A la suite d'une fusion acquisition, d'une privatisation, d'un changement substantiel au niveau de l'actionnariat, d'une restructuration entraînant un changement dans la politique générale de l'entreprise ou, tout simplement, à la suite d'un désaccord profond avec l'employeur, les cadres dirigeants sont souvent remerciés. A quelles indemnités ces cadres peuvent-ils prétendre ? Sont-ils considérés comme des salariés ou des mandataires ? Peuvent-ils cumuler les deux qualités ? Eclairage de Me M'hamed EL FEKKAK (photo), avocat au barreau de Casablanca. Challenge Hebdo : Pourriez-vous, d'abord, nous définir les Cadres Supérieurs et les Cadres Supérieurs Dirigeants ? M'hamed El Fekkak : La qualité de cadre supérieur est normalement subordonnée à une double condition, avoir reçu la formation nécessaire pour exercer une fonction de responsabilité, cette formation peut être constatée par des diplômes appropriés ou acquise par une longue expérience professionnelle, et exercer par délégation de l'employeur un commandement sur des collaborateurs ou des fonctions exigeant la mise en oeuvre d'une technicité laissant à l'intéressé une marge d'initiative et de responsabilité. La vraie direction de l'entreprise est assurée par des mandataires sociaux (administrateurs délégués, directeurs généraux, gérants..) qui peuvent être des cadres supérieurs salariés. C.H. : Et les Mandataires Sociaux, pourriez-vous les définir ? M.E.F. : Les mandataires sociaux sont des personnes désignées par les statuts, l'assemblée des associés ou des actionnaires, par le conseil d'administration ou le conseil de surveillance pour diriger, représenter ou contrôler la société. Ainsi, sont mandataires sociaux: les gérants (majoritaires ou non) de sociétés de personnes, sociétés en commandite ou SARL, les administrateurs de sociétés anonymes, le président du conseil d'administration dans la société anonyme classique, le directeur général, les membres du conseil de surveillance, les membres du directoire dans les sociétés de type dualiste, les représentants permanents de personnes morales dans les conseils et les administrateurs de SICAV. Tous ces mandataires figurent obligatoirement au registre du commerce. Il y a donc une façon pratique de s'assurer que tel ou tel dirigeant d'une société est bien mandataire social: lever un extrait du registre de commerce. Si le statut des gérants, administrateurs, présidents et membres de directoire n'appelle pas de remarques particulières, il convient de souligner que le poste de directeur général se présente comme un cas particulier. C.H. : Pourquoi le directeur général est-il un cas particulier ? M.E.F. : Parce qu'il peut être extérieur à la société, à la différence du président qui, lui, est obligatoirement actionnaire et administrateur; parce qu'il existe souvent une confusion, y compris dans l'esprit des intéressés eux-mêmes, entre le titre et la fonction. Le directeur général tient ses fonctions du président et n'est désigné par le conseil que sur proposition de celui-ci. Son mandat s'éteint en même temps que celui du président sauf intérim jusqu'à la nomination du nouveau. C'est un vrai mandataire. Il dispose, à l'égard des tiers, des mêmes pouvoirs que le président notamment pour ester en justice. Il est un des «organes» de la société capable d'en assurer la représentation légale. Il ne faut donc pas utiliser ce titre, qui correspond à une définition bien précise, comme une simple carte de visite pour mieux s'affirmer à l'extérieur. Lorsqu'arrive la fin des relations, les ennuis commencent avec la société qui, en l'absence de contrat clair, pourra essayer de contester la qualité de salarié pour éviter de payer les indemnités. Le directeur général (lorsqu'il n'est pas muni d'un contrat de travail soit avant soit après sa nomination) ne bénéficie d'aucun des droits prévus par la législation du travail, celle-ci ne lui étant pas applicable, sa rémunération n'a aucun caractère salarial, la durée de son travail n'est pas limitée, aucun repos ou congé ne lui sont dus, s'il est mis fin à son mandat, il n'a pas droit à un préavis ni à une quelconque indemnité. L'article 526 du code du travail relatif à l'âge de retraite ne lui est pas applicable, il n'est, donc, pas concerné par le problème de son âge. Cependant, le mandat donné par le conseil d'administration peut prévoir et fixer, au profit du directeur général, en cas de révocation de son mandat, une indemnité qui n'a pas un caractère salarial, mais qui est imposable comme un salaire. En cas de litige l'opposant au conseil d'administration au sujet de son mandat, le tribunal social n'est pas compétent. En cas de décès, démission ou révocation du président du conseil d'administration, le directeur général conserve ses fonctions et ses attributions jusqu'à la nomination du nouveau président. C.H. : Le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail est-il possible ? M.E.F. : Un mandataire social ne devrait pas