Ecrit par Imane Bouhrara | A peine les lois 40-21 et 41-21 portant respectivement sur la liberté des prix et de la concurrence et sur le Conseil de la Concurrence publiées au BO 7152 du 15 décembre 2022, qu'on a sonné l'hallali du Conseil de la Concurrence. Sauf à vouloir faire du Bad Buzz, cette autorité ne peut rouvrir le dossier des hydrocarbures sans les textes réglementaires que devra « pondre » incessamment l'Exécutif. Depuis sa nomination en mars 2021 à la tête du Conseil de la Concurrence, Ahmed Rahhou est scruté, ses déclarations analysées, ses gestes passés au crible et d'aucuns guettent un mot sur le dossier des hydrocarbures. Il y a de quoi, cette affaire traine depuis 2016 et trois gouvernements ! Et justement cette nomination a été accompagnée d'un communiqué royal des plus explicites : « Cette nomination intervient suite à la soumission à la Haute Attention Royale du rapport de la commission ad-hoc chargée par le Souverain de mener les investigations nécessaires à la clarification de la situation née de la confusion créée par les décisions discordantes du Conseil de la Concurrence dans l'affaire des ententes éventuelles dans le secteur des hydrocarbures contenues dans les notes divergentes portées à la Haute Attention de Sa Majesté le Roi les 23 et 28 juillet 2020. Conformément à la mission qui lui a été confiée par le Souverain, la commission s'est assurée du respect des lois et des procédures relatives au fonctionnement du Conseil de la Concurrence et au déroulement de l'instance contentieuse et a conclu que le processus de traitement de cette affaire a été émaillé de nombreuses irrégularités de procédure. Elle a également relevé une nette détérioration du climat des délibérations ». Sur ordre du Roi donc, les recommandations de la Commission ad-hoc ont été transmises au Chef du Gouvernement pour la refonte du cadre réglementaire relatif à la concurrence pour remédier aux imprécisions du cadre légal et renforcer l'impartialité et les capacités de cette institution constitutionnelle et conforter sa vocation d'instance indépendante contribuant au raffermissement de la bonne gouvernance, de l'Etat de droit dans le monde économique et de la protection du consommateur. Il aura fallu près de deux années pour que les lois 40-21 et 41-21 portant respectivement sur la liberté des prix et de la concurrence et sur le Conseil de la Concurrence entrent en vigueur à leur publication au BO du 15 décembre 2022. L'effectivité conditionnée par les décrets d'application Très pressée, la CDT a rapidement demandé la réouverture du dossier des hydrocarbures. Cela se comprend puisque c'est son syndicat national des professionnels du transport qui est à l'origine de ce dossier pour avoir saisi le Conseil de la Concurrence en 2016. Voilà six ans que nous patientons tous pour savoir si oui ou non il y avait eu des ententes dans le secteur des hydrocarbures. Bien évidemment, dans l'attente des décrets d'application, le Conseil de la Concurrence n'a pas donné suite à la demande du syndicat de la CDT. Un vœu d'échec pour le Conseil de la Concurrence ? C'est aller trop vite en besogne. En effet, la réforme de la loi de la concurrence et des prix a apporté des nouveautés, particulièrement l'article 39, en matière de détermination du montant de la sanction financière en présence de pratiques anticoncurrentielles avérées. Et ce en prenant en ligne de compte, le chiffre d'affaires réalisé en relation avec l'infraction, la durée de l'infraction ; le montant des sommes générées par la réalisation de l'infraction et le degré d'implication de l'entreprise concernée dans la réalisation de l'infraction en cas de pluralité d'auteurs. Ces dispositions ne peuvent être fixées par le Conseil mais par des décrets par voie réglementaire, qu'espérons-le verront le jour incessamment. A cela s'ajoutent les situations qui constituent des circonstances aggravantes ou atténuantes ce qui permet une individualisation de la sanction. Autrement dit, inutile de rouvrir ce dossier sans textes réglementaires. Car une loi sans décrets d'application est comme cette belle voiture qui n'a pas de moteur... et par conséquent inefficiente. Et c'est peut-être là qu'il faudrait mettre le curseur : l'élaboration des décrets. Autant arrêter de gaspiller les munitions au lieu de continuer à tirer à blanc, en attendant de voir ces décrets entrer en vigueur. Plus que l'instruction d'un dossier, c'est toute la gouvernance du secteur qui est en question Il est certes injuste de réduire le rôle antitrust du Conseil de la Concurrence au seul dossier des hydrocarbures, mais nul ne peut omettre que c'est bien ce dossier qui a motivé la transformation de la réglementation de la concurrence. Un véritable séisme. Ce secteur en particulier a été au centre de plusieurs tensions aussi bien au sein de l'Exécutif, on se rappelle encore le bras de fer qui l'avait opposé à l'ancien ministre Lahcen Daoudi sur la velléité de plafonnement des prix, qu'au sein du Conseil de la Concurrence divisant l'ancien bureau et qui s'est soldé par deux décisions discordantes sur d'éventuelles ententes, portées à la haute attention du Souverain les 23 et 28 juillet 2020. Plus récemment, avec l'envolée des prix à la pompe, le Chef du Gouvernement n'a pas eu recours à l'article 4 du loi 104-12 sur des mesures temporaires à même de prémunir les consommateurs et les secteurs énergétivores. Préférant en lieu et place un soutien exceptionnel (sic) au transporteurs. Une mesure qui n'a d'exceptionnel que le nom puisqu'on en est à la 8e tranche avec tout ce que là engendre pour le budget de l'Etat. Dans ce même contexte, les réponses de la ministre de l'énergie du les prix du raffinage et du dossier de la Samir était de loin très peu convaincantes. Sans oublier des pratiques dénoncées par les stations-services subissant le joug de certains pétroliers en matière de marge bénéficiaire, sans aucune réaction des autorités laissant planer un sentiment que ce secteur est au-dessus de la mêlée. Certes un rapport du Conseil de la concurrence a énuméré les dysfonctionnements de ce marché. Mais, là, il s'agit surtout de pratiques anti-concurrentielles et de transparence du marché. Et c'est là le nœud gordien de l'histoire : une fois les décrets d'application publiés, le Conseil ayant les coudées franches, va-t-il traduire dans la réalité le « ferme attachement du Souverain à l'indépendance et au bon fonctionnement des institutions de régulation et de bonne gouvernance » ? Et surtout appliquer l'esprit qui a prévalu dans le communiqué royal à la nomination du président de la concurrence, à savoir contribuer au raffermissement de la bonne gouvernance, de l'Etat de droit dans le monde économique et de la protection du consommateur. En effet, au-delà d'une éventuelle entente dans le secteur, c'est toute sa gouvernance, surtout depuis sa libéralisation, qui pose également aujourd'hui, des questions sur une véritable libre et loyale concurrence. Et c'est là tout l'enjeu.