Dr Strange est marocain ! Mages modernes et sorcières du XXIème siècle se côtoient dans le Maroc de 2017. Dépassé le fkih en soutane blanche, place aux punks fans de heavy et autres guérisseurs en jaipur indien. Les nouveaux sorciers sont parmi nous! On les croyait disparus, et pourtant, ils continuent d'exister, au grand jour, et dans des cercles insoupçonnés. En France, ils s'appellent Elisabeth Tessier, pour la plus connue. Taxée de satanisme, par les conspirationnistes, Christine Lagarde, directrice du Fond Monétaire International, avait fait une démonstration de numérologie en direct et devant les caméras. Un véritable tollé scientiste s'est levé, et pourtant, cela existe, dans les coulisses. Changement de décors, nous sommes à une convention de comics (bandes dessinées américaines) où le mage du chaos britannique, Grant Morrisson, explique : « Les grandes entreprises ont recours à mes services. Il n'est pas une marque internationale ou une multinationale qui n'ait pas recours, au minimum, à un service d'astrologie avant de lancer l'un de ses produits ». Chauve et mystérieux, le chaote a popularisé la « magie moderne » à travers son oeuvre : Les invisibles, et recruté une véritable « armée du chaos ». Ordo ab chaos, l'ordre émerge du chaos, semble être le dogme de ces mages des temps modernes. Une autre figure, plus connue celle-ci pour son occultisme : Alan Moore. « Lorsque les gens arrivent à la quarantaine, ils ont une midlife crisis, moi je suis carrément devenu fou et je suis devenu mage. Cela a inquiété tout mon entourage », avance-t-il lors d'une interview. Auteur connu pour ses oeuvres Constantine, Watchmen ou encore V pour Vendetta, le punk âgé, avec un physique assumé de «Merlin l'enchanteur» ne se cache pas. Chaos, wicca et cie Retour au Maroc, nous rencontrons quelques uns de ces «mages». Rachid est venu de la «Chaos Magick». Recruté à 18 ans, la magie fait partie intégrante de sa vie. Ses nuits sont ponctuées de rituels lorsque le jour, il a un travail, «comme tout le monde», une famille et des amis. «Ce n'est pas une «société secrète», ni une «secte». C'est un «domaine de recherche». Nous étudions les «symboliques occultes» et les utilisons dans notre «travail». Mais ce n'est pas avec cela que je vais gagner à la loterie», lance-t-il dans un rire. Victoria, elle, est Wiccan, une forme de «magie» née en Grande Bretagne, et popularisée à travers des films tels que Practical Magic, avec comme tête d'affiche Sandra Bullock et Nicole Kidman. Déjà auparavant, ce «style» s'était rendu populaire avec une série «explicite»: Charmed qui a bercé toute une génération de jeunes. Influencé ? Pas réellement! Rachid explique : «j'ai toujours eu une appétence pour l'ésotérisme et l'occultisme. J'ai besoin de penser qu'il existe une réalité «supérieure», une «vérité cachée» et un «plan». Autrement, je pense que je me serais suicidé depuis des années», explique-t-il. Accroché à ses «croyances» comme à une bouée. Victoria, elle, c'est une autre histoire : «au Maroc, être une femme est très difficile. On vous demande d'être une femme accomplie (hadga), de réussir et d'être «bien sous tout rapport». Au final, si l'on ne «triche» pas un peu, on ne peut pas y arriver». Les voies «traditionnelles» dépassées? Pragmatiques plutôt qu'illuminés, c'est l'idée qui ressort de ces mages d'un autre genre. Changement de milieu, et même d'époque. Nous sommes en 2002, un sorcier marocain, un soufi et un occultiste sont réunis dans une maison. Au milieu, un écran de télévision, gravé d'inscriptions ésotériques dans lequel un médium plonge son regard. L'occultiste explique au jeune homme : « Nous essayons de résoudre un mystère ». Incrédule, le voyant commente en aparté : « Ils recherchent un trésor… Ils ne l'auront jamais puisque le seul trésor est devant eux et qu'ils sont trop aveugles pour le voir ». Chasse au trésor, exorcisme et philtres d'amours sont le lots des charlatans, les mages modernes eux ont d'autres préoccupations. C'est un domaine assez cérébral, voire même intellectuel qui a été diabolisé par les bien pensants. Mais dans le fond, nous avons notre propre réseau sur le net. Magick, avec un « k » a été fondé par le mage moderne Aliester Crowley, et son mouvement « Théléma », tiré de l'Auberge de Thélème. « Fais ce que voudras », est le credo de ce mouvement, également anglosaxon, et qui a des membres à travers le monde, et même au Maroc. « Thelema n'est pas antinomique avec l'islam. Crowley, chanté par le groupe de rock Black Sabbath, a même reconnu Muhammad dans son livre Magick (vol3)», explique Idriss, un mage cérémoniel marocain. De là à affirmer que ce n'est pas parce qu'on se rattache à des « écoles des mystères » égyptiennes ou antérieures que nous sommes des illuminés. En plaisantant, le psychiatre, Dr Brahim Msefer, analyse : « On va finir par devoir revoir notre définition de la psychose et ce qu'on considère comme une bizarrerie à travers les groupes qui se forment sur les réseaux sociaux et qui se créent une appartenance ! ». A croire qu'il adhère à la phrase : « Une personne avec un ami imaginaire est folle. 1 million avec le même ami imaginaire sont une religion…». Une vie de reclus, un stigmate social qui a la peau dure Combien sont-ils au Maroc ? Difficile à dire, puisqu'ils se cachent et lancent leurs messages couverts pour s'appeler les uns les autres. « Etre magickian de nos jours, et dans un pays musulman de surcroît, est risqué. Il m'est arrivé de me rendre à une soirée et de voir un coach PNL se faire traiter de « sahar » (sorcier) par l'un de ses amis. Cela m'a profondément chagriné », regrette Rachid sans rien laisser paraître de ses sentiments. Méditation, mudras, yoga et reiki semblent être marqués du sceau de l'infamie par les bien pensants. « Souvent, on méprise la spiritualité d'une personne. Une jeune femme brillante a été traitée de sorcière car elle pratique le Reiki Usui. Une autre, de folle car elle s'est penchée sur des styles encore plus ésotériques tels que le kahuna. Que diraient-ils s'ils apprenaient qu'il existe un Shamballa et un Agartha reiki, et cela même au Maroc », développe un pratiquant. « Je me considère plus comme une guérisseuse spirituelle que comme une sorcière », se défend Victoria. Blonde, trentenaire et diplômée d'une grande école, rien ne laisse paraître une telle passion pour l'occulte. Historiquement, les sorcières du Moyen Âge européen étaient considérées comme des apothicaires des temps anciens. « Il y avait l'alchimie de la voie sèche et de la voie humide. Les femmes avaient, par appétence, un attrait pour la voie humide, celle de la guérison par les plantes, les potions et les décoctions et onguents », développe l'alchimiste français Patrick Bruensteinas. Sans pour autant spécifier que la voie humide est une initiation alors que la sèche est une auto-initiation. « Le XXIème siècle sera spirituel ou ne sera pas », affirmait l'écrivain français André Malraux. Un autre écrivain, Daniel Pennac, complétait par « Le chômage s'y emploie ». Au final, entre science et spiritualité, les mages modernes poursuivent leurs recherches, dans le secret d'un atelier, et vivent au grand jour.