9 heures, un lundi matin à l'agence CNSS Ziraoui à Casablanca. Une file d'attente interminable est déjà dans les starting blocs. Objectif: s'assurer du versement de ses allocations familiales, rapporter des documents manquants pour percevoir sa pension de retraité… mais le plus gros du bataillon reste constitué par les affiliés venus déposer un dossier de remboursement dans le cadre de l'AMO. «C'est la troisième fois que je reviens ici pour le même dossier de remboursement, car à chaque fois, on m'envoie un courrier pour m'informer qu'il manque un document pour compléter ma feuille de soins. Et à chaque fois, j'en ai pour une 1h30 à 2 heures d'attente», déclare Zoubida M., employée de banque. L'Assurance Maladie Obligatoire. Un rêve devenu réalité pour certains, une énigme absolue pour d'autres. Car si l'AMO est opérationnelle depuis septembre 2005, peu de gens savent exactement de quoi il s'agit. Et ce malgré les apparences. En effet, déposer un dossier de remboursement relève souvent du parcours du combattant. Car depuis la mise en place de l'AMO, les agences de la CNSS (Caisse Nationale de la Sécurité Sociale) chargées de traiter les dossiers sont littéralement prises d'assaut. Seulement, la méconnaissance de l'AMO est aujourd'hui réelle. Peu de salariés du privé bénéficiant de l'AMO et versant des cotisations mensuelles font valoir leurs droits. Pour preuve, le système AMO est excédentaire ! Ce doit être probablement l'un des rares, voire le seul système de sécurité sociale où le montant des remboursements ne représente que 30% des cotisations perçues par la caisse nationale de sécurité sociale. «Vous avez raison de dire qu'il y a une mauvaise communication à l'égard des assurés, seulement il faut reconnaître que la CNSS fait de réels efforts en la matière », souligne Abdeljalil Grefft Alami, expert consultant international en ingénierie de la santé. «Il y a un déficit d'information du grand public et même des professionnels de la santé. Mais nous travaillons sur cette question dans le cadre de notre stratégie de communication en vue de vulgariser les prestations assurées (compagnes de communication sur différents supports médiatiques, organisations de campagnes de sensibilisation sur le terrain...). D'ailleurs, en ce moment, nous diffusons des capsules radiophoniques «RDV de solidarité» en darija qui explicitent l'ensemble des prestations CNSS, et l'AMO y a une bonne place», renchérit Mohamed Afifi, directeur de la Stratégie de la CNSS. Seulement, le manque d'information et l'absence de culture de l'assurance maladie ne sont pas les seules lacunes que connaît notre système. Malgré le nombre encore relativement faible d'assurés (comparé à d'autres système de santé dans le monde), les retards enregistrés dans les délais de remboursement suscitent leurs critiques. Des centaines de témoignages abondent dans ce sens, même si la CNSS soutient mordicus que les délais sont largement respectés. «Un dossier qui ne présente aucun problème est remboursé dans les délais précités (cf encadrés). Les retards peuvent être enregistrés pour des dossiers qui présentent un certain nombre de problèmes, notamment si le droit administratif est bloqué à cause du non paiement des cotisations ou si le RIB de l'assuré ou du prestataire de soins n'est pas bien renseigné», insiste Afifi. Mais malgré ces propos rassurants, les faits sont là. Et cela ne risque pas de s'arranger, dans la mesure où le nombre d'assurés et de dossiers à traiter augmentera inéluctablement. La CNSS risque de se voir totalement dépassée par le volume de travail. Mais là encore, les responsables de la caisse ont une réponse toute trouvée. «Ce problème ne risque pas d'arriver, car la CNSS ne se limite pas à gérer l'existant. Parallèlement, elle se projette dans le futur via des études spécifiques. Ainsi, la CNSS chaque année réalise une étude portant sur l'extension de son réseau d'agences et le dimensionnement des services de l'AMO. Sur la base de ces études, la CNSS identifie un certain nombre de zones au sein desquelles elle va créer ou renforcer sa représentation. L'effort de la CNSS ne porte pas uniquement sur l'accompagnement de la montée en charge des dossiers, mais également sur l'amélioration continue de la qualité du service», explique Mohamed Afifi. Mais pour les observateurs avertis du secteur de la santé, ce problème de gestion indéniable au jour d'aujourd'hui ne peut être dépassé que si le système révolutionne son système informatique (voir l'interview Abdeljalil Grefft Alami). Car outre l'engorgement dont souffre le traitement des dossiers, il y a un obstacle de taille auquel doit faire face l'assuré si il bénéficie d'une assurance complémentaire. Il doit à la fois déposer son dossier de remboursement auprès de la CNSS, mais aussi auprès de sa mutuelle complémentaire (cf «l'Assurance maladie complémentaire : un système encore mal organisé»). Cependant, la caisse travaille sur ce point. «La CNSS vient de signer une convention de coopération avec la CNIA après en avoir signé auparavant une autre avec Al Wataniya. L'objectif derrière cette démarche est de travailler en concertation avec les compagnies d'assurance en vue de mettre en place une plate-forme technique qui facilitera les échanges électroniques entre la CNSS et ces compagnies dans le cadre de la gestion d'une couverture maladie complémentaire. Une telle organisation aura pour objectif de créer un guichet unique où l'assuré déposera un seul dossier et ne subira qu'un seul contrôle et une seule formalité, se faisant rembourser la partie AMO par la CNSS et la partie complémentaire par la compagnie d'assurance», explique le responsable de la stratégie. Bien que le système de l'assurance maladie obligatoire présente de nombreuses lacunes, les experts du secteur s'accordent à dire que même si l'AMO est perfectible, elle a d'abord et avant tout le mérite d'exister. Qui est éligible à l'AMO ? L'AMO est destinée aux salariés, mais aussi aux retraités du secteur privé. Sont concernés également les conjoints et les enfants des assurés jusqu'à l'âge de 18 ans. Selon la loi 65.00 portant code de la couverture médicale de base, l'ouverture des droits à un assuré du secteur privé est subordonnée à la déclaration de 54 jours durant les six derniers mois, et au paiement effectif des cotisations. Seulement, aujourd'hui, tous les salariés du privé ne sont pas affiliés à l'AMO, en particulier ceux qui bénéficiaient de mutuelles privées avant la mise en place de l'AMO. Ceux-là continuent à percevoir leurs remboursements par leurs mutuelles respectives, et ne commenceront à contribuer aux cotisations de l'AMO qu'en 2010, voire même en 2015 (car la dérogation est renouvelable pendant cinq années supplémentaires). Logiquement donc, en 2015, tous les salariés du privé devront passer par l'AMO, du moins pour ce qui relève des soins couverts par l'assurance maladie obligatoire. Pourquoi l'AMO est-elle excédentaire ? Le financement de l'AMO est assuré par des cotisations déterminées sur la base des salaires déclarés à la CNSS. Depuis son démarrage effectif et jusqu'à présent, cette branche est excédentaire, ce qui est normal, car le régime est en construction et n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière. «Annuellement, nous réalisons des études actuarielles qui nous permettent d'avoir une visibilité à court et long terme», affirme Mohamed Afifi, directeur de la stratégie de la CNSS. Seulement, il faut garder à l'esprit que «le dérapage des coûts de l'assurance maladie est inscrit dans ses gênes, et que les seuls systèmes ayant atteint l'équilibre sont ceux financés par l'impôt, comme en Angleterre», conclut Adeljalil Grefft Alami.