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La majorité des véhicules électriques du Maroc contribue plus ailleurs au réchauffement climatique
Publié dans EcoActu le 04 - 03 - 2022

Un précédent article[1] expliquait pourquoi les efforts du Maroc dans le domaine des énergies renouvelables ont mérité d'être couronnés par les organisations internationales[2], [3]. Mais le même article disait aussi que, malgré cela, un véhicule électrique dont les batteries seraient rechargées par le réseau électrique marocain actuel pollue plus qu'un véhicule diesel récent de taille équivalente. Certes, cette affirmation exclut les véhicules électriques rechargés par une installation solaire, mais pourquoi cette affirmation ?
Sauf quand mentionné, la totalité des sources de départ sont officielles :
* internationales pour les revenus[4],
* nationales pour les données énergétiques[5], [6], [7], [8], [9].
La Figure 1 montre les chaînes de conversion d'énergie : d'un moteur à combustion interne (en noir), d'un électrique alimenté par le réseau électrique marocain (en rouge), espagnol (en jaune) ou français (en bleu).
Figure 1 Conversion d'énergie depuis l'origine jusqu'au travail mécanique fourni aux roues d'un véhicule
Les chiffres de la Figure 1 vont jusqu'au travail mécanique fourni aux roues des quatre véhicules à travers toute la transmission mécanique et, même s'ils peuvent varier quelque peu d'une année à l'autre, ils montrent un classement sans équivoque possible :
* Pour le véhicule à moteur à combustion (la différence entre gasoil et essence est négligée), 271 grammes d'équivalent CO2 sont émis par kWh d'énergie que le pétrole produirait en brûlant et la chaîne de conversion est représentée sur fond noir:
o le raffinage consomme environ 1% du pétrole pour produire le gasoil du véhicule,
o on perd environ 0.5% du gasoil dans son transport et son stockage,
o on ne convertit en énergie mécanique que 30% de l'énergie de combustion que produirait le gasoil en brûlant (70% sont dissipés par les radiateurs sous formes de chaleur),
o il en résulte que chaque kWh d'énergie mécanique fourni aux roues d'un véhicule à combustion interne cause l'émission de 917 grammes d'équivalent CO2 dans l'atmosphère.
* Au Maroc en 2020, en moyenne, 721 grammes d'équivalent CO2 sont émis par kWh d'électricité produite et la chaîne de conversion est représentée sur fond rouge:
o 15% seraient perdus dans le transport et la distribution d'électricité jusqu'au point de recharge,
o 5% seraient perdus dans la production de courant continu nécessaire à la charge des batteries,
o 15% seraient perdus dans la charge à l'arrêt et la décharge en roulant des batteries,
o on convertit en énergie mécanique 90% de l'énergie fournie par les batteries,
o il en résulte que chaque kWh d'énergie mécanique fourni aux roues d'un véhicule chargé par le réseau électrique marocain cause l'émission de 1'224 grammes d'équivalent CO2 dans l'atmosphère.
* En Espagne en 2020, en moyenne, 104 grammes d'équivalent CO2 sont émis par kWh d'électricité produite, la chaîne de conversion est représentée sur fond jaune:
o 10% seraient perdus dans le transport et la distribution d'électricité jusqu'au point de recharge,
o le reste de la chaîne de conversion est considérée identique au véhicule électrique du Maroc,
o il en résulte que chaque kWh d'énergie mécanique fourni aux roues d'un véhicule chargé par le réseau électrique marocain cause l'émission de 159 grammes d'équivalent CO2 dans l'atmosphère,
* En France en 2020, en moyenne, 58 grammes d'équivalent CO2 sont émis par kWh d'électricité produite, la chaîne de conversion est représentée sur fond bleu:
o la chaîne de conversion est considérée identique au véhicule électrique d'Espagne,
o il en résulte que chaque kWh d'énergie mécanique fourni aux roues d'un véhicule chargé par le réseau électrique français cause l'émission de 89 grammes d'équivalent CO2 dans l'atmosphère.
