Ecrit par Soubha Es-Siari| Le consentement à l'impôt se pose avec acuité dans un contexte de crise économique profonde. Cette crise a mis en exergue l'importance des recettes fiscales et comment leur baisse drastique a creusé le déficit budgétaire. Un creusement qui s'est traduit pour l'Exécutif par un recours effréné à l'endettement. Il est aussi évident que la relance économique ne peut se faire sans un maniement intelligent de la fiscalité. Il faut trouver le bon dosage pour améliorer les recettes fiscales sans pour autant étouffer le tissu productif. Le Webinaire organisé ce samedi 20 mars par la Trésorerie Générale du Royaume en partenariat avec Fondafip sur le consentement à l'impôt : comment le réactiver ? se veut une réponse à toutes les questions gravitant autour de cette problématique qui faut-il rappeler ne date pas d'aujourd'hui ? L'étroitesse de la base fiscale dans notre pays interpelle à plus d'un titre. 300 entreprises réalisent 50% de la fiscalité IS/IR/TVA. D'où l'urgence de réactiver le consentement à l'impôt. De par son importance et son rôle dans le développement économique, il est judicieux de prêcher la bonne formule en ces temps difficiles. Mais encore faut-il que les citoyens y adhèrent. Comme rappelé par le Trésorier Général du Royaume, Noureddine Bensouda dans son discours introductif : « Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Et d'enchaîner : « Il en découle que l'impôt revêt une portée politique, dans la mesure où la levée de l'impôt doit être explicitement acceptée par ceux qui le supportent ou par leurs représentants, avec comme objectif d'assurer l'équilibre nécessaire entre les exigences de l'Etat et le respect des droits des individus ». C'est le principe de la légalité de l'impôt, dont la conséquence, selon le Professeur Michel Bouvier, président de Fondafip est que « seul le Parlement est habilité, dans le cadre d'une loi de finances ou d'une loi ordinaire, à créer, modifier ou supprimer un impôt, à en définir les règles d'assiette, de calcul et de recouvrement ».
Ces écueils à éviter… En effet au Maroc, bien que la Constitution dans son article 71 stipule que le régime fiscal et l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts, font partie du domaine de la loi, il est constaté des égarements. « Cet axiome de base ne s'est-il pas un peu érodé avec le temps à cause des incursions qu'il subit ? » s'interroge le Trésorier Général du Royaume. Outre l'incursion traditionnelle du gouvernement ou de l'Administration fiscale, N. Bensouda en énumère d'autres pour ne citer que les effets de la mondialisation, le pouvoir grandissant des multinationales et principalement les GAFA, l'influence des organisations internationales qui établissent des standards de systèmes fiscaux et des modèles en matière de fiscalité internationale... Autrement dit avec toutes ces incursions et ces mutations perpétuelles, le pouvoir fiscal est détenu par une foultitude d'acteurs aux intérêts bien divergents. « C'est ainsi, qu'à côté du Parlement, l'exécutif est souvent appelé à jouer un rôle essentiel dans le domaine ; il faut également souligner le poids des administrations financières dont l'influence n'est pas négligeable, celui de même des acteurs socio-professionnels, ou bien encore l'ouverture de plus en plus grande des échanges au plan international ; autant de facteurs qui pèsent sur le pouvoir de décision fiscale et ne lui permettent qu'une autonomie relative », explique M. Bouvier. Il corrobore ses propos par des exemples tels que les accords de libre-échange ou les conventions d'intégration régionale qui limitent, en quelque sorte, le pouvoir du parlement, bien que le consentement juridique soit bien fondé ou encore la mondialisation qui exige la conclusion d'un certain nombre de conventions bilatérales. Dans ces cas de figure, les pays en développement ne peuvent que se plier aux dictats des pays développés. « A titre d'illustration, lorsque l'Union Européenne a pris l'initiative de lutter contre les pratiques fiscales dommageables notamment les paradis fiscaux, les Etats en relation avec l'Europe étaient obligés de souscrire à cette vision », est-il rappelé. A l'instar d'autres pays, le Maroc a dû réduire voire supprimer les régimes fiscaux incitatifs, au risque de continuer à figurer sur la « liste grise » des paradis fiscaux établis par l'UE. Le Maroc a dû revoir de fond en comble son régime fiscal d'encouragement aux exportateurs et modifier en substance le statut de Casa Finance City, hub financier en Afrique, créé en 2010. Et pourtant ces incitations fiscales accordées faisaient bien partie de la politique de développement économique du pays. « Que peut faire le parlement devant cette réalité ? Comment le principe de consentement à l'impôt peut-il résister à cette mondialisation ?» s'interroge Noureddine Bensouda. Des questions tout à fait légitimes et qui reflètent l'étroitesse de la marge de manœuvre de l'Exécutif et du Parlement. L'analyse que nous livre le Trésorier Général du Royaume met en évidence que le consentement à l'impôt est battu en brèche. Aussi et même sur le plan interne, le consentement à l'impôt laisse à désirer dans la mesure où parfois il accroit les privilèges des uns au détriment des autres. Faut-il rappeler que les dépenses fiscales représentent 3 à 4% du PIB et ce sont les mêmes qui en bénéficient (Immobilier, agriculture…). Tout ce qui précède augure de la réactivation du consentement à l'impôt. Comment ? N. Bensouda estime que 4 voies sont possibles : La première voie est l'encadrement du pouvoir réglementaire en matière fiscale. En vue de respecter la séparation des pouvoirs et sauvegarder le consentement à l'impôt, il est fondamental que le pouvoir réglementaire ne puisse agir que lorsqu'une disposition fiscale peut être détachable d'une règle d'assiette, de liquidation ou de recouvrement. La deuxième voie est l'encadrement du pouvoir d'interprétation de l'administration fiscale. En effet, du fait que les dispositions fiscales, contenues dans les lois de finances, ont un caractère général et ne peuvent plus être comprises simplement, l'administration fiscale fournit sa propre interprétation de ces dispositions, à travers des circulaires et des instructions qui n'ont pas force de loi, mais qui constituent la doctrine fiscale. La troisième voie est la maitrise de la connaissance fiscale. Les Etats doivent investir dans la formation de leurs ressources humaines dans ce domaine, afin de comprendre les enjeux au niveau international. La quatrième voie est l'accélération du développement économique pour pouvoir être reconnu mondialement et compter dans les organisations internationales, afin de contribuer à la conception des systèmes et modèles fiscaux. Lire également : Consentement à l'impôt : quid de la complexité du système fiscal marocain ?