Amnistie fiscale, déclaration rectificative, prochaine cible, Assises sur la fiscalité, Loi de Finances, GAFA, digitalisation... un tour d'horizon avec Omar Faraj. EcoActu : L'année 2018 tire à sa fin. La DGI a-t-elle procédé à une évaluation des dispositions fiscales contenues dans la Loi de Finances 2018. Allusion est faite à l'exonération des droits d'enregistrement, à l'annulation des majorations de retard, rescrit fiscal... Omar Faraj : C'est après le 31 décembre que la Direction générale des impôts dresse le bilan parce ce que nous ne sommes jamais sûrs des résultats de l'année qu'après la fin de l'exercice. Les chiffres provisoires sont disponibles. D'ailleurs le rapport d'activité de la DGI sera publié au mois de mars. Les citoyens attendent toujours la dernière minute pour régler leurs dus fiscaux à cause de la gestion de leur trésorerie ou parce qu'ils en ont l'habitude. C'est également une question de culture. Durant la dernière semaine de décembre, les choses s'accélèrent. Mais le 31 décembre est une journée de rush où le suspense règne jusqu'à minuit. Si l'on prend le cas de l'annulation des majorations de retard ayant fait l'objet d'une disposition phare en 2018, ne serait-il pas judicieux de programmer une opération d'amnistie fiscale en 2019, sachant que les retombées sont liées à la conjoncture économique, pour que les contribuables s'acquittent de leurs dettes fiscales ? Sur le principe vous avez entièrement raison. Mais il faut préciser que ce n'est pas la Direction générale des Impôts qui décide ou élabore la politique fiscale. La DGI se veut certes une véritable force de propositions mais qui ne sont pas prises en compte exclusivement. A titre d'exemple, si l'on prend l'exemple de la Loi de Finances, la DGI est appelée à consulter les différents départements ministériels, les fédérations... L'élaboration de la Loi de Finances est précédée par des réunions que tient régulièrement l'Administration des impôts pour collecter les propositions des uns et des autres, auxquelles propositions sont ajoutées celles inscrites dans l'agenda de la DGI. Mais dans ce processus d'élaboration du PLF, il y a des filtres au niveau du Gouvernement et au niveau du Parlement. Les deux chambres sont également amenées à donner leur avis sur les différentes dispositions. In fine, le dernier mot revient au Parlement. Parfois même les dispositions décidées par le Gouvernement peuvent être changées de manière substantielle ou rejetées. En ce qui concerne l'amnistie relative aux majorations de retard (Article 10), nous avons tablé sur un montant de 1,5 milliard de DH. Aujourd'hui, nous en sommes à 600 MDH. Mais il se peut que dans les deux prochaines semaines, le recouvrement s'améliore davantage. Donc dans une conjoncture difficile, si nous atteignons le 1,5 Md de DH, ça sera une bonne chose. L'amnistie est-elle toujours la solution idoine ? Justement il est à préciser que l'instauration de l'amnistie d'une manière régulière n'est pas une bonne chose en soi parce que les gens vont s'habituer à ne pas payer et attendre la prescription qui va effacer l'ardoise ou une éventuelle amnistie fiscale. L'amnistie fiscale est certes un instrument intéressant parce qu'il assainit en empêchant les arriérés de s'accumuler. Toutefois, il faut manier l'amnistie fiscale avec parcimonie et beaucoup de prudence. Autrement dit, lorsque la DGI fait un redressement qui dépasse économiquement ce qui est possible pour un contribuable ou pour une entreprise, il y a de fortes chances qu'elle alourdit le reste à recouvrer sans aucun intérêt pour les uns et les autres. Une chose est sûre : si l'Administration ne réagit pas rapidement à l'émission d'un impôt ou une taxe, au moment de l'effet générateur, le recouvrement devient de plus en plus difficile avec le temps. Aujourd'hui, la DGI fait en sorte de réagir à temps au moment de l'effet générateur pour éviter les accumulations indues de plusieurs années (parfois 20 ans). Dernièrement la DGI a entrepris une grande opération que l'on peut qualifier d'une presque « amnistie fiscale » en faveur des professions libérales notamment les médecins. Dans quel cadre réglementaire s'inscrit cette opération ? Justement, il ne faut pas la qualifier d'amnistie parce que le cadre légal de l'amnistie est clair. Ce qui est admis dans le cadre de la Loi, c'est plutôt la déclaration rectificative introduite en 2016. Elle est conclue dans le cadre de l'application stricte de la loi, à savoir l'article 221 bis III du Code général des impôts. Sur la base des informations, des recoupements, de croisement de données... qui font que la déclaration d'un contribuable n'est pas régulière, ce dernier est saisi par la DGI pour faire une déclaration rectificative qui annule et remplace la première sans frais, sans pénalités. Ceci est prévu par la loi et la DGI le fait régulièrement à titre individuel. Aujourd'hui, la nouveauté réside dans le système d'informations qui fait ressortir les anomalies d'un point de vue global par catégorie professionnelle. Dans un cadre de plus de transparence, la DGI s'est réunie avec les représentants des différentes professions pour discuter des normes et standards qui sont normaux. Aujourd'hui, la DGI agit en toute légalité en fonction de ce qui a été décidé durant ces réunions. L'avantage de cette approche adoptée par la Direction des impôts est non seulement de trouver un cadre raisonnable pour assainir un passif, mais surtout, et j'insiste là-dessus, un engagement de ces professions d'entrer dans une conformité réelle dans les jours qui suivent. Une