Le secteur du ciment connaît aujourd'hui le plein emploi. Les usines des autres principaux acteurs tournent à plein régime. Pourtant, à la bourse de Casablanca, le secteur traverse des jours sombres, à l'exception de Lafarge qui continue d'être de plus en plus cher. Depuis le mois d'août, Holcim a perdu 19,5%, passant de 3.180 à 2.560 DH. Ciment du Maroc quant à lui, a perdu 23% sur la même période; ceux qui avaient acquis l'action Cimar à 3.200 DH ne peuvent en tirer que 2.460 DH. Le sort est différent pour Lafarge. Entre fin août et le 20 novembre, son cours est passé de 5.800 DH à 2.160, correspondant à 7.920 DH après correction de l'impact de l'attribution d'actions gratuites, soit une hausse de 36%. Mais, lors de la dernière semaine, le titre a baissé pour atteindre 1.960, soit un recul de 9,3% par rapport à son plus haut niveau historique, à peine 10 jours auparavant. Pourquoi ce paradoxe ? Quand tout va bien dans le secteur, comment expliquer que les investisseurs, eux, fassent la moue ? L'avis des analystes émis en octobre était quasi-unanime. Les valeurs cimentières étaient très chères, ce qui laissait suggérer la baisse à laquelle on a assisté. Chez CFG group, on estimait en octobre que l'action Lafarge Ciment ne devrait pas coûter plus de 5.200 DH, c'est-à-dire avant l'augmentation de capital. Etant donné que 3 actions ont été à l'origine de 8 nouvelles actions attribuées gratuitement, le cours objectif de CFG n'était que de 1.418 DH. Depuis la diffusion de la note de recherche, il n'y a pas eu de changement majeur concernant Lafarge. C'est dire que le cours théorique ainsi déterminé prévaut toujours. Au cours de 1.960 DH, l'action Lafarge présenta une surcote de 38%. Les analystes de BMCE Capital Bourse avaient en octobre dernier un avis proche qui fixait le cours théorique de Lafarge à 5.735 DH, soit 1.555 DH, après l'augmentation de capital. Pour Ciment du Maroc, la même convergence prévalait quant au sens que devait emprunter le trend de l'action. Quand CFG Group estimait que le titre devait s'échanger au cours de 2.600 DH, la BMCE Capital Bourse tablait sur un cours de 2.300 DH. Au moment où ces études étaient rendues publiques, l'action Ciment du Maroc s'échangeait au cours de 3.000 DH. Les recommandations semblent avoir été suivies par les investisseurs. Puisque sous l'effet d'une augmentation de l'offre, le titre ne vaut plus que 2.460 DH, franchissant à la baisse le cours objectif fixé par les analystes de CFG mais n'ayant pas encore atteint celui issu de l'étude de la BMCE Capital. En revanche, c'est uniquement concernant Holcim que les conclusions des études des deux sociétés de bourse ne se rejoignaient pas. Puisque CFG recommandait en octobre de conserver l'action jusqu'à 3.100 DH, l'action valait alors environ 2.900 DH. Au même moment, la BMCE Capital Bourse estimait le prix de l'action à 2.629 DH seulement. Etrangement, c'est l'action Holcim qui a connu la plus forte baisse depuis. De 2.970 DH le 3 octobre 2007, il est passé à 2.560 DH, soit une baisse de 14%. A ce niveau, le cours de Holcim a même dépassé l'estimation la plus pessimiste qu'était celle de BMCE Capital Bourse. C'est dire que la cherté des valeurs du ciment est loin d'être vérifiée aujourd'hui, en tout cas pas pour toutes les actions. Ciment du Maroc et Holcim sont sinon à acheter, du moins à conserver selon le consensus qui se dégage des différentes analyses. Il reste néanmoins que Lafarge Ciment doit être allégé des portefeuilles. Selon toute vraisemblance, le secteur devrait connaître une croissance relativement forte au cours des cinq prochaines années. Les ventes de ciment pourraient progresser en moyenne de 6% selon les prévisions les plus pessimistes. Il faut reconnaître qu'au Maroc, tous les secteurs qui servent de locomotive au bâtiment et aux matériaux de construction se portent comme un charme. Encore une fois, les programmes de logements sociaux, le développement des zones touristiques et les nombreux projets d'infrastructures devraient faire les choux gras d'un secteur déjà très rentable. Au cours des trois dernières années, leurs bénéfices ont fortement progressé, malgré une augmentation considérable du coût de l'énergie. Les cimentiers misent notamment sur l'énergie éolienne, dans les sites du Nord pour Lafarge, à Essaouira et à Laâyoune pour Cimar. Cependant, cette rentabilité et cette croissance contiennent peut-être les germes de la fin de la prospérité du secteur. Il est clair que de plus en plus de nouveaux investisseurs feront leur entrée dans le secteur pour assurer des productions locales. Lesquelles productions ont toujours eu raison de la concurrence du fait des frais de transport. L'annonce du groupe Chaâbi et d'Addoha de créer leurs cimenteries respectives montre bien qu'il ne faut pas prendre cette hypothèse à la légère. De plus, le secteur est sur le point de rompre le gentlemen's agreement qui instaurait un partage du territoire entre les grands groupes. Holcim, par exemple, a déjà démarré la production dans son usine de Settat, lui permettant de concurrencer Lafarge sur le marché du centre et Cimar sur Marrakech. Si ces entrées sont confirmées, la part du gâteau de chaque entreprise serait réduite naturellement. Cela pourrait remettre en cause les programmes d'investissement des entreprises existantes pour pallier à la saturation des capacités de production. Pire encore, après avoir augmenté les capacités de production, les unités supplémentaires pourraient avoir du mal à atteindre leur vitesse de croisière. Par exemple, en avril 2008, ce sont 1 million de tonnes de ciment supplémentaires que Lafarge sera capable de produire grâce à l'extension de l'usine de Tanger.