Ecrit par Lamiae Boumahrou | Que se passe-t-il dans le département de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation ? Pourquoi Abdellatif Miraoui, l'actuel ministre remet en question le système Bachelor à peine entré en application pour cette rentrée universitaire (2021-2022) ? Que se cache-t-il derrière le rétropédalage que Miraoui compte mener au sein de son département ? La promulgation de la loi-cadre n° 51.17 relative au système d'éducation, de formation et de recherche scientifique en août 2019 a été une réelle révolution étant donné que c'est la première loi-cadre adoptée dans l'histoire de la législation marocaine dans le domaine de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique. Ce grand chantier de réforme émane des hautes orientations royales contenues dans le discours du Trône 2015 dans lequel SM avait appelé à traduire la vision stratégique 2015-2030 en une loi-cadre. « Nous appelons à l'élaboration de cette réforme dans le cadre d'un contrat national contraignant, et ce, à travers l'adoption d'une loi-cadre cernant la vision à long terme et mettant fin à l'interminable cercle vicieux de la réforme de la réforme », fin de citation. Parmi les chantiers qui ont découlé de cette loi-cadre, l'adoption du système Bachelor qui devait être mis en œuvre en septembre 2020 mais compte-tenu de la crise sanitaire a été reporté pour la rentrée universitaire 2021-2022. Il s'agit d'un système qui émane d'une réflexion qui a démarré en octobre 2018 à Marrakech lors d'une rencontre à laquelle ont pris part plus de 700 acteurs du champ universitaire (présidents d'université, doyens, enseignants, syndicats et monde socio-professionnel). La mise en œuvre de cette architecture pédagogique a été marquée par un engouement lors de cette rentrée avec l'inscription de 24.000 étudiants et l'accréditation de plus de 100 filières. Sauf qu'à la grande surprise de tous, le nouveau ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation, Abdellatif Miraoui, en a décidé autrement. En effet, le ministre a annoncé la nécessité de revoir ce système qui vient à peine de voir le jour. Et il ne s'agit pas simplement d'une réflexion mais d'une réelle détermination de passer à l'acte. Abdellatif Miraoui a récemment déclaré dans les médias qu'une réforme du système est en cours de préparation avec les présidents des universités et sera prochainement annoncée. Une décision qui pose, tout de même, plusieurs questions et interpelle à plusieurs titres. Comment un ministre qui vient à peine de prendre les rênes du département de l'enseignement supérieur décide de revoir un système adopté par l'ancien gouvernement lors de son conseil de gouvernement du 30 janvier 2020 et qui n'est pas encore évalué ? Sur quels fondements repose cette décision ? Quel sera le sort des 24.000 étudiants inscrits dans le nouveau système ? Mais surtout comment peut-on revoir un système qui figure dans le programme gouvernemental de l'actuel Exécutif (2021-2026) (page 45) ? Autant de questions qui sont à l'origine de la grogne suscitée par la nouvelle vision du nouveau ministre pour gérer son département. Une décision basée sur l'avis du CSEFRS ? Dans sa dernière sortie médiatique le ministre de l'enseignement supérieur dit s'être basé sur l'avis du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique (CSEFRS) qui avait livré en décembre son avis sur le projet de décret n°2-21-125 modifiant et complétant le décret n°2-04-89 fixant la vocation des établissements universitaires, les cycles des études supérieures ainsi que les diplômes nationaux correspondants. A noter que le Chef du gouvernement sortant avait saisi l'avis du Conseil sur les projets de mise en œuvre de la réforme du Système d'Education de Formation et de Recherche Scientifique (SEFRS) à savoir les projets de lois organisant certains aspects du SEFRS ou de projets de décrets. Les demandes d'avis ont concerné 4 projets de lois, 4 projets de décrets et un projet de Référentiel d'Emploi et de Compétences (REC). Ledit avis du Conseil qui a remis en cause la pertinence et la finalité de cette réforme est-il pour autant objectif ? Certaines sources que nous avons interpellées proches du dossier ont tenu à rappeler que le mandat du Conseil a pris fin en juillet 2019, et par conséquent ni les commissions, ni le bureau, ni l'assemblée générale ne pouvaient se réunir. Aujourd'hui, le Conseil n'est composé que de l'administration chapeautée par la Secrétaire générale, Iman Kerkeb qui a réalisé ledit avis. Certains vont même jusqu'à soupçonner une connivence entre le ministre et cette dernière qui avait était nommé par Abdellatif Miraoui président à l'Université Cadi Ayyad de Marrakech au poste de Secrétaire générale de l'université. Et pour cause, les intentions du ministre de revoir le Bachelor datent de bien avant la publication de ce rapport le 30 décembre. Un avis d'ailleurs dont nous ne trouvons pas de trace sur le site du Conseil. C'est lors de la présentation du projet de budget 2022 du ministère devant la commission de l'Education, de la culture et de la communication du Parlement le 4 novembre que le ministre avait insinué la nécessité de revoir ce système. Des bruits de couloir laissent entendre que le nouveau ministre remet en cause, à tort ou à raison, tout ce que ses prédécesseurs avaient adoptés. Cela dit, au-delà de la pertinence ou pas du système Bachelor, cette décision du nouveau ministre de l'Enseignement supérieur risque de décrédibiliser l'institution de l'Etat aux yeux de l'opinion publique. Car personne ne peut prétendre remettre en cause une réforme avant sa mise en œuvre et surtout avant une évaluation de son application. Affaire à suivre...