normalement se faire consentir un contrat de travail (s'il n'était pas déjà salarié de la société avant sa nomination), cependant le cumul n'est pas proscrit à titre général. D'une manière générale, il est important de distinguer, parmi le personnel dirigeant de l'entreprise, le mandataire social du cadre supérieur salarié. Les premiers sont responsables vis-à-vis des associés, les seconds ne le sont qu'à l'égard de la société qui les emploie. Les premiers sont révocables à tout moment, les seconds bénéficient de la protection d'un contrat de travail. C.H. : Les pouvoirs de cadre dirigeant et de mandataire social ne sont-ils pas incompatibles ? M.E.F. : Il y a lieu, tout d'abord, de souligner que les mandataires sociaux sont, non pas recrutés par contrat de travail, mais désignés par des statuts de la société ou élus par l'organe délibérant de celle-ci, ils sont, normalement, révocables sans exigence de motif précis, sans préavis, sans indemnité (sauf convention contraire, faite par écrit). Il n'existe de limites à leurs pouvoirs que ceux découlant de l'intérêt de la société qu'ils représentent. Leurs pouvoirs sont de caractère général, ils peuvent les déléguer. Leur situation a tendance à se calquer sur celle des cadres salariés, même s'ils ne sont pas régis par le droit du travail. Ils perçoivent une rémunération (qui n'est pas un salaire) et bénéficient d'une protection sociale (CNSS, CIMR..), souvent une indemnité de départ leur est octroyée à la fin de leur mandat. C.H. : Le directeur général peut-il être un salarié ? M.E.F. : Oui, à côté de sa qualité de mandataire, le directeur général peut être lié avec la société par un contrat de travail. Afin de sauvegarder le respect du principe de la révocabilité des mandataires sociaux, il faut que le cumul des fonctions, mandataire et salarié, soit effectif et que le contrat de travail ne soit pas le moyen pour le mandataire d'entraver sa révocabilité. Les fonctions salariées doivent être réelles, se distinguer véritablement de celles de mandataire social, être exercées sous un lien de subordination et faire l'objet d'une rémunération particulière. Les fonctions salariées confiées au mandataire social (directeur général) doivent caractériser le contrat de travail et donc s'accomplir sous la subordination de la société. L'existence d'un contrat de travail ne peut être retenue lorsqu'elle est fondée sur la lettre de licenciement à un mandataire social sans démontrer que ce dernier se trouvait dans un lien de subordination avec la société. Les modalités de rémunération doivent correspondre à la dualité alléguée de fonctions, chacune d'entre elles doit faire l'objet de rémunération propre. Les fonctions salariées doivent faire l'objet d'une rémunération correspondant à la tâche accomplie. Le mandat social, s'il n'est pas gratuit, fait l'objet d'une rémunération distincte. C.H. : Qu'advient-il du directeur général lorsqu'il atteint l'âge de la retraite ? M.E.F. : Le directeur général muni d'un mandat social et d'un contrat de travail, bénéficie de la protection prévue par la législation du travail en faveur des salariés. Cette protection prendra fin dès que l'intéressé aura atteint l'âge de retraite. C.H. : Le président directeur général peut-il, lui aussi, être un salarié ? M.E.F. : Le président assume, sous sa responsabilité, la direction générale de la société, le cumul de son mandat social et d'un contrat de travail est possible dans la mesure où le contrat correspondant à une prestation réelle de travail et qu'il n'a pas pour but exclusif de limiter la liberté de révocation du mandat social. Cette subordination doit se manifester à l'égard de tous les mandataires sociaux, même ceux qui sont à la tête de la société, comme le président du conseil d'administration, celui-ci peut, à côté de ses fonctions de directeur général, assurer en qualité de salarié, des fonctions techniques distinctes, en restant placé sous la subordination de la société. Les fonctions salariées doivent être distinctes, faisant l'objet d'une rémunération propre et exercée sous la subordination de la société. C.H. : L'administrateur directeur général peut-il, lui aussi, être un salarié ? M.E.F. : Oui, un directeur général cumulant mandat de direction générale et contrat de travail peut recevoir un mandat social d'administrateur. Lorsqu'un administrateur se voit confier les fonctions de directeur général, la durée de ses fonctions ne peut excéder son mandat. C.H. : Le mandat pour diriger une filiale pose-t-il des problèmes ? M.E.F. : Non, une société mère peut, pour diriger une de ses filiales, donner mandat à un de ses salariés afin d'assumer les fonctions de la direction générale, sous la subordination de la société mère. Cette forme de cumul est admise, et il n'est pas nécessaire de rechercher si l'intéressé exerçait une activité salariée distincte de son mandat social, dès lors que le directeur général est placé sous la subordination de la société mère.