Ecrit par Imane Bouhrara | La disposition de Retenue à la source telle que contenue dans le PLF 2023 continue de susciter beaucoup de remous auprès de différents corps de métiers. Pour mieux expliquer en quoi cette disposition est une aberration, les professionnels du chiffre livrent des exemples concrets. La proposition de soumission des personnes assujetties à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu selon le régime du résultat net réel ou simplifié, qui perçoivent des honoraires, des commissions, des frais de courtage ou d'autres rémunérations du même type, à une retenue à la source au taux non libératoire fixé à 20 %, essuie une volée de bois vert. Pour l'ensemble de ces catégories, il est prévu dans le PLF que l'impôt retenu à la source soit déduit du montant total de la déclaration de l'IR avec droit de récupérer la différence. Hormis la note circulaire n°717, il n'existe pas de précisions sur les métiers concernés, ce qui élargit le spectre des mécontents de se voir imposés sur un honoraire ou un bénéficie qu'ils n'ont même pas encore perçu. Mais dans la pratique d'autres exemples plus concrets tendent à monter en quoi cette disposition peut se révéler être une aberration. Et qui mieux que les professionnels du chiffre, eux même concernés par cette disposition, pour démontrer les conséquences d'une telle disposition. Ainsi, selon ARJI Abdelaziz, Expert-comptable et commissaire aux comptes, fondateur du cabinet EURODEFI-AUDIT, « cette retenue à la source ne doit pas concerner les professions qui établissent un bilan fiscal, elle va encourager l'incivisme fiscal et l'informel, elle va générer des contentieux avec l'Administration fiscale et de surcroît, elle va rompre la confiance fiscale que les Experts comptables et les professionnels du chiffre et du droit en général ont eu du mal à établir avec la DGI ces dernières années. Voici quelques exemples de situations auxquelles pourrait conduire l'application de la retenue à la source sur le chiffre d'affaires. Premier scénario, une entreprise « A » décroche un contrat de prestation de 100.000 DH, sur lequel il est escompté un bénéfice de 40 %. L'entreprise « A » décide de sous-traiter à 100 % le contrat à une entreprise « B » à 80.000 DH pour se laisser 20% de bénéfice sur le contrat. Au règlement de la prestation, l'entreprise « A » se fait retenir 20 % de retenue à la source et ne reçoit que 80.000 DH. L'entreprise « A » paie l'entreprise « B » en appliquant la retenue de 20 % et lui verse 64.000 DH. Résultat des courses, l'entreprise « A » voit tout son bénéfice (20.000 DH) retenu à 100 % par l'Etat et l'entreprise « B » voit son bénéfice (20.000) retenu à hauteur de 16.000 par l'Etat. L'Etat se retrouve avec une recette fiscale de 36.000 DH sur une prestation ne gérant qu'un bénéfice de 40.000 pour les deux entreprises. L'IS final pour les deux entreprises ne devant être que de 8.000 DH (40.000 x 20%), l'Etat se retrouve avec une recette fiscale multipliée par 4,5, prélevée du circuit économique dans un pays où les entreprises peignent à se financer. Deuxième exemple tout aussi édifiant, une entreprise « A » démarre son activité en décembre 2023 et facture une prestation pour 100.000 DH à l'entreprise « B ». A la fin de l'année, et compte tenu de ses charges elle dégage, à tout casser, 50.000 DH de bénéfice générant un IS de 10.000 DH (au taux de 20 %) qui doit être payé avant le 31.03.2024. Ayant quelques difficultés de trésorerie, l'entreprise « B » ne paie l'entreprise « A » qu'en avril 2024 et opère une retenue de 20 % sur la facture de 100.000 DH. Au final, le bénéfice réalisé par l'entreprise « A » se retrouve imposé une deuxième fois, avec la retenue à la source opérée sur la facture l'ayant généré. Pour un bénéfice de 50.000 DH, l'état se retrouve avec une recette fiscale de 30.000 DH, soit 3 fois le montant de l'IS dû, soit 10.000 DH (50.000 x 3). Dernier exemple, l'entreprise « A » facture une prestation à l'entreprise « B » pour un montant de 100.000 DH. L'entreprise « B » règle l'entreprise « A » et effectue la retenue à la source de 20 %, soit 20.000 DH. Etant en difficulté de trésorerie, l'entreprise « B » affecte la retenue à la source au paiement des salaires de son personnel et ne la reverse pas à l'Etat. L'entreprise « A » dégage un déficit en fin d'année et demande à l'Administration la restitution de la retenue à la source. Résultat des courses, soit l'Administration se plie à la lettre des dispositions prévues dans le PLF 2023 et procède à la restitution de la retenue à la source sans l'avoir encaissée. Et ce, faisant l'application de la retenue à la source réduirait les recettes fiscales, au lieu de les augmenter ; Soit que l'Administration refuse la restitution en arguant du non reversement de la retenue à la source par l'entreprise « B », ce que ne prévoit le PLF 2023. Et ce faisant, l'entreprise « A » est mise en difficulté et se retrouve, malgré elle, à financer l'entreprise « B ». Alors que le PLF 2023 a été présenté vendredi dernier devant la Chambre des conseillers, il devra être soumis à une deuxième lecture à la 1e chambre et adopté à la majorité. Pendant ce temps les réactions des professionnels multiplient, particulièrement les professions réglementées. Ainsi, après les avocats, c'est au tour des comptables agréés d'observer un sit-in à l'appel de l'OPCA ce 17 novembre devant le Parlement contre cette disposition qu'ils jugent désastreuses pour les PME-TPE, pour le climat d'investissement mais aussi la situation financières des professionnels concernés. A suivre.