Ecrit par Imane Bouhrara | Bank Al-Maghrib (BAM) est parmi les acteurs clés pour palier les effets de la crise pandémique, celle de l'Ukraine actuellement et il y a plus de dix ans celle des subprimes. Et à chaque fois ses faits et gestes sont scrutés vu les conséquences importantes de ses décisions pour l'économie et la finance au Maroc. Les crises plaident-elles en faveur d'une révision de la mission de BAM ? La réponse avec Abdellatif Jouahri, Gouverneur de la Banque Centrale. Au moment où la Réserve fédérale américaine et la Banque d'Angleterre veulent entamer la normalisation de leur politique monétaire et que la BCE est chamboulée par la guerre en Ukraine, Bank Al-Maghrib maintient son taux directeur inchangé et poursuit sa politique accommodante, à l'issue de son conseil tenu le 22 mars. Derrière ce choix, « La situation que nous vivons aujourd'hui est très honnêtement inédite. Les prévisions sont entourées d'incertitudes à un niveau encore plus élevé que celui que nous a imposé la pandémie. Nous allons suivre de très près cette évolution », explique Abdellatif Jouahri, Wali de BAM interpelé par nos soins lors de la conférence de presse qui a suivi le Conseil. Le gouverneur illustre son propos par la FED qui lors de sa réunion du 16 mars a baissé ses prévisions de 1,2 % de croissance par rapport à la réunion précédente, c'est dire que toutes les banques centrales et tous les organismes qui élaborent des projections sont obligés d'adapter leurs prévisions au fur et à mesure de l'évolution de la conjoncture. Le deuxième élément cité par le Wali de BAM est que même les modèles utilisés dans ces circonstances-là, il faut les recouper avec d'autres éléments pour pouvoir essayer d'arriver à des chiffres qui se rapprochent le plus de la réalité. « Même les chiffres que nous vous donnons aujourd'hui, nous allons peut-être les réviser dans les mois à venir supposé que sur la campagne agricole nous n'avons pas tenu compte des précipitations du mois de mars qui auront un impact important sur les cultures printanières. Si ces cultures sont épargnées du déficit pluviométrique, il est vraisemblable que nous ferons une croissance au-delà de 2,5% », explique-t-il. Et d'ajouter « Le suivi et l'actualisation des données nous permet d'adapter la politique monétaire qu'elle soit la mieux appropriée à la conjoncture à venir ». Sommes-nous dans une révision de la mission de BAM ? « D'abord, j'ai toujours dit même à la CSMD qui avait préconisé une mission duale pour la Banque centrale, que ce que nous faisons n'est pas uniquement tiré par l'inflation puisque toute la politique non conventionnelle de la Banque centrale est au profit des entreprises, des crédits à donner aux entreprises et par conséquent au profit de l'activité économique », soutient Abdellatif Jouahri. Pour le haut responsable, le meilleur apport que la Banque centrale puisse faire c'est la stabilisation de l'inflation et donc l'évolution des prix. « C'est très important de garder une inflation raisonnable et maîtrisée dans les périodes que nous courons qui sont de deux années. Et pour les décideurs, qu'ils soient épargnants ou investisseurs, ou opérateurs économique de manière générale, la maitrise de l'inflation est importante puisqu'elle entre dans le calcul de leur business plan », précise-t-il. La pression inflationniste est bien là Logiquement pour peser sur ce taux, il aurait fallu augmenter les taux de la Banque centrale. « Mais quand on observe 2023 qui fait partie des huit trimestres que nous couvrons, on observe un retour de l'inflation à moyen terme en deçà de 2%. Et vu que la conjoncture sur le plan économique va quand même avoir une baisse significative du taux d'évolution, nous avons fait converger les objectifs d'une inflation maîtrisée à ceux du soutien à l'activité économique avec le maintien d'une politique monétaire accommodante. Au sein du Conseil tout le monde a été convaincu et a accepté ce raisonnement », argumente le gouverneur de la Banque centrale. « Si nous étions face au maintien d'un taux élevé de l'inflation en 2023 avec une projection de croissance de 4,6%, là ça aurait posé le problème d'une autre manière. Là, nous aurions décidé d'augmenter le taux directeur. Mais nous ne sommes pas dans cette configuration », précise-t-il. Quid de l'épargne ? Bien évidemment, la pression inflationniste ne pèse pas uniquement sur les prix mais met à mal les autres composantes tel que l'investissement, l'épargne et la répartition des revenus. A ce sujet, Abdellatif Jouahri rassure : « L'Epargne ne nous a pas échappée. Je peux vous assurer que dans le cadre des considérations au titre global que fait le conseil de BAM pour prendre une décision, il tient en compte des rémunérations de l'épargne financière au niveau du système bancaire en particulier puisque c'est là où nous avons la moyenne des dépôts à terme ». Et là aussi, il souligne l'enjeu qui se pose à savoir de ne pas entrer dans une rémunération qui soit négative pour l'épargnant. Déjà avec la baisse du taux directeur on constate une baisse sur le plan de rémunération et on voit une baisse de l'évolution des dépôts à terme ou une stabilisation autour de 130 à 140 Mds de DH. « A contrario, on voit une hausse significative de l'évolution des dépôts à vue de l'ordre de 7% et plus. C'est un problème à ne pas perdre de vue. Nous en tant que banque centrale, c'est un point que nous analysons au niveau du Conseil et au niveau des décisions de politique monétaire que nous avons à prendre », soutient-il.