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Le contexte énergétique de l'adieu du gouvernement espagnol à un certain Mohamed Ben Battouche
Publié dans EcoActu le 21 - 03 - 2022


Chronologie :
* Ce que tous les Marocains savent déjà : le 18 mars 2022, l'Espagne a reconnu le réalisme du Plan d'Autonomie des Provinces Sahariennes[1] avec toutes les conséquences diplomatiques positives immédiates pour le Maroc mais aussi politiques et économiques à venir pour les deux voisins qui suivraient le communiqué émanant de Pedro Sánchez, Président du Gouvernement espagnol.
* Ce que les Marocains savent moins : en début mars 2022, dans des déclarations faites à la Télévision publique espagnole (TVE), Teresa Ribera, vice-présidente du Gouvernement espagnol et Ministre de la Transition écologique, a révélé qu'elle négociait avec le gouvernement algérien en vue d'une augmentation de l'approvisionnement en gaz naturel pour l'Espagne et pour toute l'Europe[2].
La diplomatie d'un grand pays comme l'Espagne ne se dessine pas à l'échelle de trois semaines et les deux évènements ne peuvent pas et ne doivent pas être disjoints. En effet :
* à moins que le gouvernement algérien n'ait complètement changé d'attitude à l'égard du Maroc, et cela se saurait, le Communiqué de Pedro Sánchez du 18 mars n'aurait évidemment jamais été publié si le gouvernement algérien avait accédé aux demandes d'augmentation de l'approvisionnement en gaz naturel présentées par Teresa Ribera,
* lesdites négociations de Teresa Ribera ne pouvaient pas avoir eu lieu sans que l'Espagne n'ait un plan de sortie en cas d'éventuel échec et c'est finalement le plan de sortie en cas d'échec qui est en train de s'appliquer à la faveur du Maroc et à la défaveur d'un gouvernement algérien qui s'entête à aller contre le Maroc, même en se risquant dans une voie pas clairement dans l'intérêt de l'Algérie.
Mais revenons à quelques chiffres pour essayer de comprendre en quoi le refus des demandes d'augmentation de l'approvisionnement en gaz naturel est-il au détriment de l'Algérie ? Avant cela, rappelons que, jusqu'à fin octobre 2021, la plus grande partie du gaz naturel livré à l'Espagne transitait par :
* le gazoduc MEDGAZ, qui transporte, depuis Mars 2011, du gaz naturel venant de Hassi R'mel vers Almeria (en Espagne) via Beni Saf au Nord Ouest de l'Algérie (210 km sous-marins, d'une capacité de 10 milliards de m3 par an depuis 2021),
* le Gazoduc Maghreb Europe GME (15 km sous-marins de capacité 13.5 Gm3/an) qui, depuis Novembre 1996, transporte aussi du gaz naturel venant de Hassi R'mel mais vers Cordoue (en Espagne) à travers le Maroc et le détroit de Gibraltar en approvisionnant sur son chemin deux Centrales marocaines au Gaz Naturel à Cycle Combiné (CGCC de Aïn Ben Mathar et de Tahaddart). Nous avons déjà évoqué quelques conséquences de la fermeture par l'Algérie du robinet du GME[3].
La Figure 1 montre l'évolution des livraisons de gaz algérien[4] durant l'année 2021 :
* via le gazoduc MEDGAZ (en noir),
* et via le GME, avec :
o les livraisons à l'Espagne en jaune,
o et les prélèvements du Maroc en vert).
Sur la Figure 1, on voit bien la cessation des livraisons à travers le GME dès novembre 2021. On voit aussi que la cessation des livraisons via le GME a certes augmenté les cadences de livraisons de MEDGAZ d'un rythme moyen annuel de 7.8 Gm3/an à 8.8 Gm3/an mais, contrairement aux affirmations des officiels algériens, MEDGAZ à lui seul, ne permet pas de respecter les engagements du contrat d'approvisionnement avec l'Espagne qui stipule un quantitatif minimal de 10 milliards de m3 par (10 Gm3/an).
La Figure 1 montre aussi qu'en 2021, les deux gazoducs ont livré 14.1 Gm3 de gaz naturel algérien à l'Espagne.
Figure 1 Livraisons 2021 de gaz algérien à l'Espagne via les deux gazoducs GME et MEDGAZ
Mais au fait, quelle est la contribution de l'Algérie aux besoins espagnols ? – La Figure 2 montre l'évolution des fournitures annuelles de gaz algérien (GN) à l'Espagne (incluant les livraisons par bateau de gaz naturel liquéfié, GNL) ainsi que leur part dans la demande espagnole entre 2018 et 20212. Mais la Figure 1 montre aussi ce que pourraient être celles-ci en 2022* si la part de 25% qui a été effectivement été assurée entre janvier et février[5] devait se maintenir durant toute cette année 2022.
Figure 2 Le gaz algérien fourni à l'Espagne par gazoduc et par bateau
Il s'avère finalement que l'Algérie a livré 2.1 Gm3 de (GNL) par bateau en 2021 et qu'en 2022, il semble bien que l'Algérie veuille s'en tenir au minimum des livraisons contractuelles de 10 Gm3/an, très loin d'une quelconque augmentation de l'approvisionnement en gaz naturel pour l'Europe. Ce faisant, l'Algérie contribue à accentuer la dépendance gazière de l'Europe à l'égard des blocs Russe et Américain, avec tout ce que cela suppose comme enlisement dans le conflit actuel.
