Profitant de la présence d'Ahmed Réda Chami, ministre du Commerce et de l'Industrie à l'AGO de l'Amith, les textiliens ont tiré à boulets rouges sur la direction générale des impôts qui veut faire de la suppression de la TVA en suspension un acquis. Si la proposition de Bensouda est retenue telle quelle dans la loi des Finances 2008, c'est la sous-traitance en amont de l'exportation qui sera la première à payer le prix fort, s'en alarment-ils. Le mécontentement était unanime lors de l'assemblée générale ordinaire de l'Amith, tenue le 14 novembre 2007. Le rendez-vous annuel des textiliens, qui devait servir à exposer les axes de la stratégie animant le secteur et à donner l'occasion à quelques opérateurs d'exposer des problèmes rencontrés au quotidien ou de s'alarmer quant aux menaces provenant des marchés de la concurrence, a été consacré en grande partie au dossier de l'exonération et de l'achat en suspension de TVA. Dès lors que le sujet a été évoqué, un débat houleux a gagné la salle, menée par une assistance enragée par le retrait d'un acquis dont elle jouit depuis des années. Explication:depuis quelques mois déjà, les entreprises exportatrices ont été confrontées au refus de l'octroi des attestations d'exonération de la TVA sur les intrants achetés localement, suite à la découverte de fraudes par l'administration fiscale. En réaction à cela, les textiliens ont remué ciel et terre pour recouvrer leurs acquis, mettant en avant les dispositions légales et réglementaires qui leur garantissent ce droit. La loi est claire. Elle précise que «sont exonérés de la TVA avec bénéfice du droit à déduction les marchandises ou objets placés sous les régimes suspensifs en douane ainsi que les produits livrés et les prestations rendues à l'exportation». Le cadre légal en vigueur pour ce type d'opération stipule que l'achat en suspension de la TVA est ouvert aux entreprises exportatrices de produits et de services qui peuvent, dans la limite du montant du chiffre d'affaires réalisé au titre de leurs opérations d'exportation pendant l'année écoulée, être autorisées à recevoir en suspension de la TVA à l'intérieur, les marchandises, les matières premières, les emballages irrécupérables et les services nécessaires auxdites opérations d'exportation. «Pour les exportateurs textile et habillement, les achats locaux constitués principalement de fils, tissus, accessoires et services présentent l'avantage de la flexibilité, de la proximité et de la rapidité d'exécution par rapport aux importations, ce qui leur permet de répondre à la contrainte temps face aux importations», explique Mohamed Tamer, président de l'Amith. Et d'ajouter, «pour le Maroc exportateur, la disposition relative au régime suspensif de la TVA met les importations, facturées en hors TVA rappelons-le, à pied d'égalité avec les achats auprès de fournisseurs marocains». Du coup, le fournisseur marocain était favorisé puisqu'il présentait l'avantage de la proximité, donc de la réactivité. Une donne qui risque de changer si la suspension n'est plus de rigueur au Maroc. Le malaise s'officialise Depuis les premiers refus d'exonérations datant du début de l'année, une inquiétude s'est emparée des textiliens. Des écrits ont été envoyés à la direction générale des douanes, qui n'y a pas réagi officiellement. Cependant, les informations qui filtraient du fisc laissaient entendre qu'il s'agissait seulement d'une situation transitoire, en attendant d'élucider les dossiers de fraudes sur lesquels se penchait le département de Noureddine Bensouda. Irrités, les textiliens l'ont fait savoir en en discutant ouvertement via les médias, tout en attendant avec patience que la situation revienne à la normale une fois les dossiers de fraudes instruits. La surprise est venue du projet de la loi des Finances 2008, qui propose la suppression du régime suspensif de la TVA, noir sur blanc. «Afin d'encourager les entreprises structurées, il est proposé de renforcer le système de remboursement de la TVA en réduisant le délai de remboursement de 4 à 3 mois. Parallèlement à cette mesure, et en vue de contrecarrer les situations de fraude enregistrées au niveau du régime suspensif et d'améliorer la gestion du remboursement, il est proposé la suppression du régime suspensif qui génère une gestion lourde et constitue une source de fraude non négligeable», argumente le projet de loi des Finances dans sa version fraîchement remise au Parlement. Ainsi, l'objectif serait, selon le ministère des Finances, de maîtriser les coûts découlant de l'application des mesures dérogatoires et qui sont de l'ordre de 23,6 milliards de DH, selon ses propres estimations. Un argument rejeté en bloc par l'Amith, qui se réfère au tableau des dépenses fiscales réalisé par les mêmes services des Finances pour montrer que le manque à gagner est tout simplement nul en matière de TVA sur l'export ! «Comment ose-t-on parler d'encouragement des entreprises structurées alors que les dispositions prévues auront exactement l'effet contraire sur ce tissu économique», s'interroge Mohamed Tamer. Les textiliens présents à l'assemblée générale ont parlé d'un coup d'arrêt à l'intégration pour illustrer les résultats que pourrait générer la suppression du régime suspensif. Et pour cause. Les exportateurs qui s'adressaient aux fournisseurs nationaux pour leurs achats en articles de filature, tissage, accessoires ou encore emballages s'orienteront vers les importations en admission temporaire. Ce n'est pas tout. Les réseaux de sous-traitance, représentant plus de 35% de l'activité, seront menacés de désintégration, selon les évaluations de l'Amith. Au-delà de sa représentativité dans le secteur du textile et de l'habillement, l'importance de la sous-traitance s'illustre essentiellement à travers sa contribution à la réactivité des entreprises exportatrices. Les prestataires des services de travail à façon, teinture, délavage, sérigraphie, impression, broderie ou encore transport forment ces corps de métiers avec lesquels travaillent les exportateurs pour assurer en partie leur amont. «L'abandon du régime suspensif de la TVA finira sans trop tarder en asphyxie financière des PME, très présentes dans le réseau de la sous-traitance », s'alarme un textilien. Son raisonnement fait référence au poids qu'exercera la suppression de la suspension de la TVA sur la trésorerie de ces entreprises. «L'obligation de s'acquitter de la TVA sur les intrants acquis localement et l'attente de nombreux mois pour son remboursement fera non seulement supporter aux entreprises une charge financière supplémentaire, mais limitera leurs possibilités de financement, déjà mis à mal par les difficultés rencontrées souvent auprès du système bancaire», conclut le patron de l'Amith. Un mal auquel s'ajoute le risque de ne pas se voir remboursé, dans la mesure où les rejets des demandes de remboursement représentent 20% de l'ensemble des dossiers soumis. Résultat : les textiliens en veulent à Salaheddine Mezouar, qui partageait par le passé les mêmes soucis qu'eux mais qui, aujourd'hui, doit endosser la responsabilité d'un projet de loi des Finances auquel, précisons-le, il n'a pas eu le temps d'apporter sa touche personnelle.