Veillée d'armes pour les quatre grands constructeurs mondiaux. Le Français Alstom, l'Espagnol CAF, le Canadien Bombardier et l'Italien Ansaldo, qui étaient en lice pour l'adjudication du tramway de Rabat, vont s'affronter à nouveau à Casablanca pour le même type de projet sur fond de petits calculs. Mais Alstom et CAF partent déjà favoris dans cette bataille où les politiques et lobbies joueront leur partition parallèlement aux offres techniques et financières des différents postulants. Le projet de réseau de la première ligne du tramway de Casablanca (30 km) intéresse les grands constructeurs. À un mois du lancement de l'appel d'offres pour le matériel roulant, des opérateurs originaires de plusieurs pays ont manifesté leur intérêt auprès de la société Casa Transport, maître d'œuvre de ce projet de transport dont les premiers coups de pioche ont été donnés ce 11 mai, avec la première phase qui consiste en la déviation des réseaux. « L'appel d'offres pour le matériel roulant est prévu pour début juin 2009. Mais avant cela, nous avons rencontré les quatre principaux constructeurs mondiaux que sont le Français Alstom, l'Espagnol CAF, le Canadien Bombardier et l'Italien Ansaldo. Ils sont tous très intéressés par le projet », confie Youssef Draiss, directeur général de Casa-Transport. Le jeu en vaut la chandelle, puisque le coût de réalisation de la première ligne du tramway est de 6,4 milliards de dirhams, dont un peu moins de la moitié sera affecté à l'acquisition du matériel roulant. Le financement de la réalisation de cette première tranche du tramway de Casablanca est d'ores et déjà assuré. Sur les 6,4 milliards de dirhams d'investissements prévus, l'Etat participera à hauteur de 1,2 milliard de dirhams, la direction générale des collectivités locales (DGCL) contribuera pour un montant de 1,5 milliard de dirhams, la commune urbaine de Casablanca pour 840 millions de dirhams, le fonds Hassan II pour 400 millions de dirhams alors que d'autres actionnaires mettront 60 millions de dirhams. Ce financement en fonds propres, qui s'élève à 4 milliards de dirhams, s'ajoutera aux 2,4 milliards de dirhams restants, qui proviendront d'emprunts concessionnels garantis par l'Etat. Dans ce sens, pour lever les 2,4 milliards de dirhams restants, Casa Transport mise sur les constructeurs mondiaux qui présenteront, lors de l'appel d'offres, leurs offres techniques et financières accompagnées de financement éventuel. C'est en effet dans ce dernier volet que les grands fabricants de matériel proposent leurs conditions de prêt. D'ailleurs, le maître d'ouvrage du tramway de Casablanca ne se fait pas de souci à ce niveau. « Généralement, dans des projets pareils, les constructeurs proposent des prêts à des taux très préférentiels pour le financement du matériel roulant », indique Youssef Draiss. Voilà qui laisse augurer de belles empoignades chez les quatre multispécialistes ferroviaires. En effet, lors de l'appel d'offres du tramway de Rabat en 2008, l'offre de financement d'Alstom, soutenue par le gouvernement français, avait pesé lourd dans le choix de l'Agence pour l'aménagement de la vallée du Bouregreg de confier son marché aux Français qui, malgré leurs références techniques et leur expertise confirmée dans le domaine, étaient au coude à coude avec les Espagnols de CAF. Dans le cadre de cette opération, à en croire une source proche de l'Agence pour l'aménagement de la vallée du Bouregreg, l'Etat français avait octroyé au Maroc un prêt de 150 millions d'euros, soit plus de 1,5 milliard de DH avec des conditions avantageuses pour la partie marocaine : le taux d'intérêt était fixé à 2,38 % et le remboursement étalé sur 30 ans, à partir de la cinquième année d'activité. « Les Espagnols avaient également fait une offre de financement intéressante, mais quand même moins attrayante que celle des Français », précise la source. Alstom et CAF en pole position Pour le marché du tramway de la capitale économique, Alstom craint les Espagnols qui, semble-t-il, ont bien retenu les leçons de l'appel d'offres concernant le tramway de Rabat. En fait, CAF, qui avait constitué un sérieux concurrent pour le groupe français sur le projet de Rabat, le sera davantage sur celui de Casablanca. « Alstom est prêt à répondre à l'appel d'offres du tramway de Casablanca dont nous attendons la publication du cahier des charges. Nous apportons, comme pour tous les appels d'offres de tramway, notre expertise et notre technologie reconnues à travers le monde. A ce jour, près de 1200 tramways Citadis ont été commandés par 29 villes dans le monde », souligne Eric Lenoir, responsable chez Alstom. Quoi qu'il en soit, la bataille sera rude. Comme pour