchés parfaitement concurrentiels où aucun individu ne peut améliorer sa situation sans dégrader celle d'au moins un autre.
Dès lors qu'on suppose que l'économie considérée ne correspond pas à cette fiction, qui est du reste assortie de l'absence d'intervention de l'Etat, ce dilemme s'évanouit si bien qu'on peut envisager des complémentarités en efficacité et équité. A cet égard, la politique fiscale peut être mobilisée en vue d'améliorer la qualité des secteurs sanitaires et éducatifs et d'augmenter la croissance potentielle. De par leurs incidences bénéfiques, les dépenses publiques favorisent la progression de la productivité et des revenus et créent les conditions permettant aux personnes d'accomplir leur choix de vie. Dans le même temps la redistribution atténue les conflits de répartition des richesses et soutient la mise en place d'institutions publiques favorables au développement.
« Les lois sont insuffisantes sans les bonnes mœurs ». Cette thèse que développe Leopardi, à la suite d'Horace, dans son examen de la corruption et de l'absence de l'esprit civique, capture sans doute les enjeux que revêt l'informalité fiscale. La qualité des institutions qui définissent les règles fondamentales et le corpus juridique de l'imposition dépend étroitement de l'articulation entre la tolérance étatique et les conduites illicites. Les insuffisances du respect et de l'exécution de la loi conditionnent les dispositions à payer l'impôt, sa légitimité, le degré de confiance dans la performance institutionnelle, la répartition des coûts et avantages de la politique fiscale, et partant, l'exercice des droits démocratiques et la capacité de l'Etat à imposer…l'impôt. Comme l'affirme Karl Popper « Une société ne peut pas être plus démocratique que ne le sont ses habitants ».
Rédouane Taouil
Professeur agrégé des universités à Grenoble.


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