Depuis près d'une année, le CDVM surprend par ses décisions qui ne font pas l'unanimité. Après l'affaire Upline Group, voici l'affaire Boursomaroc qui fait jaser. Pour les uns, les membres du directoire sont des bouc émissaires. Pour d'autres, cette affaire ne sert finalement que de diversion. C'est une cabale qui vise à déstabiliser le marché. Les enjeux sont ailleurs. Voilà en quelques mots comment des professionnels résument ce qui se passe sur le marché aujourd'hui. Pendant plusieurs semaines, on a cherché à expliquer les tenants et les aboutissants de l'affaire Boursomaroc, ce nouveau diffuseur d'informations financières qui aurait involontairement exploité des informations confidentielles portant sur le type d'ordre (rachat, client, contrepartie…) et diffusées par la Société de la Bourse de Casablanca. «On a voulu détourner le vrai problème du marché. Nous avons des problèmes structurels. Le marché est trop cher. D'autant plus qu'il n'y a plus d'acheteurs. Au lieu de tourner rapidement la page sur cette affaire et de s'intéresser au lancement d'un vrai débat sur la crise, sur ses effets et surtout sur les solutions à prendre en considération, on a plutôt voulu s'attarder sur des communiqués», laisse entendre un analyste senior qui poursuit : «nous avons besoin de politiciens, de visionnaires, d'économistes… qui nous disent clairement ce qu'ils entendent faire au vu de ce qui nous attend ». En attendant que de vrais débats soient lancés, l'affaire Boursomaroc a révélé des dysfonctionnements dont les responsables doivent assumer les responsabilités. Après quelques semaines d'enquêtes, le Conseil Déontologique des Valeurs Mobilières (CDVM) est finalement arrivé à sa principale conclusion. Ce sont les membres du directoire de la Bourse qui sont les seuls responsables de la fuite des informations qui a eu lieu dans le système de diffusion. Deux sociétés de bourse ont manqué à l'éthique Le conseil d'administration du CDVM réclame toutes les têtes des membres du directoire. Le ministre de l'Economie et des Finances, qui préside le conseil d'administration du CDVM, a le dernier mot. C'est lui qui devra couper (ou non) ces têtes-là. A l'heure où nous mettons sous presse, aucune décision officielle n'aurait encore été prise. Fathallah Berrada, le président de la Bourse, se trouve toujours à son bureau. Même si certains membres du conseil de surveillance veulent sa peau. Fathallah Berrada démissionnera-t-il pour autant ? Pour son proche entourage, le personnage, qui assume pleinement ses responsabilités, pourrait porter le chapeau, à condition qu'il soit le sien. Berrada, lui, se contente de nous répondre : « je ne pourrai pas aller à l'encontre de la volonté de la majorité des gens. Ce qui m'importe le plus, c'est la crédibilité de la place ». Il n'en dira pas plus. Dans les coulisses, on laisse entendre que si le départ de Berrada doit être programmé, il devra se faire dans les règles de l'art. « Il existe des procédures à suivre, on ne vire pas une personne aussi simplement», confie un de ses proches. Ces procédures doivent être basées sur des arguments valables. Et pour les proches de Berrada, il n'en existe pas vraiment. Pour eux, il était admis, quelques jours avant la tenue du conseil d'administration du CDVM, que la responsabilité incombait principalement au directeur du système d'information. Des procès-verbaux le mentionneraient même. Dans la foulée, ce sont tous les membres du directoire qui ont été touchés. « Les enjeux sont pourtant ailleurs», soutient ce fin connaisseur de la Bourse, qui n'hésite pas à reprocher au CDVM son travail incomplet. « Est-ce que toute la lumière a été faite pour expliquer ce qui s'est réellement passé ? Est-ce que le travail de contrôle a été correctement réalisé ?», s'interroge la source. «S'il tel était le cas, pourquoi Fathallah Berrada n'a-t-il pas été entendu dans cette affaire pour apporter des éléments de réponse», ajoute-t-il. Le président de la Bourse, lui, surpris par les décisions prises, aurait envoyé une lettre au ministre de l'Economie et des Finances, lui demandant audience. De l'avis de beaucoup d'acteurs actifs du marché boursier notamment, les décisions du CDVM ne concorderaient pas avec la réalité des faits. Pour s'en défendre, Dounia Taarji, sa présidente, répond: « le conseil d'administration