Introduction La gestion des services publics de la distribution de l'eau, d'électricité et de la gestion des services d'assainissement liquide est caractérisée par un monopole « naturel » qui affecte directement la concurrence, dans la provision du service, au niveau de ce secteur. L'abonné devenu client n'a le choix ni du service, ni de son gestionnaire, mais a droit comme prévu par la Constitution de choisir son représentant « l'Elu ». Les pouvoirs publics procèdent à travers des Contrats de Gestion Déléguée, souvent de longue durée s'étalant à 30 ans, à la délégation de la gestion de ces services publics à des opérateurs privés. Les raisons principales derrière cette délégation de gestion est que ce modèle est une forme accélérée de déployer des projets et services structurants quand les finances de la ville ne le permettent pas. L'expertise et le savoir-faire d'une gestion moderne du service public réside chez ces opérateurs privés. Les différentes expériences à travers le monde, les capacités de financement requises pour la modernisation de la gestion, les programmes de réalisation des infrastructures et leur renouvellement ou leur renforcement nécessitent des financements lourds que les collectivités sont dans l'incapacité de financer et se conformer aux exigences croissantes des lois de l'eau et des énergies renouvelables, etc. En effet, la loi sur la gestion déléguée stipule que « le délégataire assume la responsabilité du service public en respectant les principes d'égalité des usagers, de continuité du service et de son adaptation aux évolutions technologiques et sociales » et que « le délégataire assure ses prestations au moindre coût et dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité et de protection de l'environnement ». Contrats et objectifs incomplets Comme nous l'avons étayé dans un précèdent article sur l'importance de la régulation des services de distribution de l'eau et l'électricité, les contrats de gestion déléguée sont incomplets. En effet, la société délégataire de la gestion déléguée a des obligations morales envers ses abonnés qui sont par essence obligés, dans le cadre du monopole naturel, d'acheter le service fourni par la société délégataire de la gestion déléguée. Ces obligations et engagements, prévus dans le contrat de la gestion déléguée qui lie la société délégataire de gestion déléguée à l'autorité délégante, sont souvent décrits d'une façon très générale (exemples : l'opérateur de la gestion déléguée est responsable du bon fonctionnement du service ou bien les biens délégués doivent être exploités et maintenus conformément aux règles de l'art). Par ailleurs, la description complète, des moyens matériels à mettre en œuvre, du personnel nécessaire pour la gestion efficace et efficiente du service délégué, est très difficile à établir en place au stade de signature du contrat. Lors de l'établissement du contrat de gestion déléguée, il n'est pas toujours évident pour les services techniques, dépendant des pouvoirs publics, de définir avec la société délégataire ce qu'ils attendent de lui en des termes très clairs. Dès lors le recours à une expertise externe s'avère nécessaire pour se prémunir contre ces dysfonctionnements et lacunes visibles durant la vie du Contrat. Renégociation des contrats de Gestions Déléguées Le Maroc a fait le choix de déléguer ses services à des groupes internationaux qui maîtrisent toute la chaîne des services rendus et qui les conduit inexorablement à assurer des prérogatives de puissance publique. Heureusement que les contrats de gestion déléguée des services publics de la distribution de l'eau, d'électricité et de la gestion de l'assainissement liquide prévoient dans leurs textes que ces contrats devront être révisés d'une façon périodique. Lors de ces révisions, des négociations ont pour objectifs de palier aux éventuels manquements dans les termes de références des contrats initiaux et de réorienter les investissements en tenant compte des développements des villes. C'est ainsi que les Conseils de villes ont décidé finalement de se ressaisir pour la programmation de la révision quinquennale des contrats de gestion déléguée avec les sociétés délégataires Amendis et Lydec. Des commissions techniques s'attelleront d'ores et déjà aux préparatifs de ces revues quinquennales. Notons que ces délégataires sont armés d'expertise et de compétences juridiques largement supérieures à celles des collectivités locales. Cet état de fait, place les sociétés délégataires dans une position de force qu'elles mettent à profit en cette période de négociation. Dans la pratique une mission d'audit de la « santé » du contrat de gestion déléguée est un préalable qui constitue un point de départ aux négociations. Cet audit doit prendre en compte différents aspects aussi bien juridiques, que techniques ou financiers. Aspects juridiques Quatre sociétés ont conclu des contrats de gestion déléguée des services de distribution d'eau, d'électricité et des services d'assainissement. La LYDEC à Casablanca depuis 1997, la REDAL à Rabat & Salé depuis 1999 et AMENDIS à Tanger & Tétouan depuis 2002. Plusieurs lois et rapports aussi ont vu le jour pour asseoir le modèle de Gestion Déléguée, à savoir : * La loi n°54-05 relative à la Gestion Déléguée des Services Publics, * La loi n°9-88 relative aux obligations comptables des commerçants [Pour obliger le Délégataire