Au point où nous en sommes, nous pouvons nous livrer à des spéculations sur ce qui aurait pu être raisonnablement demandé aux autorités algériennes pour permettre aux européens d'amoindrir les parts russe et américaine dans l'approvisionnement européen en gaz naturel. En plus de rappeler les quantitatifs livrés à l'Espagne entre 2018 et 2021, la Figure 3 montre aussi leur par dans la demande européenne et les 26.7 Gm3 / an qui auraient pu être livrés en 2022** :
* si les livraisons de GNL aux stations de gazéification espagnoles pouvaient être multipliées par trois (2 à 6 Gm3 par an),
* et si les deux gazoducs (MEDGAZ et GME) entraient pleinement en action.
Figure 3 Le gaz algérien fourni à l'Espagne par gazoduc et par bateau, ce qu'il représente dans la consommation européenne
Mais assurer la livraison de telles quantités d'un gaz naturel déjà très cher sans surcoûts de transport, lui-même beaucoup plus cher que d'habitude, suppose implicitement le transit par le GME, donc par le Maroc.
Or, à défaut d'une normalisation des relations, il faudrait à cet effet au moins une reprise du business gazier entre l'Algérie et le Maroc, ce que l'occupant du Palais d'El Moradia et l'oligarchie qui l'a portée au pouvoir ne toléreraient pas, si l'on devait s'en tenir aux « gentillesses » qu'ils continuent à distiller à l'égard du Maroc.
Maintenant que le Gouvernement espagnol semble vouloir, au moins pour le temps de son mandat, tourner la page d'une politique irréaliste, « notre ami le Président » serait encore capable de croire, comme pour la disqualification précoce de l'équipe algérienne de la CAN, que c'est la sorcellerie pratiquée par les Marocains qui a poussé le Gouvernement espagnol à tourner le dos à un certain Mohamed Battouche qu'il a un temps hébergé et soigné envers et contre tout.
Allez, gageons que si ce même Président algérien devait cesser son agressivité à l'égard du Maroc, notre Gouvernement saurait, lui aussi, trouver les mots justes pour renouer avec notre voisin de l'Est mais ce ne sera pas la sorcellerie des Marocains qui aura opéré mais leur magie, celle de la volonté de vivre en paix à l'écart de la « malédiction » des hydrocarbures fossiles qui empoisonne et enflamme la planète en y semant la mort depuis déjà la deuxième moitié du vingtième siècle.
L'augmentation des cours du gaz et du pétrole aura sans doute largement compensé l'Algérie pour la cessation des ventes à travers le GME. Mais des questions restent en suspens. Est-il possible que le gouvernement algérien se soit tiré une balle dans le pied en fermant le robinet du GME sans savoir que les cours allaient monter en flèche ? Aurait-il été informé à l'avance par la Russie de l'invasion de l'Ukraine ?
Abstraction faite de la contribution de la combustion des hydrocarbures fossiles au réchauffement climatique, la crainte de ne pouvoir assurer une transition énergétique « en douceur » avant leur fin annoncée a suscité toutes sortes de conflits dits « régionaux » centrés autour de pays concernés par leur production, leur acheminement ou leurs marchés.
Le contrôle des hydrocarbures fossiles et des ressources naturelles expliquent autant d'alliances dites « contre nature » que, à l'inverse, la création de conflits par l'exacerbation de réflexes identitaires qui n'auraient pas de raison d'être.
Les pays les plus puissants sont prêts à tout pour ne pas perdre leur hégémonie, notamment sur les hydrocarbures fossiles puisque leur compte à rebours est lancé mais, on n'a hélas pas encore trouvé d'organisation des Nations capable de nous prémunir contre la destruction et la mort engendrés par cette lutte pour l'hégémonie.
Par Amin BENNOUNA ([email protected])
Références
[1] Agence MAP, 18 mars 1922, https://www.mapnews.ma/fr/actualites/politique/lespagne-s%E2%80%99engage-%C3%A0-garantir-la-souverainet%C3%A9-et-l%E2%80%99int%C3%A9grit%C3%A9-territoriale-du
[2] David Page, « España negocia con Argelia un aumento del suministro de gas a toda Europa« , Webmagazine Economía 01 mars 2022, https://www.epe.es/es/economia/20220301/espana-negocia-argelia-aumento-suministro-13307126
[3] Amin Bennouna, « Et si l'Algérie ne livrait plus nos centrales électriques en gaz naturel ?« , Webmagazine Ecoactu 22 septembre 2021, https://www.ecoactu.ma/algerie-centrales-electriques-gaz-naturel/
[4] Anna Shiryaevskaya, « Spain's Algerian Gas Imports Via Morocco Stop as Deal Ends« , Bloomberg https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-11-01/spain-s-algerian-gas-imports-via-morocco-stop-as-deal-expires
[5] Enagás, Demanda de gas natural, Histórico de demanda, https://www.enagas.es/enagas/es/Gestion_Tecnica_Sistema/DemandaGas/SeguimientoDemanda


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