Ecrit par Imane Bouhrara | La révision tant attendue du décret sur les marchés publics semble être dans la dernière ligne droite. Une nouvelle version, non-définitive faut-il souligner, a vu le jour. Dans quelle mesure réponde-t-elle à toutes les doléances et critiques du texte actuel ? Depuis le temps, la réforme de la commande publique particulièrement la révision du décret des marchés publics semble imminente comme en témoigne la dernière version du projet de décret bien qu'elle ne soit pas définitive. Il manque encore des détails pour ne citer que les modalités de calculs des honoraires des architectes pour les prestations architecturales. Une révision qui vient répondre aux doléances des acteurs économiques particulièrement les structures de petites tailles qui ne profitent pas de cette dynamo de l'activité économique qu'est la commande publique. Une réforme qui vise une amélioration de l'accès à ce marché par les TPME, de la transparence dans l'élaboration de ces marchés et leur annulation, la problématique du cautionnement, l'équité et bien d'autres. A la lecture de cette version du projet de décret datée du 14 avril 2022, on note d'emblée, que l'objet et le champ d'application sont élargis. Le projet de décret fixe désormais les conditions et les formes dans lesquelles sont passés les marchés de travaux, de fournitures et de services pour le compte des départements ministériels ou institutions, des collectivités territoriales, des groupements ou des personnes morales de droit public relevant d'une collectivité territoriale, ainsi que les établissements et entreprises publics bénéficiant de ressources affectées ou de subventions de l'Etat. Les établissements et entreprises publics exerçant des activités à caractère marchand doivent disposer d'un référentiel unique régissant la passation de leurs marchés publics qui doit être conforme aux dispositions du présent décret concernant les principes fondamentaux, les règles de publicité et de mise en concurrence et celles applicables aux prestations architecturales, à la dématérialisation, à la gouvernance et aux réclamations et recours. Les dérogations sont également élargies pour contenir les contrats de partenariat public-privé ; et les opérations de cession de biens entre services de l'Etat ou entre l'Etat et des collectivités territoriales, des groupements ou des personnes morales de droit public relevant d'une collectivité territoriale, ou entre l'Etat et les établissements et entreprises publics. Aussi, les marchés de travaux incluront-ils également les contrats relatifs à la restauration des ouvrages traditionnels, historiques et anciens tels que définis par la législation relative à la conservation des monuments historiques, des sites, des inscriptions, des objets d'art et d'antiquité. Par ailleurs, parmi les nouveautés apportées par le projet de décret, celle de l'introduction du dialogue compétitif qui est un mode de passation des marchés portant sur des projets de nature complexe ou des projets innovants pour lesquels le maître d'ouvrage n'est pas en mesure de définir, par ses propres moyens, les besoins à satisfaire ou les conditions techniques de réalisation du projet et le montage juridique et financier y afférent. Le recours au dialogue compétitif est soumis à l'autorisation préalable du chef de gouvernement après avis de la commission nationale de commande publique. Egalement, le prix proposé dans la loi actuelle est remplacé dans le projet de décret par l'offre économiquement la plus avantageuse. Pour les marchés de travaux et les marchés de services autres que les études, cela signifie l'offre financière la mieux-disante. Bien évidemment, toute la pertinence de la réforme ne réside pas uniquement dans le décret puisqu'il faut attendre les textes d'application pour prendre la pleine mesure du changement apporté en tenant compte du prix de référence ; pour les marchés de fournitures, c'est l'offre la mieux-disante en tenant compte, le cas échéant, de la combinaison du prix d'acquisition et l'évaluation monétaire du coût d'utilisation et/ou de maintenance pendant une durée déterminée dans les conditions prévues à l'article 18 du projet de décret et du prix de référence. L'offre économiquement la plus avantageuse, pour les marchés de services portant sur des prestations d'études, est l'offre ayant obtenue la meilleure note technico-financière dans les conditions prévues à l'article alors que pour les marchés de services autres que les études dont le règlement de consultation prévoit une offre technique, est l'offre ayant obtenu la meilleure note technico-financière dans les conditions prévues à l'article 154 bis du même texte. Dans le projet de décret, le seuil pour la passation de marchés sur appel d'offres restreint pour les prestations qui ne peuvent être exécutées que par un nombre limité d'entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services, en raison de leur nature, de leur particularité, de l'importance des compétences et des ressources à mobiliser, des moyens et de l'outillage à utiliser a été relevé de 2 à 5 MDH TTC. Pour ce qui est des délais de publicité des appels d'offres, le projet de décret intègre la décision de modification telle que publiée dans le BO le 24 mars 2022. Pour ce qui est du cautionnement provisoire, le montant doit être exprimé en valeur et fixé à 1% du montant de l'estimation établie par le maître d'ouvrage. Toutefois, pour les marchés dont le montant estimé est inférieur à 500 000 dirhams toutes taxes comprises, aucune garantie pécuniaire à titre de cautionnement provisoire n'est exigée des concurrents, lit-on dans le projet de décret. A noter également, que le texte précise que pour participer et être attributaires des marchés publics, les entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services doivent appartenir à l'une des professions correspondant à l'objet du marché. Quid de la préférence nationale ? Mais l'essence même de cette révision est véritablement de renforcer l'accès aux marchés