a pris ses décisions en son âme et conscience, en toute responsabilité, compte tenu des éléments relevés. Il ne s'agit pas de punir uniquement pour céder à la pression de l'opinion publique qui cherche des responsables à la baisse des cours. Le conseil d'administration, sous la présidence du Ministre de l'Economie et des Finances, a procédé à une analyse approfondie et a pris ses décisions en conséquence ». Pour le CDVM, les choses sont claires. Pas la peine de tergiverser. Pourtant, on se demande comment Boursomaroc a été complètement blanchi alors que les acteurs du marché n'ont pas hésité à le pointer du doigt, avant même que le verdict du CDVM ne tombe. Sur les colonnes d'un quotidien, un membre du conseil de surveillance de la Bourse et le président de l'Association professionnelle des sociétés de bourse (APSB) ont déclaré, d'une manière ou d'une autre, le manquement à l'éthique de Boursomaroc. Le président de l'APSB s'était même réjoui du fait que ce soient les sociétés de bourse qui aient révélé la faille. Pourtant, deux des sociétés de bourse ont elles aussi manqué à l'éthique. «Nous avons établi que deux sociétés de bourse ont été informées de la diffusion d'informations et n'ont prévenu ni la Bourse ni le CDVM. Comme le « devoir d'alerte» n'est prévu par aucun texte, elles ne peuvent être sanctionnées pour cela. Mais c'est clairement un manquement aux règles d'éthique, et le CDVM le signifiera directement aux personnes concernées », explique Dounia Taârji. Certains s'en sortent finalement mieux que d'autres. Des changements dans la réglementation Pour qu'il n'y ait plus d'équivoque, le CDVM chercherait à rectifier certains tirs. Il se prépare à modifier certaines règles. L'évolution du marché et surtout de ses pratiques devrait pousser à aller dans ce sens. C'est ainsi que de prime abord, les statuts du Conseil devront être changés. Un projet de loi vise l'indépendance du gendarme de la bourse, à travers la transformation du CDVM en une personne publique morale indépendante, présidée par une personne nommée par Dahir pour un poste à temps plein. « Ce ne sera donc plus le Ministre de l'Economie et des Finances, ni un autre membre du gouvernement », indique Dounia Taarji. Le second aspect est le renforcement des pouvoirs de sanction. A cet effet, un organe chargé d'examiner les dossiers et de prendre les décisions en conséquence devra être créé. Il serait composé de personnes nommées aussi à temps plein. Aussi est-il prévu de modifier la réglementation relative au marché boursier pour mieux encadrer les ventes à découvert. Les textes en vigueur ne prévoient pas clairement quelles sanctions donner aux personnes qui émettent un ordre de vente sans disposer de la provision titres. Il faut passer par les textes de droit commun et c'est plus compliqué. En ce qui concerne la pollution des carnets d'ordres, la présidente du CDVM indique que les sociétés de bourse gagneraient à mener des actions de sensibilisation vis-à-vis de leurs clients directs, pour leur expliquer de ne pas passer d'ordres aberrants. « Les sites de bourse en ligne pourraient également prévoir des mécanismes d'alerte, pour réagir si les clients « s'amusent» avec leurs ordres », fait-elle remarquer. A propos de rediffuseurs d'informations financières, le CDVM recommande qu'il y ait une véritable réflexion sur les attentes en matière de rediffusion d'information, sur leur sélection et sur les contrats conclus avec eux. « Cela devrait conduire à des conditions peut-être différentes dans les contrats, mais certainement mieux pensées, et plus conformes à la stratégie générale de développement de notre marché», ajoute Taarji. Les programmes de rachat ne sont pas en reste. Certaines sociétés les utilisent pour «soutenir» leur cours. Alors que le principe même de ces programmes est plutôt la régularisation. «Il est donc nécessaire de prévoir des règles, à l'instar de ce qui existe à l'étranger, pour faire en sorte que les volumes d'intervention dans le cadre d'un programme de rachat ne représentent jamais plus d'un certain pourcentage du total des volumes d'échange sur une valeur. L'évolution de la pratique rend nécessaire la mise en place de garde-fous supplémentaires», conclut la présidente du CDVM. Autant de chantiers qui devront être développés dans les mois à venir.