Ainsi, les différences transcendent complètement les incertitudes de calcul et il s'avère que l'utilisation d'une voiture électrique rechargée sur le réseau électrique marocain polluerait :
– plus d'un quart de plus qu'une voiture diesel récente,
– plus de sept fois plus qu'une voiture électrique rechargée sur le réseau électrique espagnol,
– plus de sept fois plus qu'une voiture électrique rechargée sur le réseau électrique français.
Malgré cela, il reste vrai qu'en déplaçant les émissions vers les lieux de production d'électricité fossile, tous les véhicules électriques évitent de polluer les villes. Toutefois, tant que le Maroc ne sera pas encore capable de produire de l'électricité qui émette moins de 566 grammes de CO2 par kWh, les véhicules électriques se rechargeant sur le réseau électrique marocain émettront plus de gaz à effet de serre que les véhicules propulsés par des moteurs à combustion interne, à travail mécanique identique.
L'énorme écart entre les émissions de gaz à effet de serre par l'électricité produite en France (58) et celle produite au Maroc (721) provient, bien sûr, de la différence du mélange des technologies de production d'énergie électrique (communément appelé « mix » électrique). Le mix électrique des trois pays est montré dans le Tableau 1, aucun d'entre eux n'est autosuffisant en combustibles fossiles : charbon, pétrole, gaz naturel et uranium (même si l'on continue encore à faire croire aux français que les centrales nucléaires contribuent à leur indépendance énergétique alors que l'extraction d'uranium est nulle depuis 2003).
Tableau 1 Mix d'énergie électrique produite (TWh = TéraWatt-heure) au Maroc, en Espagne et en France en 2020
Il est bien entendu que l'opportunité de l'électronucléaire pour le Maroc nécessiterait bien plus que ce simple Tableau 1 qui n'a pas d'autre prétention que celle d'illustrer les différents mix énergétiques des véhicules considérés dans la Figure 1.
Contrairement à ce qui a été explicitement écrit dans les titres de la presse et largement repris et applaudi dans les réseaux sociaux, le Maroc n'a plus jamais atteint 40% d'électricité renouvelable depuis 1974, bien qu'il l'ait légèrement frôlé en 1979 avec 38.8%, comme montré dans le graphique inséré dans la Figure 2 (cent ans de production électrique !). Il ne l'atteindra pas non plus en 2022 mais en fait, ces titres erronés ont été subrepticement suggérés par une phrase du Dossier de Presse[16] du 16 février 2022 sur la 6ème Session du Conseil d'Administration de l'ONEE.
Figure 2 Satisfaction de la demande annuelle en électricité au Maroc[17], [18] de 1925 à 2021
Les tournures des phrases qui peuvent être mal interprétées et la « redéfinition » de certains concepts techniques n'induisent en erreur que les moins avertis mais ne changent rien à une double réalité :
* Le commerce international finira par nous pénaliser parce que l'énergie électrique du Maroc est encore loin d'être aussi « verte » qu'on voudrait le faire croire et les véhicules électriques, qui vont déferler aussi sur le Maroc, continueront encore longtemps (jusqu'à au moins 2044), à polluer plus que les véhicules entraînés par des moteurs à explosion.
* On n'a pas tenu les objectifs d'étape de la Stratégie Energétique Nationale qui disaient certes que 42% des capacités de 2020 devaient être renouvelables (objectif pas atteint avec 29,6% réels), mais avec :
o 2'000 MW d'éolien (objectif pas atteint 1'339 réels),
o 2'000 MW de solaire (objectif pas atteint avec 707 réels),
o 2'000 MW d'hydraulique (objectif pas atteint avec 1'306 réels). Mais il est important de signaler que nos ingénieurs électriques ont profité du fait que les Stations de Transfert par Pompage (STEP, comme celle de Afourer) soient, très justement, classées dans l'hydroélectricité pour décider de les classer dans les « renouvelables » alors qu'elles ne font que turbiner de l'eau qui a été stockée après avoir été pompée par tout type d'électricité (pas nécessairement renouvelable). Cette « erreur », qui ne peut s'expliquer que par l'incompétence ou le mensonge de ceux qui l'ont consignée la première fois, n'a pas laissé d'autre choix à leurs successeurs que d'en hériter sans la corriger, puisqu'elle a permis jusqu'à fin 2020 de faire d'une pierre deux coups :
+ de gonfler indûment de 464 MW (STEP d'Afourer) les chiffres des puissances renouvelable (de 1'306 MW à 1'770 MW),
+ d'entraîner un dopage du pourcentage des capacités renouvelables de 29.6 à 35.1% à fin 2020.
