Sanctionner l'incivisme fiscal est nécessaire. La fraude fiscale est un délit/crime dirigé contre toute la société. C'est une rupture du contrat social. Mais punir n'est pas toujours la meilleure solution. L'Administration fiscale devrait d'abord jouer pleinement son rôle en matière de communication et de vulgarisation dans un domaine assez complexe. Car, les défaillances des contribuables ne sont pas toujours dues à la mauvaise foi. par M. Amine L'Administration fiscale semble actuellement se diriger vers un assouplissement ou plutôt une application intelligente des sanctions fiscales. Le débat a été récemment entamé avec plusieurs partenaires dont la CGEM et l'Ordre des Experts Comptables, acteurs incontournables sur les questions d'ordre fiscal. Car, le système de sanctions actuellement en vigueur est quasi aveugle. Et ce n'est pas seulement une question de pratique administrative. Nul n'est censé ignorer la loi fiscale ? C'est un problème dont l'origine est d'abord dans la loi fiscale. Ce système fait rarement la distinction entre bonne foi et mauvaise foi, sauf lorsque l'acte de fraude est susceptible d'être qualifié de délit. El là, il s'agit de sanctions pénales où l'existence de l'élément moral, c'est-à-dire l'intention frauduleuse, doit être établie par l'Administration fiscale (principe de présomption d'innocence en matière pénale). Néanmoins, les dispositions érigeant la fraude fiscale en délit pénal datent de 1996 et n'ont jamais été appliquées, car inapplicables, compte tenu de la complexité de la procédure prévue en la matière. D'où l'impunité qui sévit dans un domaine aussi sensible et aussi stratégique dans le développement du civisme et de la construction de l'Etat de droit. Cette nouvelle orientation de la DGI découle du fait que les textes fiscaux, malgré les efforts réalisés en termes de simplification et de regroupement en un seul code, demeurent complexes et changent chaque année. Le déficit chronique de communication sur la fiscalité et le taux d'analphabétisme encore important, créent une situation objectivement favorable aux défaillances involontaires. Radio et télévision s'investissent rarement dans ce domaine, compte tenu de l'absence de journalistes maitrisant suffisamment cette matière. Les partis politiques y prévoient une faible place dans leurs programmes électoraux, quand ces derniers existent. Même des universitaires ou de hauts fonctionnaires ou hauts cadres du secteur privé sollicitent chaque année l'appui d'un inspecteur des impôts ou d'un comptable pour remplir leur déclaration fiscale annuelle du revenu global. De quelles obligations s'agit-il ? Il est question principalement et souvent d'obligations déclaratives. Si le contribuable est un salarié ayant uniquement un revenu salarial ou s'il s'agit d'un retraité, l'impôt est prélevé à la source. Dans ces cas, il n'y a pas d'obligation déclarative. C'est l'employeur ou le débirentier qui doit souscrire une déclaration annuelle récapitulative au mois de février de chaque année. Par contre, si le salarié dispose de plus d'un salaire, ou s'il dispose d'un autre revenu, dont l'imposition à la source n'est pas libératoire, il doit souscrire une déclaration du revenu annuel global, avant le 1er mars qui suit l'année concernée, tout en précisant et en justifiant l'impôt déjà prélevé à la source. Cette déclaration de cumul permet d'appliquer au revenu annuel global le principe de progressivité, et donc d'appliquer la tranche correspondante qui peut être plus élevée que celle appliquée à chaque revenu séparément. Combien de contribuables étant dans cette situation, sont au courant de cette obligation ? Ils sont certainement nombreux à ignorer cette obligation et sont de ce fait en situation fiscale irrégulière sans pour autant être de mauvaise foi. Une autre catégorie importante de défaillants : les contribuables ayant des revenus fonciers ou locatifs. Ils reçoivent chaque année un avis d'imposition relatif à la taxe de services communaux et croient souvent sincèrement que c'est le seul impôt dû. Ils ne savent pas, que même si les revenus locatifs perçus n'atteignent pas le seuil imposable actuellement de 30 000 dirhams, ils ne sont pas pour autant dispensés de l'obligation déclarative. Et le minimum de sanction est de 500 dirhams. Même en cas d'exonération, l'obligation déclarative