à tenir sa comptabilité], * La loi n° 47-96 relative à l'organisation de la région, * La loi n°78-00 portant Charte Communale, * La loi n° 79-00 relative à l'Organisation des Collectivités Préfectorales et Provinciales, * Décret n° 2-06-388 du 16 moharrem 1428 (5 février 2007) fixant les conditions et les formes de passation des marchés de l'Etat ainsi que certaines règles relatives à leur gestion et à leur contrôle. BO n° 5518 du Jeudi 19 Avril 2007, * La loi n° 31-08 édictant des Mesures de Protection du Consommateur, * La loi n°45-08 relative à l'organisation des finances des collectivités locales et de leurs groupements, * La loi n° 13-09 relative aux énergies renouvelables, * Décret portant application de la loi 40 – 09 relative au nouvel office national de l'électricité et de l'eau potable, publiée au Bulletin officiel le 24 octobre 2012. * La loi n°86-12 relative aux contrats de partenariat public-privé, * La loi n°99-12 portant Charte Nationale de l'Environnement et du Développement Durable, * Les travaux du CESE sur le sujet : rapport sur la gouvernance des services publics et l'avis sur le projet de loi n°86-12 relative aux PPP avec plus de 20 recommandations, * Rapport CESE du 17 décembre 2015, intitulé : Gestion déléguée des services publics au service de l'usager. * Le rapport de la Cour des Comptes sur la gestion déléguée des services publics locaux, datant d'octobre 2014, * Les extraits des rapports des missions effectuées par les Cours régionales des comptes relatives à la thématique des Régies et gestions déléguées, * Le Rapport 2014 de la Direction des Régies et des Services Concédés, « Une Stratégie des performances et une qualité de service aux citoyens », L'audit juridique devrait permettre de vérifier l'adéquation des textes des contrats des gestions déléguées et d'intégrer les manquements juridiques éventuels. Aspects financiers L'audit financier devrait permettre de revoir l'équilibre économique et financier du contrat, la révision des bordereaux des prix unitaires surtout pour les frais de raccordement des nouveaux lotissements ou industriels, les durées d'amortissement des équipements achetés pour la bonne marche des services de distribution d'eau, d'électricité et des services d'assainissement, ainsi que la légalité de distribution des investissements. Aspects techniques L'audit technique devrait permettre un examen approfondi des réalisations faites par le délégataire depuis le démarrage du contrat, l'évolution du nombre de clients, les volumes d'eau et les Kwh d'électricité amenés et distribués et en conséquence l'évolution du rendement des réseaux, ainsi que d'autres indicateurs de gestion de réseaux. Il devrait aussi examiner les différents indicateurs et seuils de réalisation prévus dans le Contrat. Par ailleurs, les négociations devront assurer pour mettre en place : * Différents indicateurs de performances techniques et financiers pour le suivi de la gestion déléguée. Ces indicateurs devront permettre l'appréciation de la bonne santé de la gestion déléguée, * Etoffer les rapports mensuels et annuels sur les réseaux et autres ouvrages techniques ou hydromécaniques avec des données sur les réalisations techniques. Les rapports annuels pourront inclure la remise par la société délégataire d'un plan de schémas directeurs actualisés, * Etoffer les rapports mensuels et annuels clientèles par la mise en place et à la mise à jour d'une base de données clientèle, au niveau du régulateur, à l'identique de celle qui est possédée par la société délégataire, * Un système de télégestion, au niveau du régulateur, identique à celui que possède la société délégataire, * La mise en place d'une politique de renouvellement des compteurs eau et électricité, des réseaux, des installations hydromécaniques, des systèmes électromécaniques et électroniques installés sur les ouvrages et les réseaux. Conclusion Le Conseil de la ville doit disposer de structure agile, compétente et dotée d'outils de contrôle solides qui permettrait de respecter les dates de renégociation et faciliter la tâche aux politiques « Elus » pour comprendre les enjeux du Contrat de Gestion Déléguée et le suivi du Délégataire pour le bien-être du citoyen. La renégociation des contrats est un moment fort aussi bien pour l'Autorité Délégante que pour le Délégataire pour : * Faire le point sur l'avancement des prestations réalisées par le délégataire, * Aplanir les différentes divergences entre les deux parties prenantes, * Réorienter les investissements prévus initialement dans le contrat, * Actualiser le modèle économique de la gestion déléguée, * Adapter ce modèle à la réalité du pays. La renégociation ne peut en aucun cas être considérée comme un moyen pour pousser le délégataire dans ses derniers retranchements. Chacun des négociants doit trouver son compte aussi bien l'autorité délégante que la société déléguée. Par El Hassane Benahmed et Hassan Moukawim El Hassane Benahmed estIngénieur d'Etat hydraulicien de l'EHTP et titulaire d'un MBA de Leeds University Business School, Consultant international fondateur du Cabinet IWES (International Water & Environmental Services. Hassan Moukawimest Ingénieur Génie Civil de l'EHTP et titulaire d'un Tri Executive MBA de Toulouse Business School, Consultant fondateur de la société JERHOSE Consulting "Conseil aux Collectivités Territoriales en Stratégie de Développement Durable"