Des dizaines de cabinets de recouvrement existent. Même si une petite poignée seulement jouit d'une notoriété sur le marché, d'autres ne disposent que d'un seul client dans leur portefeuille. Aussi, de nouveaux venus ont tout récemment investi ce secteur et jouent la carte de la proximité en s'installant dans des régions jusque-là non couvertes par ce business des temps modernes. La crise économique leur donne du punch à coup sûr. Si les créations de cabinets de recouvrement se multiplient, c'est qu'il y a nécessairement un besoin de l'autre côté de la barre, peut-on dire. «A quelque chose malheur est bon», se contente de souffler laconiquement le patron de l'une de ces nouvelles entreprises qui font des incidents de paiement leur source de gagne-pain. En effet, il faut admettre que la crise, qui risque fort bien de paralyser bon nombre de secteurs économiques au Maroc, pourrait par contre faire fructifier des business qui n'étaient pas tous prospères en temps normaux. Certes, ces derniers ne sont pas très nombreux. Mais ils existent. Et certains d'entre eux peuvent aujourd'hui profiter d'une situation de malaise global. Schématisons un peu les choses. C'est un secret de polichinelle que les banques ont serré les vis en matière de crédits accordés aux entreprises, notamment les PME. Elles craignent le pire et préfèrent prévenir plutôt que guérir. Seulement, des conséquences directes et indirectes désastreuses naissent de cette nouvelle restriction. La trésorerie des PME souvent soulagée grâce à des facilités de caisse, manque de fonds. « J'ai des impayés de clients avec lesquels je n'ai jamais eu de problème de règlements par le passé. Ils ont depuis toujours joui d'une bonne réputation sur le marché, mais là, ils basculent du côté des clients à risque», lance le patron d'une PME. Et d'ajouter sur un ton d'inquiétude, «quand je me suis renseigné, j'ai appris qu'ils ne bénéficiaient plus d'une ligne de facilités avec leurs banques. Je crois qu'il ne s'agit pas de cas isolés. Je crains que ce soit le début d'un déluge d'impayés». Du pain béni pour les sociétés de recouvrement, dont la pérennité dépend vivement des volumes d'argent qu'elles brassent, dans la mesure où elles sont rémunérées par des commissions sur les créances recouvrées. «Cela fait quelques mois que nous ressentons de la tension dans l'air en matière d'impayés. Les informations qui nous remontent confirment une montée en puissance des incidents de paiements», lance Jamal Krim, administrateur de Reco-act, le doyen des sociétés de recouvrement au Maroc. Du côté des entreprises, il y en a qui préfèrent baisser sensiblement leur chiffre d'affaires pour ne traiter qu'avec des clients solvables et sûrs afin de limiter les dégâts. «J'ai donné mes consignes à mon staff commercial pour trier les clients sur le volet. Je fais de la prévention commerciale», ajoute un patron d'entreprise. Ceux qui optent pour la prise de risque jouent en quelque sorte le tout pour le tout. Mais ce sont ceux-là même qui constituent d'éventuels futurs clients des sociétés de recouvrement. «Nous n'avons pas ressenti d'augmentation hors norme de notre chiffre d'affaires durant les derniers mois. Les entreprises qui ont constaté des incidents de paiement ne s'adressent pas forcément à des recouvreurs externes en cas de pépin», nuance Farid Benjelloun, président de Fin-flouss.com, cette société de moins de trois ans, qui a la particularité d'être adossée au cabinet d'avocats Bassamat&Associés. D'ailleurs, dans le secteur, on ne s'empêche pas d'attribuer le succès de Fin-Flouss.com à l'étroite relation qu'il entretient avec ce célèbre cabinet casablancais. Une activité ultra-sélecte « Les cabinets de recouvrement n'ont pas encore vu leur chiffre d'affaires augmenter ou leur business évoluer grâce/ à cause de la conjoncture actuelle, car les impayés et les retards de règlement ont malheureusement toujours existé», souligne à son tour Mehdi Omar Touimi, directeur associé du cabinet de recouvrement FTF consulting. En effet, si pour FTF et Fin-flouss.com, l'impact du resserrement par les banques des conditions de crédit n'est pas systématique sur le chiffre d'affaires des cabinets, pour certains de leurs concurrents, la conséquence, quand elle n'est pas encore palpable, ne saurait tarder à devenir réelle. Leurs commerciaux sont déjà à l'affût de la moindre information pour aller chercher des clients là où il y en a. Procédures et frais lourds Et pas n'importe lesquels. Car il faut savoir qu'un cabinet de recouvrement n'accepte pas tous les dossiers qui lui sont remis. «Nous sommes payés via le système des pourcentages sur les montants recouverts. Nous ne pouvons pas accepter un dossier de 10 ou 20.000 qui demande d'engager des frais importants. Si je travaille sur des petits montants, il faut que le client me propose un volume conséquent de dossiers pour que ce soit rentable pour moi », explique Jamal Krim de Reco-Act. Ses petites créances en grands volumes, c'est ce que proposent généralement les sociétés de financement ou les banques. Une donne qui explique que peu de PME aient recours aux services des entreprises de recouvrement, du fait qu'elles sont tout simplement exclues au vu des conditions d'accès «draconiennes». « Je préfère traiter directement avec le débiteur plutôt que de donner 15 ou 20% à un cabinet de recouvrement », témoigne le patron d'une entreprise de matériel médical. Soit. Mais il faut savoir que les sociétés de recouvrement ont leurs propres moyens pour partir à la chasse aux créances en difficulté.Officiellement, elles ne comptent que sur leurs compétences internes, se dotent de logiciels à la pointe de la technologie, voire même nouent des partenariats avec Inforisk (base de données privée au Maroc qui offre des informations actualisées sur l'entreprise, sa santé financière…) comme en témoigne Khalid Ayouche, son président. Mais ce n'est pas tout. Il peut parfois s'agir de créanciers ayant changé d'adresse ou disparu dans la nature et donc difficiles à localiser. La proportion de dossiers qui n'aboutit pas à cause de la difficulté de situer le débiteur est très importante. Les frais engagés dans des cas pareils sont importants et décident souvent du niveau de la commission exigée au préalable par le cabinet (elle va de 5 à 30% selon les dossiers et les cabinets). Selon une source proche du dossier, « la collaboration avec les services de la police s'avère nécessaire pour pister les créanciers. Ces services sont quasi-incontournables dans certains dossiers. Parfois, c'est l'huissier de justice qui sert de courroie de transmission entre les services de police et le cabinet de recouvrement ». C'est cela aussi qui fait la particularité du métier de ces cabinets qui ont une obligation de résultats et non de moyens. Ils ont beau lancer la procédure amiable, puis passer à d'autres procédures par la suite, c'est-à-dire opter pour la voie judiciaire si la créance n'est pas recouvrée, ils ne touchent pas un centime. « Plus une créance est vieille, moins elle est facile à recouvrer », précise Jamal Krim. Un message qu'il passe souvent à ses clients pour leur éviter des pertes sèches et s'éviter un manque à gagner lourd à digérer.