telle approche, globale et concertée, est bénéfique pour tout le monde. En plus, l'adhésion est volontaire. Pour les gens qui souscrivent, l'administration ne va pas les contrôler à moins qu'il y ait une anomalie aberrante dans le système. Dès lors, nous regardons de près leur comportement au niveau de la conformité fiscale. Pour les gens qui ne souscrivent pas, de deux choses l'une. Soit que le recoupement ne fait ressortir aucune anomalie et donc il n'y a aucun problème. Soit qu'ils font partie de ceux qui ne déclarent pas et du coup il y a moins de tolérance à leur égard parce que nous leur avons donné une chance qu'ils n'ont pas su saisir. Cette déclaration rectificative ne se traduit-elle pas par un manque à gagner pour le Budget de l'Etat ? Pourquoi un manque à gagner ? L'estimation relative à la régularisation des médecins dépasse 600 MDH. Au cours des dernières années, le contrôle des médecins permet une recette de 30 millions ou 40 millions de DH par an. Il faut être réaliste, la DGI n'a pas les moyens pour contrôler dans les détails 16.000 médecins d'une manière systématique. Je préfère établir un cadre institutionnel avec un Ordre, un syndicat, une fédération... où les opérateurs viennent en masse. Cette démarche est bénéfique pour les deux parties. En plus, le plus important pour nous est l'engagement futur. L'IR professionnel a toujours posé un problème pour nous parce que tout le monde a crié à l'acharnement. Mais il n'est pas juste qu'une personne qui gagne trois fois plus paie moins qu'une autre salariée soumise au prélèvement de l'IR à la source. Or l'un des fondamentaux de la Constitution est l'équité fiscale. Au-delà des recettes fiscales, c'est plus une question de pacte social pour vivre ensemble et aspirer à un avenir meilleur. Mon principal souci c'est comment élargir l'assiette et baisser la pression fiscale. Pour y parvenir, il faut que tout le monde contribue selon sa capacité. Parfois le coût de la conformité est marginal. Il n'y a pas que les médecins, toutes les catégories sont concernées. D'ailleurs le commerce de gros figure en tête des priorités de la DGI pour l'année prochaine. En procédant à des recoupements d'informations, il ressort que plus de 5.000 opérateurs (qui sont connus) paient mois de 5.000 DH/an. Pis encore, 47.000 entreprises issues de cette catégorie réalisent un chiffre d'affaires de 53 Mds de DH mais ne déclarent pas leurs résultats. Rien qu'en matière de TVA, ce sont 8 Mds de DH de perdus. Les niches de déperdition et d'érosion de la base fiscale vont se traduire par un potentiel de recettes pour l'Etat et permettre de diminuer la pression fiscale pour tout le monde. Et, partant, améliorer la compétitivité du tissu économique national. Le Maroc est aujourd'hui en train de revoir son modèle de développement économique pour une meilleure inclusion sociale. Dans ce contexte particulier, la question de l'équité fiscale devient plus pressante. Quelles sont les mesures qui vous paraissent les plus plausibles pour aboutir à plus d'équité fiscale ? Avec la réflexion sur le nouveau modèle de développement économique, tous les chantiers sont ouverts en parallèle y compris celui de la fiscalité. D'ailleurs, les Assises sur la fiscalité sont prévues pour mai prochain. Un comité scientifique ainsi que des groupes de travail sont constitués pour mettre à plat tout le système fiscal (fiscalité de l'Etat, locale, parafiscalité...). L'objectif est de se pencher sur la neutralité absolue de la TVA et puis se fixer des objectifs en matière de taux des autres impôts pour les prochaines années avec comme leitmotiv l'équité et la compétitivité. Le but est d'aboutir à un modèle fiscal qui permet de créer le maximum d'emplois, de richesses... Autre principal objectif des Assises sur la fiscalité est de voir la physionomie du futur système fiscal, de lui donner une feuille de route et de programmer des dispositions pour chaque année en fonction des objectifs à atteindre. On n'est pas obligé pour chaque Loi de Finances de sortir avec plus de 80 dispositions fiscales. Il se peut qu'il y ait des corrections ou des mesures paramétriques, mais dans le fond les investisseurs ont besoin d'une visibilité fiscale à long terme d'où la nécessité d'un système fiscal stable. Dans cette quête de plus d'équité fiscale, l'Administration a-t-elle pensé à un dispositif pour intégrer les GAFA dans la masse des contribuables ? Les GAFA posent un problème très complexe et nous ne sommes pas encore très préparés pour s'y attaquer. Il s'agit d'un nouveau modèle qui prend de plus en plus forme. Bien entendu à l'occasion des Assises sur la fiscalité, il y a un groupe de travail spécialisé qui se penchera sur les aspects techniques liés aux GAFA. Assurément, il faut se préparer mais il y a des dossiers plus urgents tels que les contribuables qui échappent complètement aux radars de la DGI. Aujourd'hui avec les systèmes d'information, les relances sont gérées de manière automatique, d'où la nécessité de rappeler ces contribuables à l'ordre pour qu'ils s'acquittent de leurs impôts. La DGI a pour ambition de digitaliser entièrement ses opérations en 2019. Où en êtes-vous par rapport à vos objectifs ? La digitalisation n'a jamais été un objectif en soi pour la DGI. Aujourd'hui avec le Big Data et l'intelligence artificielle, le but recherché est de faire ressortir des informations ayant un sens pour l'Etat afin qu'il puisse se projeter dans un meilleur système fiscal qui permet l'équité, la compétitivité et qui draine le maximum de ressources financières pour l'Etat.