publics pour les petites et moyennes entreprises et pour les compétences locales et c'est introduit au niveau de l'article relatif à la forme et contenu des marchés, précisément les cahiers des prescriptions spéciales qui doivent contenir parmi les mentions une clause de recours à l'emploi de la main d'œuvre locale pour les marchés de travaux et de services autres que les études. Une clause de recours au savoir-faire des artisans pour les marchés comportant une composante artisanale est également introduite ainsi qu'une clause de recours aux experts nationaux par les concurrents étrangers soumissionnaires aux marchés portant sur les études, y compris les marchés de conception et de développement des systèmes d'information, aux ressources nationales. Par ailleurs et dans le même sens, le projet de décret dont EcoActu.ma détient une copie prévoit pour la publication des programmes prévisionnels la mention de réservation du marché à la petite et moyenne entreprise nationale, aux 32 coopératives, aux unions de coopératives et à l'auto-entrepreneur, selon le cas. A souligner également l'introduction par ce projet de décret sur les marchés publics de l'appel d'offres national où les entreprises nationales sont admises à y participer. Sauf cas dûment justifié par un certificat administratif, il est ainsi fait recours à l'appel d'offres national lorsque le montant estimé du marché est égal ou inférieur à dix millions de dirhams hors taxes pour les marchés de travaux et à un million de de dirhams hors taxes pour les marchés de fournitures et de services. Les entreprises étrangères peuvent prendre part aux marchés internationaux à côté des entreprises marocaines, lorsque le montant de ces marchés estimé est supérieur aux seuils mentionnés dans l'appel d'offre national. Pour les marchés de services et lorsque la présentation d'une offre technique est exigée, les critères d'évaluation des offres des concurrents prennent en compte le recours par les concurrents étrangers soumissionnaires aux marchés portant sur les études, y compris les marchés de conception et de développement des systèmes d'information, à des experts nationaux. Pour ce qui est des prestations architecturales, le projet de décret sur les marchés publics prévoit le recours aux produits d'origine marocaine notamment les produits artisanaux dans la proposition technique. Et c'est là un nouvel élément parmi les critères de qualité retenus dans le choix et le classement des offres. Pour le marché des études, le cahier des prescriptions spéciales indique que les bureaux d'études étrangers sont tenus d'associer, sauf indisponibilité, des experts nationaux dans une proportion qui ne peut être inférieure à 10% des 195 experts affectés au marché. Il fait également apparaître les missions confiées aux experts nationaux, selon le projet de décret. Et c'est en plus un nouveau critère d'évaluation de la qualité de l'offre. Concernant les Marchés de services autres que les études, lorsqu'il s'agit de marchés portant sur les prestations relatives à la conception, au développement et à la mise en œuvre des systèmes d'information, le cahier des prescriptions spéciales indique que les concurrents étrangers sont tenus d'associer, sauf indisponibilité, selon l'importance du marché, des experts nationaux dans une proportion qui ne peut être inférieur à 10% des experts affectés au marché. Il fait également apparaître les missions confiées aux experts nationaux. Venons-en à la compensation industrielle. Le projet de décret prévoit que les marchés relatifs aux grands projets à caractère complexe concernant notamment, les secteurs d'activités liés à la défense, à la sécurité, à l'industrie, à l'énergie et aux nouvelles technologies peuvent comporter une ou des clauses de compensation industrielle et ce, dans le respect des engagements internationaux pris par le Royaume du Maroc. La compensation industrielle peut porter, sans contrepartie financière de la part du maitre d'ouvrage, notamment, sur le transfert de compétences ou de technologies, la formation, l'achat ou l'utilisation de produits locaux, l'intégration industrielle, la maintenance et le service après-vente. Le règlement de consultation doit prévoir les critères devant servir à l'évaluation des éléments des offres des concurrents relatifs à la compensation industrielle. Quant à la préférence nationale, les montants des offres présentées par les entreprises étrangères sont majorés d'un pourcentage prévu au règlement de consultation, fixé à 20 %. Pour ce qui est des mesures en faveur de la petite et moyenne entreprise, des coopératives, des unions de coopératives et de l'auto-entrepreneur, pas de changement prévu dans le projet de décret donc le maître d'ouvrage est tenu de réserver un pourcentage de 30 % du montant prévisionnel des marchés, qu'il compte lancer au titre de chaque année budgétaire, de manière globale. Sauf s'il y aura par la suite une modification au niveau de l'arrêté du ministre chargé des finances fixant les conditions et les modalités d'application. Par contre en matière de sous-traitance, le projet de décret sur les marchés publics stipule que le maître d'ouvrage doit prévoir dans le cahier des prescriptions spéciales une clause en vertu de laquelle lorsque le titulaire d'un marché de travaux est une entreprise étrangère, celle-ci est tenue de sous-traiter au moins 20% du montant dudit marché, au profit de l'entreprise nationale, sous réserve des dispositions de l'avant dernier alinéa du présent article et de disponibilité de sous-traitants nationaux. Lorsque le titulaire du marché est un groupement comprenant des entreprises nationales et étrangères, le pourcentage visé ci-dessus est appliqué à la part des entreprises étrangères dans le montant de l'offre du groupement, précise-t-on. Bien évidemment, toute la pertinence de la réforme du décret sur les marchés publics ne réside pas uniquement dans le décret puisqu'il faut attendre les textes d'application pour prendre la pleine mesure du changement apporté.