Placées sous le thème de « l'équité fiscale », les assises nationales sur la fiscalité, prévues les 03 et 04 mai 2019 à Skhirat, dénotent d'une réelle prise de conscience de la nécessité d'aller vers un système fiscal à la hauteur des défis multidimensionnels auxquels le Maroc est confronté. Et l'un des défis majeurs du XXIe siècle, est celui du développement urbain avec comme exigence la réalisation des infrastructures et des équipements, la production de logements, la desserte en services urbains, et la création de la valeur économique pour réduire des inégalités sociales et territoriales qui ne cessent de s'amplifier. La présente tribune a pour ambition de questionner le système de rente foncière et urbanistique, en apportant quelques éléments de réponses à l'un des questionnements posés par la note de cadrage des assises nationales sur la fiscalité : Comment réduire la prédominance de la rente et des inégalités spatiales ? Longtemps considérée comme un fléau à endiguer, l'urbanisation est aujourd'hui synonyme de création de la richesse. Pour preuve, certaines villes ont un Produit Urbain Brut (PUB)1 qui dépasse le PIB cumulé de plusieurs pays. Les villes de Tokyo2 et New York3 ont chacune un PUB métropolitain de plus de 1000 milliards $US, et qui dépasse de loin le PIB de plusieurs pays. Bien pensées et planifiées, les villes nous apprennent comment agir par l'urbain sur nombre de questions socio-économiques et de développement urbain. Pour faire de nos villes des lieux de création de la valeur économique, la captation de la plus-value du tandem foncier-urbanisme s'impose, et ce pour mettre ces deux secteurs dans une logique contributive au développement urbain. Une rente foncière qui hypothèque le développement urbain L'observation attentive du fonctionnement du système foncier laisse apparaître la persistance de inefficiente dans sa mobilisation à des fins de développement urbain. En effet le potentiel foncier dormant dans les grandes villes et leurs périphéries n'a d'égal que l'absence d'un mécanisme fiscal qui laisse des pans entiers de la ville en dehors de l'économie urbaine. Si dans une économie de développement, les valeurs se transforment en richesses, l'économie de rente soustrait l'essentiel de la valeur brut du développement et la gèle dans la valeur foncière à des fins spéculatives. Pour illustrer nos propos, une ville comme Marrakech a vu sa superficie triplé entre 2004 et 2014 passant de 12000 à 36000 ha, sans pour autant driver la ville vers un développement urbain créateur de la richesse, et ce du fait que l'essentiel du foncier est orienté vers l'immobilier. De l'avis de beaucoup d'acteurs urbains, ces extensions urbaines pèsent de leur poids sur le financement de la mobilité urbaine, la réalisation des infrastructures et des équipements de proximité. Comparativement à d'autres secteurs de l'économie nationale, le secteur foncier est celui qui génère le plus de situations de rente. Qu'il soit en amont de l'élaboration des instruments de planification urbaine, ou en aval par le mécanisme dérogatoire (CESE, 2014), le développement urbain peine à trouver sa trajectoire. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la réforme de la question foncière est, pourtant, sur l'agenda politique depuis des décennies. L'enjeu premier de toute réforme fiscale de la question foncière est de mettre cet intrant au cœur du financement du développement urbain, et ce à travers la mise en place de mécanismes pour lutter contre les phénomènes de la spéculation et la rétention foncières. A contrario, nos villes laissent passer de grandes opportunités de développement urbain inclusif et durable. Le code de l'urbanisme, une tentative avortée de mise en place d'outils fiscaux et financiers de l'aménagement urbain Dire que la rente est uniquement foncière, revient-il à ne pas connaitre le processus de production des instruments d'urbanisme. En effet, la transmutation des terres agricoles à faible valeur vénale en terrains urbanisables à fortes valeurs ajoutées profite à certains initiés, et interpelle donc les limites du système de planification normatif, aussi bien, sur le registre de la régulation que de la contribution au développement urbain. En effet, bien que le principe de la contrepartie a été instauré dans le cadre de la dérogation, il n'est que rarement appliqué (MHUAE, 2009, CESE, 2014). Ce qui laisse présager que le système urbain a laissé passer des opportunités conséquentes pour financer l'urbanisation. La question du financement de l'urbanisation est depuis fort longtemps au cœur du débat politique et scientifique sans pour autant dépasser ce stade. Toutefois, la seule tentative entreprenante est l'élaboration par le gouvernement de Driss Jettou du code de l'urbanisme de 2005 qui a consacré un chapitre sur les mécanismes de financement de l'aménagement et l'urbanisation. Il s'agit principalement des contributions dues pour toute cession d'immeuble ou de changement de zonage subséquent ou de l'obtention de l'autorisation de lotir, de construire ou de créer un ensemble immobilier, et ce à l'intérieur des périmètres couverts par un schéma directeur ou un plan d'aménagement. Gérées dans le cadre d'un fonds de financement de l'aménagement et de l'urbanisation, ces contributions avaient comme finalité le financement du développement urbain et la constitution de réserves foncières. Hélas, cette tentative s'est butée sur le rocher du parlement. De la nécessité de création des agences foncières régionales Pour mettre en œuvre les options stratégiques du Schéma Directeur d'Aménagement Urbain de la capitale économique, les pourvois publics de l'époque ont proposé en 1984 la création de deux instruments pour la régulation urbaine (Agence Urbaine) et foncière (Agence foncière) de l'aire métropolitaine de Casablanca. Si le premier établissement a 35 ans d'existence, en revanche, le deuxième n'a jamais vu le jour. Et de ce fait, la régulation urbaine, à elle seule, n'a pas pu contenir tous les dysfonctionnements urbains (étalement urbain vs financement urbain). Face aux défis du financement du développement urbain, une réforme en profondeur du tandem urbanisme-foncier est à inscrire sur l'agenda du gouvernement. D'autant plus que cette réforme arrive à point nommé avec la mise en œuvre de la régionalisation de 2015 et la déconcentration de 2018. Résolument axée sur un dispositif institutionnel, juridique et opérationnel, cette réforme devrait être une occasion pour dépasser les contraintes de la ville, d'abord, par l'instauration de mécanismes fiscaux pour la captation de la plus-value urbanistique et foncière à des fins de financement de la ville, et ensuite, par la création d'agences foncières régionales comme instruments de régulation foncière. Par Mostafa Kheireddine, Urbaniste-Université de Montréal, Chercheur en sciences de la ville et Ex-chargé de mission auprès de la Direction générale de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire/ Agence urbaine de Rabat (1)Le PUB est l'équivalent, à l'échelle des agglomérations urbaines du produit intérieur brut (PIB) pour les Etats