Au-delà de la gestion technique du contentieux fiscal qui, certes, connait actuellement des progrès non négligeables, c'est la dimension sociétale de ce contentieux qui mérite d'être examinée pour comprendre la nécessité de reconstruire, sur de nouvelles bases, les rapports du citoyen avec l'Etat, autour de l'impôt. par M. Amine Il est fait couramment distinction entre le contentieux administratif et le contentieux judiciaire. Les procédures en vigueur consacrent cette distinction. Avant d'aller devant le juge compétent en matière fiscale, le contribuable a l'obligation d'introduire un « recours préalable » devant l'Administration fiscale. Ainsi la loi permet à cette administration de revoir sa position, de s' «auto – corriger» et de prendre une décision favorable ou défavorable au contribuable. L'Administration fiscale a un délai maximum de six mois pour répondre à la réclamation reçue. Au-delà de ce délai et à défaut de réponse, le contribuable peut entamer l'étape du recours judiciaire. Il peut aussi entamer cette étape sur la base de la réponse de l'administration fiscale. Dans les deux cas, le délai est de 30 jours, à compter de la date d'expiration des 6 mois, en cas de défaut de réponse, ou à compter de la date de réception de la réponse de l'Administration fiscale. Le contentieux fiscal administratif ne forme pas un bloc homogène Les statistiques de l'Administration fiscale contiennent aussi bien des erreurs purement matérielles de l'Administration fiscale, «faux contentieux», et qui doivent donner lieu à un «dégrèvement d'office», même en l'absence de réclamation, que du «vrai contentieux», c'est-à-dire des réclamations soulevant des questions d'interprétation ou d'application concrète de la loi. A titre d'exemple, le tableau des coefficients applicables au chiffre d'affaires pour la détermination du bénéfice forfaitaire, en matière d'IR (article 40 du Code Général des Impôts -CGI-), est en total déphasage avec la réalité socio-économique. Les nouvelles activités ne figurant pas dans ce tableau font l'objet d'un classement par assimilation. Ce classement administratif est une source importante de risque d'arbitraire et de contentieux. Ce risque est encore plus grand en matière de taxe professionnelle. C'est d'ailleurs en matière de fiscalité locale (taxe d'habitation, taxe des services communaux et taxe professionnelle) et en matière d'IR (forfaitaires et IR/Profits fonciers) que le nombre de réclamations est le plus élevé, soit respectivement 39,7% et 35,15% pour l'année 2015. Néanmoins, les «erreurs matérielles» de l'Administration fiscale ne devraient pas être comptabilisées dans le contentieux administratif. Celles-ci devraient plutôt servir d'indicateur de la qualité de gestion et permettre à l'Administration fiscale de mieux détecter ses propres faiblesses et ainsi de mieux cibler/programmer des actions de formation et d'amélioration. Entre le contentieux administratif et le contentieux judiciaire, il existe un «contentieux mixte », ou à «mi-chemin». «Mixte», car le contribuable n'est plus seul face à l'Administration fiscale. Entre les deux, s'interpose un magistrat pour jouer le rôle d'arbitre ou de conciliateur. Il s'agit des recours devant les commissions prévues par le CGI. Les commissions locales de taxation (CLT) sont chargées d'arbitrer les « petits dossiers », alors que la Commission Nationale du Recours Fiscal (CNRF), théoriquement coiffée par le Chef de Gouvernement, doit arbitrer les « gros dossiers ». Dans les deux cas, les commissions sont présidées par des magistrats, et contribuables et administration fiscale y sont représentés. En 2015, 2110 dossiers ont été examinés par les CLT, contre 1789, en 2014, soit une augmentation de 18% (Source : Rapport DGI 2015). Ce sont surtout les affaires relatives à la fiscalité immobilière qui ont été les plus nombreuses (IR/ Profits fonciers), datant souvent de la période d'avant la mise en place du référentiel des prix de l'immobilier. Quant à la CNRF, le nombre de dossiers traités est passé de 537, en 2014, à 495, en 2015, soit une diminution de 8%, due principalement à la baisse des effectifs des magistrats et des représentants de l'Administration fiscale (départ en retraite) et au non renouvellement des membres représentant les contribuables. Les commissions (CLT et CNRF) gagneraient à être mieux encadrées dans leur fonctionnement par la mise en place de procédures internes garantissant plus de transparence pour mieux protéger les droits du contribuable et ceux de la collectivité A noter qu'aussi bien au niveau du contentieux purement administratif, qu'au niveau des commissions (CLT et CNRF), ou en cas d'accord, les litiges relatifs à l'application de la loi fiscale ne peuvent faire l'objet d'arbitrage (article 244 du CGI). Pour les deux niveaux de contentieux cités, la marge de manœuvre, en termes d'arbitrage, est dans les questions de fait. L'Administration fiscale dispose aussi d'une grande marge de manœuvre de négociation, avec la possibilité de remise, voire parfois d'annulation totale des majorations et amendes fiscales. Le contentieux judiciaire, un «recours ultime» Les décisions des commissions, aux niveaux national et local, peuvent être contestées par voie judiciaire, aussi bien par le contribuable que par l'Administration fiscale. En 2015, en phase de première instance, les tribunaux administratifs ont enregistré 2 442 recours, avec 11,39%, à l'initiative de l'Administration fiscale. En phase d'appel, les Cours d'Appel administratives ont enregistré 837 recours avec 61,76%, à l'initiative de l'Administration fiscale. Enfin, en phase de cassation, la Cour de Cassation a enregistré 249 recours, dont 85,14% à l'initiative de l'Administration fiscale (Source : Rapport DGI 2015). C'est donc l'Administration fiscale qui a le plus tendance à contester les décisions de la justice administrative. Est-ce un signe indiquant que la Justice est particulièrement indépendante dans le domaine du contentieux fiscal ? En dehors de ce circuit formel du contentieux fiscal, le contribuable peut aussi s'adresser à d'autres organes, notamment le Médiateur et le CNDH. De même, le contribuable peut décider de mettre fin à ses recours par un accord avec l'Administration fiscale. Sauf que le déroulement des accords/transactions mérite, là aussi, d'être suffisamment encadré par des procédures administratives pour garantir un maximum de transparence. Mais, au-delà du traitement technique du contentieux fiscal, la relation conflictuelle citoyen – Administration fiscale a des racines bien plus profondes. Ainsi, l'examen détaillé des statistiques du contentieux fiscal dans les derniers rapports de la DGI (2013 à 2015), révèle que certaines villes ou régions sont historiquement et sociologiquement plus contestataires de l'impôt. C'est le cas de la ville de Fès ou de la région de Chaouen. C'est aussi le cas de la catégorie des grands propriétaires fonciers qui n'ont pas rompu avec leur subjectivité féodale. De manière générale, tout contribuable s'interroge, de manière légitime, quant aux services publics offerts par l'Etat, en contrepartie générale de l'impôt versé. Dans sa vie sociale quotidienne, il est harcelé à tous les niveaux par le bakchich, le mauvais accueil, l'insécurité, l'état dégradé des routes et de manière générale des infrastructures publiques. De manière particulière, il doit confier ses enfants à une école privée, et en cas d'accident ou de maladie, il doit s'adresser à une clinique privée. La contrepartie générale de l'Etat est si infime qu'elle ne peut pas ne pas impacter négativement l'état du civisme fiscal. Comment donc expliquer aux enfants, dans les écoles, et aux citoyens en général, à travers les médias, l'importance, voire la nécessité de l'impôt pour pouvoir assurer le «vivre ensemble», sans glisser vers la langue de bois ?