Ceci étant dit, il est fort probable qu'en 2022, un peu plus de 40% des capacités, mais pas l'énergie, soient effectivement renouvelables. Malgré cela, tant qu'il n'y aura pas d'approvisionnement régulier en gaz naturel, les émissions par kWh risquent d'augmenter à court terme à cause de la substitution de l'électricité qui était produite par les centrales à cycle combiné au gaz naturel par de l'électricité produite par des centrales entraînées par des turbines à vapeur au charbon et au fuel, ce qui a déjà été le cas en fin 2021.
C'est la réalité du Maroc qui compte et non pas ce que l'on voudrait laisser croire aux marocains. Il va falloir tourner le dos aux jeux de mots et aux tournures des phrases qui induisent en erreur les citoyens (journalistes ou simples citoyens) et s'habituer enfin à « appeler un chat un chat« .
La Figure 3 montre qu'avec ses 721 grammes de CO2 par kWh en 2020 (Tableau 1), l'électricité produite au Maroc pollue même plus que celle produite en Pologne (670 grammes), qui est, à ce titre, qualifié du « plus mauvais élève européen » avec son mix électrique lui aussi fortement marqué par l'usage du charbon. La moyenne mondiale s'élevait à 470 grammes de CO2 par kWh[19] et n'a baissé que de 10% de 2010 à 2018 alors que les émissions de l'électricité produite au Maroc s'abaissaient de 15% sur la même période1. Mais malgré cette bonne performance relative, le Maroc part de trop haut et finira par payer cher, en tant que pays, si nous n'accélérons pas la décarbonation de notre électricité.
Figure 3 Carte d'Europe 2020 des facteurs d'émission de l'électricité produite[20]
Il va falloir se retrousser les manches pour mettre en œuvre le plan gaz afin que tout soit prêt à la substitution du charbon en 2044, d'opérationnaliser le plan hydrogène, d'installer les capacités renouvelables nécessaires ainsi que celles du stockage approprié (par STEP, par hydrogène ou autre) pour répondre à une demande en puissance supposée pouvoir augmenter en moyenne de 175 MW par an.
L'accélération nécessaire doit prendre en compte le déploiement progressif des véhicules électriques qui ne doivent plus se contenter de déplacer la pollution des lieux de circulation automobile vers les lieux de production d'électricité et le seul moyen est de baisser fortement le facteur d'émission de l'électricité prélevée sur notre réseau électrique. En attendant les « grands virages de 2044 », on pourrait contribuer quelque peu à la décarbonation progressive par l'amélioration des rendements des réseaux électriques[21] ainsi que par l'autoproduction d'électricité solaire[22]... à condition qu'on l'encourage au lieu d'en dissuader les acteurs[23].
