Les pays exportateurs de pétrole du Moyen-Orient doivent mettre fin à l'indexation au dollar de leurs monnaies. La semaine passée, le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, l'a qualifié de «morceau de papier sans valeur», tandis que le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, se plaignait de «l'immense pression» qu'il infligeait à son pays. La chute inéluctable du dollar (qui a une fois de plus atteint un niveau très bas, 1,49 $ par rapport à l'euro, le 21 novembre) provoque les railleries des critiques de l'Amérique, tout en mettant les nerfs des investisseurs à vif et en donnant des migraines aux responsables politiques. Mais dans le Golfe, le dilemme est plus grave que nulle part ailleurs, car dans cette région, pratiquement tous les Etats riches en pétrole fixent le cours de leurs monnaies par rapport au billet vert. La montée en flèche des prix du pétrole, conjuguée à la dégringolade du dollar, est en train d'attaquer leurs économies et de faire grimper l'inflation. Lors de leur prochaine rencontre qui se tiendra le 3 décembre au Qatar, les Etats du Golfe auront tout intérêt à se mettre d'accord pour distendre leurs liens avec le dollar. La raison du développement de liens aussi étroits avec le dollar réside dans la volonté de fournir un point d'ancrage aux économies de la région, dont la plupart sont jeunes, ouvertes et immatures d'un point de vue financier. En effet, les Etats du Golfe importent la politique monétaire des États-Unis. L'ennui c'est qu'une monnaie fixe ne permet que difficilement aux exportateurs de pétrole de s'ajuster par rapport aux fluctuations de son prix. Et la politique monétaire du plus grand importateur de pétrole au monde n'est pas toujours la meilleure pour les pays qui vendent le produit. La montée en flèche des prix du pétrole a valu aux pays arabes du Golfe d'amasser d'immenses richesses. Donc théoriquement, leurs taux de change réels devraient augmenter. Le meilleur moyen d'y arriver serait que la monnaie devienne plus forte, mais cette indexation au dollar empêche toute appréciation nominale. Pire encore, le dollar lui-même est en chute libre. Il s'ensuit, par conséquent, une inflation nationale galopante. Certaines des plus petites économies du Golfe atteignent désormais des taux d'inflation de l'ordre de 10 %. Qu'est-il possible de faire ? Les deux options les plus envisagées sont une réévaluation, ou bien la solution du panier de devises (ce que le Koweït a déjà fait). En réindexant leurs monnaies au dollar à un taux plus élevé, les Etats du Golfe seraient à même de soulager quelque peu la pression inflationniste à laquelle ils font face aujourd'hui. Mais ils ne régleraient pas pour autant le problème de l'inadéquation sous-jacente entre tout pays exportateur de pétrole et une indexation au dollar. Passer d'une indexation à un panier de devises, qui inclurait aussi l'euro et le yen, permettrait aux Etats du Golfe de mieux se protéger contre les fluctuations du prix du pétrole, mais il serait faux de dire qu'il s'agit de la solution idéale. Les devises les plus fortes étant celles des importateurs de pétrole, les pays du Golfe continueraient de fixer leurs cours par rapport à des conditions monétaires qui ne leur conviendraient pas forcément. L'indexation des monnaies finirait par être abandonnée. Après tout, les économies développées qui sont de grands exportateurs de matières premières, telles que la Norvège, permettent à leurs monnaies de flotter. Ces dernières années, un grand nombre d'économies émergentes sont passées de l'indexation du taux de change au «flottement dirigé». Au lieu de se concentrer sur le taux de change, leurs banques centrales visent un objectif d'inflation. Si le Golfe opte pour une monnaie unique, prévue dans les prochaines années, cette monnaie devra flotter à coup sûr. Mais tout flottement est irréalisable à court terme. Ces pays n'ont pas l'expérience d'une politique monétaire indépendante et ne disposent que de trop peu d'institutions pour la mener. Pour l'instant, les Etats du Golfe sont embourbés dans cette indexation, bien qu'ils soient capables de faire mieux que le dollar. Une idée peu banale serait d'inclure le prix du pétrole dans un panier qui contiendrait les monnaies les plus fortes. Cela permettrait pourtant à leurs monnaies d'absorber une partie de l'impact des fluctuations du prix du pétrole. Par contre, ce qui reste incertain, c'est l'effet d'un tel bouleversement sur le dollar. Dans l'immédiat, les conséquences sur l'appétit des pays du Golfe pour les billets verts ne seraient pas spectaculaires, puisque le dollar occupera toujours une place de taille dans tout panier. Et les exportateurs de pétrole ne vendraient pas non plus soudainement leurs réserves en dollars. Le souci, c'est que si les Etats du Golfe cessaient de fixer le cours de leurs monnaies par rapport au dollar, les investisseurs deviendraient nerveux, voire même complètement paniqués. Ce risque est réel. Mais avec la montée des prix du pétrole et la chute du dollar, les dangers de l'inaction seraient pires encore. Les pays du Golfe doivent absolument cesser leur indexation au dollar, et dès maintenant.