l'appel d'offres de Rabat, les politiques et les lobbies de tout genre ont déjà commencé à jouer leur partition. « Leur terrain de jeu ne sera ni auprès des futurs élus du Conseil de la ville qui sortiront des élections communales du 12 juin prochain, encore moins des actuels élus. Leur terrain de chasse, s'il existe, ne peut être qu'auprès du gouvernement qui est l'actionnaire principal dans ce projet », renseigne cet élu qui, apparemment, ne digère toujours pas que le projet soit porté par l'Etat et les institutionnels publics (voir structure de l'actionnariat dans le graphe). Une montée en force des groupements Toujours est-il que du côté d'Alstom, l'on se garde de se prononcer sur le lobbying français qui avait joué un grand rôle dans l'adjudication du tramway de Rabat. « Nous ne pouvons répondre à la place de nos clients (NDLR : Agence du Bouregreg) sur les raisons de leur choix », se contente de répondre Eric Lenoir, directeur de la communication pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord chez Alstom Transport. Durant cette dernière décennie, on a enregistré une montée en force de groupements, notamment espagnols et italiens, aux dépens des Français au Maroc. La concurrence a touché tous les secteurs, même ceux où les Français sont considérés comme des champions mondiaux. Il s'agit en l'occurrence de l'ingénierie et de la fabrication dans le transport ferroviaire et urbain. Alstom n'oublie pas le revers qu'il a essuyé fin 2007 lors de la déclinaison de son offre devant celle de l'Italien Ansaldo pour décrocher le marché de la fourniture de 24 rames à double niveau pour le compte de l'ONCF. Le coût de l'opération s'est élevé à plus de 2 milliards de DH. Pendant cette période, on a enregistré également l'arrivée en force des entreprises espagnoles pour obtenir des contrats concernant plusieurs activités ferroviaires comme le caténaire et la construction des wagons phosphates. Alstom n'a pu relever la tête que lors de la dernière visite de Sarkozy durant laquelle la France a décroché de nombreux contrats. Ainsi, un protocole d'accord portant sur des dizaines de milliards de DH a été signé le mois dernier entre le Maroc et la France, par lequel il a été confié à la SNCF (Société des chemins de fer français), Alstom et le Réseau ferré de France, la conception, la réalisation, l'exploitation et l'entretien de la ligne TGV entre Tanger et Kénitra (200 km). Quant aux Canadiens de Bombardier, leur point faible réside au niveau de l'offre de financement. Pour le projet de Rabat, ils ont été écartés le jour de l'ouverture des offres financières. A moins qu'ils ne retiennent la leçon. Contrairement au projet de Rabat, celui de Casablanca n'a pas opté pour un appel d'offres global comportant trois sous-appels d'offres : le premier se rapporte aux voies ferrées, le second aux caténaires et aux sous-stations alors que le troisième est relatif à la fourniture des rames et du matériel roulant. Seul ce dernier sera lancé début juin prochain. Les deux autres seront lancés séparément fin 2009. Comme quoi, il pourrait bien y avoir un partage du gâteau entre les constructeurs mondiaux. Un autre point reste encore sans réponse. C'est l'exploitation. Pas de scénario pour le moment. S'agira-t-il d'une exploitation directe par Casa Transport ou d'un concessionnaire entièrement privé ? Travaux : cap sur fin 2012 Les travaux de la première tranche (30 km ) du tramway de Casablanca ont démarré du côté du boulevard Okba, entre les quartiers de Sidi Bernoussi et Moulay Rachid. Les travaux sur ce segment de 2 km dureront cinq mois. La première phase consiste au déplacement des réseaux de téléphonie, eau, électricité, fibres optiques, chambres et câbles de téléphonie. Ils concernent plus particulièrement des entreprises comme Maroc Telecom, Méditel, Wana, la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), l'Onep ainsi que Lydec. Les travaux de déviation sur la totalité de la première ligne du tramway s'étaleront sur 18 mois. Parallèlement à cette première phase, d'autres chantiers seront engagés progressivement. «Pour chaque tronçon dont les travaux de déviation de réseaux sont finalisés, nous passerons immédiatement aux autres phases». Ce qui veut dire que la seconde phase, consacrée aux ouvrages enterrés (locaux techniques, multitubulaires), démarrera sur les lieux où la déviation est bouclée. Et progressivement viendront la troisième étape (la plate-forme et la pose de voie) et la quatrième étape (voirie et revêtement de la plate-forme). La pose des équipements constituera la dernière pierre de l'édifice. Quand cette phase sera bouclée, on passera aux essais puis à la mise en service du tramway, fin 2012.