demeure. Et là, le défaut de déclaration ou déclaration hors délai est sanctionné par une majoration de 15% de l'impôt théorique, c'est-à-dire l'impôt normalement dû en l'absence d'exonération. Bonne ou mauvaise foi, la sanction est identique Les professionnels au régime du forfait doivent chaque année, avant le 1er mars, déposer une déclaration fiscale, remplir deux pages sur un total de plus de 10 pages, et se voir imposer selon une base qu'il n'ont pas déclarée, mais fixée par les services fiscaux, selon une méthode souvent génératrice de contentieux. Des montagnes de papier occupent l'espace administratif, sans classement, s'entassent infiniment... Un petit oubli, un dépôt tardif de quelques heures, est sanctionné de la même façon qu'un retard de plusieurs mois, ou un dépôt suite à relance de l'Administration fiscale. Découvrant que la sanction sera dans tous les cas la même, le contribuable défaillant mais de bonne foi, ne se manifeste guère pour régulariser volontairement sa situation fiscale. «Que l'Administration fiscale fasse son travail et me relance, puisque de toute façon je serai sanctionné comme un fraudeur !», dit-il. C'est aussi le cas en matière de paiement spontané d'impôt. Retard de quelques heures ? Ou de quelques mois ? Eh bien, il sera appliqué dans les deux cas une majoration automatique de 10% pour défaut ou insuffisance de versement. Seuls les intérêts de retard diffèrent. Et paradoxalement, le montant de ces intérêts est assez élevé pour le premier mois de retard, soit 5% de l'impôt dû, et ensuite, de manière identique, 0,5% pour chaque autre mois de retard. Soit un taux d'intérêt annuel de 10,5%, exempté de TVA. Que le contribuable soit relancé par l'Administration fiscale ou qu'il se présente de son propre gré, la sanction sera identique. De quoi faire regretter au contribuable défaillant son acte volontaire en voulant régulariser spontanément sa situation fiscale, sans avoir été « coincé » ni relancé par le fisc. Pourtant, compte tenu du manque de ressources, souvent à l'origine de la faiblesse du contrôle de l'Administration fiscale, ce comportement mérite d'être encouragé. La fuite de l'impôt de manière volontaire en recourant à des manœuvres frauduleuses, doit être sanctionnée et même de manière beaucoup plus sévère, surtout lorsqu'il s'agit de la TVA ou de l'IR prélevé à la source, car dans ces cas, l'entreprise ne joue qu'un rôle d'intermédiaire entre le Trésor public et le vrai contribuable : consommateur et/ou salarié. C'est pratiquement un détournement de fonds publics. Cette distinction est nécessaire. Elle peut encourager de nombreux contribuables honnêtes à régulariser leur situation fiscale sans crainte. Dans la pratique, il est possible de ne pas appliquer ou d'appliquer une sanction symbolique au contribuable défaillant qui se présente volontairement, sans avoir été relancé par le fisc, pour régulariser sa situation fiscale, que ce soit en matière de déclaration ou de recouvrement. C'est aussi le cas d'une entreprise qui, après un audit interne, découvre des erreurs comptables ayant un impact sur le résultat fiscal déclaré. Celle-ci devrait avoir la possibilité de souscrire une déclaration rectificative et d'effectuer un versement spontané complémentaire sans application de sanctions. Dans cette perspective, l'Administration fiscale et le contribuable sont tous les deux gagnants et d'abord en termes de confiance. Le coût de gestion de l'impôt est réduit, car la régularisation ne découle pas de l'action administrative engagée par le fisc. Celui-ci engage moins de frais de relance ou de poursuites et le contribuable ne paie ni majoration ni pénalités. L'Administration fiscale sera perçue autrement. C'est là le meilleur résultat escompté. La méfiance réciproque pourra être remplacée par une vraie collaboration. Et le fisc pourra se concentrer sur la vraie fraude. La relation fisc – contribuable sera encore plus différente lorsque la délivrance d'attestations et le traitement du contentieux seront plus rapides et plus transparents, et de manière générale, lorsque la qualité de service au contribuable sera meilleure. C'est là un objectif clairement exprimé et partagé lors des dernières Assises fiscales d'avril 2013. Sa mise en œuvre permettra de faire du civisme fiscal la règle et de la sanction fiscale, l'exception.