Si les golden boys marocains qui ont massivement rejoint la capitale britannique n'ont pas encore déchanté malgré la crise financière, ils ont eu pratiquement tous le sentiment de vivre en « live » les péripéties d'un feuilleton dramatique. La City de Londres, ce n'est pas encore la vallée des larmes. Mais quand même... Ouaile El Fetouhi Man Group (Londres) Cet ingénieur de l'Ecole des Mines de Paris, et titulaire d'un master en Finance de l'Université de Dauphine, est actuellement «Investment manager» chez Man Group. Agé de 28 ans, il a occupé précédemment le poste de « Quantitative Fixed Income Manager » chez Dexia Asset Management. Le rôle de mon équipe au sein du groupe consiste à gérer des produits structurés sur hedge funds. Nous construisons et gérons au quotidien des portefeuilles diversifiés de stratégies alternatives. Nous avons fait face au cours des derniers mois à plusieurs défis matérialisés par un stress sans précédent sur les marchés financiers. Mon quotidien a changé drastiquement. Il ne s'agit plus de trouver des opportunités d'investissement mais plutôt de réduire activement notre exposition et notre endettement dans une perspective de gestion des risques dans nos portefeuilles. En fait, il n'y a plus qu'un seul mot d'ordre dans toute l'industrie: «deleverging» ! Il est question ici des liquidations opérées par des fonds contraints de se désendetter. C'est cette notion de vente forcée qui ne fait qu'exacerber le sentiment d'incertitude déjà présent sur les marchés et qui alimente les ventes de panique. Le résultat de tout ceci se traduit par des journées de travail plus longues et plus stressantes. Je ne crois pas que la situation se soit améliorée aujourd'hui. Il y a encore beaucoup d'incertitudes et on devrait voir encore plus de licenciements et de restructurations. Heureusement, j'ai eu la grande chance de me marier l'année dernière. Ma femme travaille également dans la finance dans plus ou moins les mêmes conditions. Donc, on se soutient mutuellement et cela nous permet de mieux supporter cette pression qu'on subit au travail. Abderrahmane Charif Chefchaouni Londres Le baccalauréat en poche, il fait ses classes préparatoires puis intègre une école d'ingénieur avant d'atterrir dans une banque française à Paris. A 29 ans, il est actuellement trader dans une banque d'investissement américaine à Londres. La crise financière a profondément bouleversé le système financier dans sa globalité. Pour moi, comme pour la plupart des gens qui travaillent sur les marchés, cela représente plus de travail de concentration et de stress. Cette crise, je la suis au quotidien du fait de ma profession. Tous les newsflow impactent les marchés financiers que je traite au jour le jour. En effet, les marchés évoluent au gré des dépêches qui tombent en continu, donc on peut dire que je suis constamment au cœur de la crise. Ali Bassit J.P. Morgan (Londres) Ali Bassit est diplômé de l'Ecole Polytechnique et d'HEC en 2006. Depuis maintenant un peu plus de deux ans, ce jeune Marocain travaille chez JP Morgan dans la salle de marché en dérivée action en trading et structuring. Il y a un avant et un après 15 septembre qui marque la faillite de Lehmann Brothers. Le climat est assez tendu en ce moment ici à Londres, toutes les banques annoncent des grands plans de licenciement. Comme on dit ici : «un banquier qui le dimanche soir repasse ces 5 chemises pour la semaine est un banquier très optimiste». Avant, nous pensions avoir dépassé une crise financière et nous nous attendions à une récession économique mineure touchant principalement les États-Unis. Après le 15 septembre, nous avons assisté à un effondrement partiel du système financier qui a été sauvé à coups d'aide de centaines de milliards dans les pays développés et émergents, et d'une baisse coordonnée des taux d'intérêt. Cette période est une crise financière et économique majeure. Toutefois, la crise financière en tant que telle est en majeure partie passée et nous devons faire face maintenant à une crise économique qui touche tous les pays développés et émergents. Rajaa Mekouar Maera Capital Après un diplôme à HEC Paris, Rajaa Mekouar a travaillé chez Procter & Gamble en France, au Royaume-Uni et en Allemagne. En 2000, après un MBA a l'Insead, elle intègre une banque d'affaires londonienne en corporate finance avant de rejoindre un fonds de private equity. Début 2008, Rajaa décide de lancer sa propre structure de conseil et prises de participation dédiée aux PME et acteurs financiers généralement en-dessous du « radar screen » des grandes firmes. Elle voulait aussi se tourner vers les pays émergents et se rapprocher du Maroc, après 20 ans passés en Europe. C'est ainsi qu'est née Maera Capital. L'économie et les marchés financiers sont totalement globalisés et pour une grande partie interdépendants depuis 10 ans au moins. Les pays émergents comme le Maroc comptent sur les investisseurs étrangers qui y viennent lorsqu'ils voient une opportunité de retour plus importante que dans leurs pays d'origine. Or cette crise de liquidité financière et de destruction de valeurs gigantesque (chute historique des valorisations boursières) les obligent à liquider les positions qu'ils détiennent à l'étranger, notamment en pays émergents. Ceux de ces pays qui dépendent des ressources naturelles (minières, agricoles, pétrolières) en souffrent d'autant plus que les plans d'expansion des explorateurs sont à l'arrêt. Cela étant, le Maroc dispose d'un système bancaire resserré, d'une économie plus «saine» avec moins de leviers et des prêts à dominante dirham. Ce qui devrait limiter les dégâts. Tout va dépendre ensuite de la propagation de la crise financière à l'économie réelle, et à la capacité de l'économie marocaine, relativement petite et diversifiée, à préserver les acquis de la croissance des dernières années. La réaction du gouvernement à la gestion d'une crise éventuelle est aussi importante, du fait de l'effet psychologique de celle-ci sur une communauté financière plutôt fébrile en ce moment. Les grands projets d'infrastructure sont notamment clés et leur assurer un financement sera primordial à moyen terme. À court terme, le Maroc devrait observer un re-pricing de ses valorisations boursières qui avaient flambé. Anass Joundy Calyon (Londres) Après son baccalauréat au lycée Lyautey à Casablanca, Anass Joundy s'est dirigé vers des études en finance en France, avec entre autres un master à l'ESC Toulouse et un mastère spécialisé en Finance à l'ESCP-EAP. Malgré des sollicitations diverses dans le secteur financier parisien, Anass Joundy a décidé de franchir le pas et tenter sa chance dans la capitale européenne de la finance, Londres. Il y travaille depuis presque 5 ans où il a gravi les échelons. Aujourd'hui, il est vice-président en financement structuré sur matières premières au sein de Caylon, une des principales banques d'affaires françaises. J'ai vécu la crise financière à Londres à travers la chute de quelques mastodontes de la finance tels que Lehmann Brother's. Ce fut un choc psychologique au sein de la communauté financière de Londres. Il faut rappeler que le Royaume-Uni (et Londres en particulier) est une économie orientée en majorité vers le secteur financier, contrairement à celle d'autres pays européens (Allemagne ou France). L'impact de cette crise se répercute directement sur la vie quotidienne des Londoniens qui éprouvent des inquiétudes importantes quant à leur avenir et par conséquent consomment moins (baisse visible de la fréquentation des restaurants et autres lieux de loisirs).