Références
[1] Amin BENNOUNA, "Energie – Pourquoi le Maroc, qui a mérité la reconnaissance, doit-il encore redoubler ses efforts ?", Webmagazine EcoActu, 15 Novembre 2021, https://www.ecoactu.ma/energie-maroc-reconnaissance-redoubler-efforts/
[3] Moctar FICOU, Webmagazine Vivafrik, 22 Juin 2021, https://www.vivafrik.com/2021/06/22/le-maroc-occupe-le-4eme-rang-mondial-dans-le-classement-de-lindice-de-performance-climatique-a41472.html
[4] Banque Mondiale, https://donnees.banquemondiale.org/pays/maroc?view=chart
[6] Royaume du Maroc, Ministère de l'Economie, des Finances, et de la Réforme de
l'Administration, Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF), Notes de
Conjoncture, http://depf.finances.gov.ma/etudes-et-publications/note-de-conjoncture/
[7] Royaume du Maroc, Ministère de l'Economie, des Finances, et de la Réforme de
l'Administration, Direction du Trésor et des Finances Extérieures (DTFE), Notes de Conjoncture, https://www.finances.gov.ma/fr/Nos-metiers/Pages/notes-conjoncture.aspx
[8] Royaume du Maroc, Bank Almaghrib, Revue de la Conjoncture Economique, http://www.bkam.ma/Publications-statistiques-et-recherche/Documents-d-analyse-et-de-reference/Revue-de-la-conjoncture-economique
[9] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013
https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version
papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[10] Pour être exactes, ces hypothèses devraient prendre en considération chaque combustible
mais ces valeurs moyennes utilisées sont celles de Red Eléctrica de España, "Emisiones de CO2 asociadas a la generación de electricidad en España", https://api.esios.ree.es/documents/580/download?locale=es
[11] Office National de l'Electricité et de l'Eau Potable (Maroc), http://www.one.ma/FR/pdf/D%C3%A9pliant_Francais_2020.pdf
[12] Red Eléctrica de España (Espagne), https://www.ree.es/es/datos/generacion/estructura-generacion
[13] Réseau de Transport d'Electricité (France), https://www.rte-france.com/actualites/bilan-electrique-francais-2020
[16] Le texte dit "Ainsi, la puissance installée électrique devrait atteindre 11.130 MW à fin
2022, avec une part de 40 % en énergies renouvelables.", Office National de l'Electricité et de l'Eau Potable, Conseil d'Administration, Dossier de Presse du 16 février 2022, http://www.one.org.ma/FR/pages/actua.asp?esp=2&id1=8&id2=70&t2=1&id=3245
[17] Saul Samir, "L'électrification du Maroc à l'époque du protectorat", In: Outre-mers, tome
89, n°334-335, 1er semestre 2002. L'électrification outre-mer de la fin du XIXe siècle aux premières décolonisations. Pages 491-512, https://doi.org/10.3406/outre.2002.3952
[18] Haut Commissariat au Plan, Annuaire Statistique du Maroc, Version électronique après 2013 https://www.hcp.ma/downloads/Annuaire-statistique-du-Maroc-version-PDF_t11888.html, Version
papier ou scannées avant 2013 https://cnd.hcp.ma/
[19] Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique, Site Web, https://www.citepa.org/fr/2019_04_a1/#:~:text=en%202018%2C%20l'intensit%C3%A9%20carbone,am%C3%A9lioration%20de%2010%25%20depuis%202010
[20] Global Change Data Lab, Oxford Martin School, University of Oxford (UK), "Our world in
data", https://ourworldindata.org/charts
[21] Amin BENNOUNA, "Les 'pertes non-techniques' dans le réseau électrique de l'ONEE engloutissent plus que l'électricité solaire produite à Ouarzazate", EcoActu 28 février 2020, https://www.ecoactu.ma/les-pertes-non-techniques-dans-le-reseau-electrique-de-lonee/
[22] Amin BENNOUNA, "Trois décennies d'énergie solaire photovoltaïque au Maroc", Webmagazine
EcoActu, 03 Décembre 2019, https://www.ecoactu.ma/trois-decennies-denergie-solaire-photovoltaique-au-maroc/
[23] Amin BENNOUNA, "L'inapplicable Projet de Loi marocain relatif à l'autoproduction
d'électricité", Webmagazine EcoActu, 15 Novembre 2021, https://www.ecoactu.ma/linapplicable-projet-de-loi-82-21-relatif-a-lautoproduction-delectricite/#:~:text=R%C3%A9uni%20le%20jeudi%2011%20novembre,du%20mardi%2002%20Novembre%202021


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