Jusque-là, les entreprises du BTP adjudicataires de marchés publics peinaient à être payées moins de six mois après la date d'exécution dudit marché. Ce qui pénalise leur trésorerie, à moins que leurs marchés ne soient nantis auprès d'une banque commerciale ou auprès de la Caisse marocaine des marchés. Aujourd'hui, le Conseil de gouvernement vient d'adopter un texte qui leur enlève cette épine des pieds. Le projet de loi adopté en Conseil de gouvernement ce 18 juin 2008, au moment où l'Etat s'apprête à lancer son ambitieux programme d'équipement en infrastructures de 120 milliards de DH pour le quinquennat prochain, soit plus du double du montant consenti lors des 5 dernières années, ne pouvait mieux tomber pour le secteur du BTP. En effet, le texte, qui porte sur le nantissement des marchés passés au compte de l'Etat, des collectivités locales et de leurs groupements et des établissements publics, enlève une grosse épine des pieds des entreprises de BTP qui dépendent à 80 % de la commande publique, mais qui souffrent également d'un manque chronique de fonds propres et de trésorerie. Paradoxalement, la Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux publics (FNBTP) semble prise de court par l'adoption de cette nouvelle mesure. Contacté par Challenge Hebdo, son président, Bouchaïb Benhamida, affirme ne pas encore avoir pris connaissance du contenu du projet de loi. «En fait, depuis le 5 février 2007, date à laquelle les marchés publics sont désormais soumis aux dispositions d'un nouveau décret qui fixe les conditions et les formes de passation de marchés de l'Etat, ainsi que certaines règles relatives à leur gestion et à leur contrôle, nous attendions l'amendement du dahir sur le nantissement des marchés et du code de commerce pour l'extension de la cession de créances. Nous avions déjà travaillé dans ce sens avec le gouvernement pour permettre à l'entreprise de céder sa créance moyennant commission. Il faut dire que tout le monde y trouvera son compte, l'entreprise devra rebondir sur d'autres projets, et la banque aura comme créancier un maître d'ouvrage solide», estime ce membre de la FNBTP. La loi apporte des précisions En tout cas, le texte qui vient d'être adopté par le Conseil du gouvernement apporte des précisions sur les conditions dans lesquelles l'acte par lequel «le titulaire d'un marché l'affecte à la garantie d'une obligation qu'il opère auprès d'un ou plusieurs établissements de crédit pour bénéficier du financement de ce marché» est opéré, pour reprendre les termes du projet de loi. L'opération de nantissement confère ainsi auxdits établissements le droit de se payer sur le montant de ce marché, par préférence à tout autre créancier. Mis en place depuis près de cinq décennies, le régime de nantissement des marchés publics, objet du dahir du 28 août 1948, répond de moins en moins aux attentes de l'Administration, des titulaires de commandes publiques et des organismes intervenant dans le financement des marchés publics. Une nouvelle réforme est en cours depuis ces dernières années. Et ce projet de loi qui a été présenté en conseil de gouvernement vise notamment à sécuriser les procédures de nantissement, à renforcer le droit à l'information du créancier nanti et surtout à réhabiliter la valeur juridique de l'attestation des droits constatés. Cette réforme a été souvent au centre des débats animés particulièrement par les opérateurs du BTP, premiers concernés par cette avancée en matière de législation des marchés de l'Etat, des collectivités locales et des établissements publics. Les PME et les banques commerciales sont également concernées à des degrés divers par ce nouveau texte. Si ces entreprises sont adjudicataires de marchés publics, elles risquent de ne pas être payées au moins avant six mois de la date d'exécution dudit marché. Ce qui pénalise leur trésorerie, à moins que leurs marchés ne soient nantis auprès d'une banque commerciale ou auprès de la Caisse marocaine des marchés (CMM). C'est pour faciliter cette opération et remédier aux problèmes financiers de ces entreprises partenaires de l'Etat que ce projet de loi a été élaboré. Le financement demeure un gros problème pour les entreprises du BTP. Longtemps considérées comme clientes à haut risque, elles peinent à financer les marchés, notamment les chantiers échelonnés sur une longue période. Depuis la débâcle de la Caisse marocaine des marchés (CMM), la situation se serait aggravée. Les biens personnels du propriétaire sont souvent exigés comme garantie. Effet direct de cette extrême prudence du système bancaire, beaucoup d'entreprises ont fini par mettre la clé sous le paillasson. Ce n'est pas un hasard si dans les débats, les chefs d'entreprises et les banques se rejettent la balle. Des clients à haut risque ? Les premiers accusent les banques d'être «trop frileuses» et ne veulent pas prendre de risque. Les établissements de crédit, eux, mettent en avant la fragilité de ces PME, qui ne sont pas toutes structurées, qui n'ont pas d'assise financière solide avec un déficit de fonds propres. Rappelons que seules quatre PME sur dix dans le secteur ont un capital social de moins de 100.000 DH. Un tiers seulement dépasse 1 million de DH. Pour regagner la confiance des bailleurs de fonds, les professionnels ont mis le cap depuis plusieurs années sur la réforme du système de qualification et de classification qui régit l'accès aux marchés publics. Des critères plus draconiens sont en train d'être déterminés, qui permettront de faire une première sélection de manière à «sécuriser» les banquiers. Structures financières, équipement, encadrement technique, seront pris en compte. Cet examen sera couronné par la délivrance d'un passeport qui donnera plus de crédibilité à l'opérateur. De leur côté, les banques changent doucement d'approche vis-à-vis des entreprises du secteur. L'enjeu est de taille avec l'Etat, qui va injecter 120 milliards de DH pour les cinq prochaines années. «C'est clair, il y a une meilleure image de l'entreprise BTP, on est loin de l'ère bouchkara», ironise un banquier. Les nouvelles règles du jeu Les 13 articles du nouveau texte sur le nantissement des marchés publics abordent les différentes conditions de réalisation des opérations et les relations entre les trois intervenants, le maître d'ouvrage, le titulaire du marché et l'établissement financier. Le projet spécifie, entre autres, les conditions dans lesquelles est établi l'acte de nantissement et le délai dans lequel l'entrepreneur peut disposer de fonds. Délai qui a été réduit à seulement trois jours au plus. «Nonobstant toutes les dispositions contraires, la notification du nantissement prend effet le troisième jour ouvrable selon celui de la réception de ladite notification par le comptable assignataire», précise en ce sens le texte. Rappelons que toutes les banques commerciales pratiquent le nantissement des marchés publics. Les nantissements sont effectués sur production de l'exemplaire unique du marché, tandis que leur financement reste subordonné à la présentation par le titulaire du marché d'une attestation de droits constatés délivrée par le maître d'ouvrage.