Ecrit par S. Es-Siari | Le Sommet mondial sur les finances publiques, tenu les 1er et 2 juin à Tallinn, organisé par le ministère des finances d'Estonie a vu la participation des dirigeants du secteur public des ministères des Finances et des Trésors publics du monde entier. Le Maroc y a pris part à travers le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda. Dans son intervention, Noureddine Bensouda a tenu à rappeler les nombreux défis auxquels sont confrontées les finances publiques et qui se sont amplifiés au fil de l'eau. Et pour cause : l'évolution du monde est de plus en plus mouvementée et presque volatil. Ce qui rend la prise de décision en matière de finances publiques nécessitant prévision et visibilité, un exercice complexe voire difficile. « Les responsables des finances publiques, chargés de la mise en œuvre de ces décisions, se voient, du fait de leur expertise, assignés comme conseillers et doivent accompagner les décideurs politiques et leurs actions », annonce le Trésorier Général du Royaume. Vaille que vaille, la situation économique et sociale d'aujourd'hui est différente de celles que nous avons connues auparavant. Et même si certains la comparent aux crises des années 1970, force est de constater que les solutions qui fonctionnaient à l'époque, à savoir le recours à la dette, ne fonctionneront plus aujourd'hui ou du moins ne donnent plus les fruits escomptés. Il suffit de prendre l'exemple des deux années de crises ayant mis à genoux le monde entier et, plus récemment, la guerre en Ukraine compliquant davantage la situation. « Ces deux années de crise sanitaire ont clairement montré, à ceux qui en douteraient encore, qu'il nous fallait fondamentalement plus de dépenses de santé et d'éducation,... Bref, des dépenses centrées sur l'humain », explique Bensouda. Cela a été bien mis en évidence par Geoffrey Rose, un célèbre épidémiologiste de la seconde moitié du XXe siècle qui a déclaré : « La médecine et la politique ne peuvent et ne doivent pas être séparées ». Par conséquent, nous avons besoin de plus d'innovation pour mieux dépenser, afin de maximiser le retour sur investissement (ROI) des dépenses publiques et d'utiliser son effet de levier pour l'ensemble de l'économie. Pour considérer la finance comme un catalyseur et non comme une contrainte, les politiciens et les décideurs des finances publiques doivent comprendre l'environnement dans lequel ils opèrent. Il est fait allusion à l'environnement national et international. Au niveau national, il est essentiel de bien connaître les besoins réels de l'Etat, des entreprises, des ménages et de la société civile (ou tiers secteur), en utilisant des institutions, des outils et autres,... qui fournissent des informations précises sur la réalité de la société. Cela nécessite d'établir une relation de confiance et une réelle proximité qui pourraient favoriser les échanges et la collaboration. Et en tant que telle, plus la démocratie devient forte, plus elle joue pleinement ce rôle. Cela fonctionnerait mieux, car il a été observé que les citoyens ont moins confiance en leurs gouvernements dans les pays les plus inégalitaires : En effet, les inégalités minent la démocratie et le marché. Les politiciens doivent comprendre cela. De plus, ils devraient en être convaincus et changer leur attitude à l'égard des inégalités . L'exemple des pays scandinaves, non loin de chez nous, est un exemple éclairant. Il semble en effet évident que dans un pays où le citoyen se sent soutenu, soigné et protégé par la collectivité, il est moins enclin à rechercher l'accumulation de capital, puisqu'il n'en ressent plus le besoin. Et c'est la voie que le Maroc a choisi de suivre, rappelle Bensouda, en généralisant le système de santé et de protection sociale, toutes catégories confondues : maladies, retraites, chômage, etc. Au niveau international, les décideurs doivent bien comprendre comment fonctionne le monde. Ils doivent adapter leur état d'esprit à ces nouvelles réalités. Les relations internationales ne sont plus les mêmes et les règles, autrefois communément admises, semblent s'essouffler ces derniers temps. Le protectionnisme revient. Et l'un des pays les plus libéraux en l'occurrence les Etats-Unis finit par subventionner les ménages et les entreprises pour les aider à faire face à la crise économique et sociale qui a touché le pays. En France, le gouvernement a dû mettre la main à la poche pour atténuer les effets de la situation très particulière qu'il subissait. La succession des crises pose de plus en plus de défis aux finances publiques dans le monde. Dans ce contexte, il est impératif de refonder et d'adapter la gouvernance publique. En effet, au-delà des contraintes nationales et des défis auxquels chaque pays est confronté, il est utile de rappeler que le monde est de plus en plus globalisé. L'interdépendance toujours plus grande de nos économies rend ces crises encore plus complexes et difficiles à gérer. Avec la perturbation des chaînes d'approvisionnement, la hausse des prix des matières premières, notamment l'énergie, l'inflation, etc., la « bonne gouvernance » des finances publiques est devenue plus importante que jamais. Pour les décideurs, il est nécessaire d'avoir une vision claire et globale de l'évolution à moyen terme des finances publiques, centrée sur les enjeux et les risques et adaptée aux contingences nationales. « C'est précisément le défi que nous devons relever si nous voulons trouver un équilibre durable entre nos besoins actuels et nos objectifs à moyen et long terme », annonce le Trésorier Général du Royaume. Il est important aujourd'hui non seulement d'ajuster les mesures en fonction de la situation actuelle, mais aussi de réfléchir aux moyens de rendre nos économies plus durables pour l'avenir. Il insiste sur le fait que l'amélioration de la qualité de vie n'est plus dépendante de la croissance économique. Encore faut-il connaître le type de croissance dont on parle. L'enjeu principal est désormais la vie collective et les relations entre les uns et les autres. La pandémie de Covid-19 l'a fait savoir. En effet, de nombreux gouvernements encouragent, par exemple, l'actionnariat salarié, partant du principe qu'il réduit les frictions entre employeurs et salariés et, ainsi, améliore leur relation permettant le développement d'activités et d'entreprises. Cependant, cela ne sera efficace que s'il s'accompagne d'une réelle participation des salariés au processus décisionnel. L'enjeu réside aussi dans la lutte contre « les concentrations de pouvoir qui sont au cœur de la vie économique ». « Mais, nous devons être conscients que le chemin pour atteindre ces objectifs est très difficile. Nous croiserons sur notre chemin de nombreux « marchands de doute » qui tenteront de discréditer des faits scientifiques et des vérités avérées afin de retarder voire d'éviter des décisions politiques. » avise Noureddine Bensouda.