Guy Marrache et Ahmed Benabbès-Taârji, ainsi que la Société Générale (à travers son fonds d'investissement Investima) et Attijariwafa bank, viennent de céder l'intégralité de leurs parts (60%) dans Jet4you à leur associé allemand TUI, qui devient désormais seul pilote à bord de la première compagnie privée low cost marocaine. Les dessous d'une cession. L'annonce du rachat de la totalité des actions de la première compagnie aérienne privée low cost marocaine par le plus grand voyagiste du monde, l'Allemand TUI, a surpris plus d'un opérateur dans le secteur du transport aérien et d'une manière générale celui du tourisme. Le premier groupe touristique intégré d'Europe et cinquième transporteur du Vieux Continent est tout simplement arrivé à ses fins en concrétisant son opération de rachat. «TUI Travel a racheté ce jeudi 12 Juin dernier les actions des partenaires marocains comme le prévoyait les accords initiaux, souligne-t-on auprès du Top management de la filiale marocaine de TUI. Pourquoi un tel deal ? Tout a commencé en 2005 lorsque TUI, séduit par le grand potentiel de développement du tourisme à travers la vision 2010, décide de créer une compagnie aérienne privée low cost locale. À l'époque, ce segment du transport aérien «à petit prix» a le vent en poupe. Les compagnies low cost se sont fondées sur une idée simple : serrer les coûts et rationaliser leur organisation au maximum dans le but de proposer des billets d'avion à des prix inférieurs à ceux des compagnies traditionnelles. Le pari fut réussi. Si elles ont généré peu de marges sur chaque passager, ces nouvelles compagnies ont rempli leur avion et transformé durablement le secteur. Pour autant, les opérateurs privés nationaux se contentaient de faire des annonces sans pour autant mettre en avant des projets concrets. Si une compagnie à bas coûts apparaissait déjà comme une manne, le groupe TUI devait cependant ouvrir le tour de table de Jet4you à des opérateurs marocains afin de se conformer à la législation qui stipule que la partie marocaine doit détenir un minimum de 51 % des actions. Pour s'y faire, le leader du marché européen du tourisme s'est alors naturellement tourné vers ses deux partenaires marocains dans le secteur de l'hôtellerie, Guy Marrache et Ahmed Benabbès-Taârji, copropriétaires de Tikida Hotels et de Holidays Services, dans lesquels il détient aujourd'hui respectivement 70% et 30% de parts. Ainsi, pour constituer le tour de table de cette première compagnie privée low cost marocaine, Marrache et Tâarji vont d'abord prendre 20% avant d'essayer de faire adhérer au projet la Société Générale, à travers son fonds d'investissement Investima et Attijariwafa bank, qui se trouvent être leurs banques. Ils y arriveront, car chacune des deux institutions bancaires prendra des parts de 20% dans le capital de Jet4you. Mais contrairement à ce qui avait été annoncé à la conférence de presse par les promoteurs du projet lors du lancement de la compagnie, le Top management de Jet4you tient pourtant à préciser que les actionnaires marocains ont été les initiateurs mêmes du lancement de Jet4you. «Ceux-ci ont convaincu le groupe TUI de faire partie de ce beau projet, et ont participé chacun en fonction de son expertise à la création et au développement de cette première compagnie low cost privée marocaine», dit-il. Un business-plan qui inspirait la confiance Quoi qu'il en soit, le tour de table de Jet4you sera bouclé en novembre 2005 avec la prise de participation de TUI du reliquat (40%), et trois mois plus tard, la première compagnie low cost privée marocaine inaugure son premier vol pour le compte de la Société d'Investissement Aérien (SIA), créée à cette occasion avec un capital de 60 millions de DH. Elie Bruyninckx, un représentant du groupe TUI, est désigné au poste de président du conseil de surveillance de la SIA. La présidence du directoire a pour sa part été confiée à Jawad Ziyat, qui a quitté la tête de la direction Aménagements et Investissements au ministère du Tourisme pour la circonstance. Il est depuis épaulé par Karim Baina, ex-directeur commercial de Regional Airlines, qui se charge depuis de la direction commerciale et marketing. Au lancement de la compagnie aérienne, le business-plan de Jet4you, qui s'étalait jusqu'en 2010, inspirait confiance, malgré le fait que l'industrie du transport aérien constituait encore un secteur très risqué et très complexe. D'ailleurs, il n'a pas été rare de voir au cours de ces années certaines compagnies aériennes disparaître. Les deux compagnies charter marocaines, Mondair de Wakrim Belhasen et Air Atlas Express de Mohamed Mengouchi, lancées durant cette période, n'ont pas tenu longtemps avant de déposer le bilan. Tout cela n'avait pas découragé les promoteurs de Jet4you. La compagnie, qui a pris son envol, est confrontée depuis l'année dernière, à l'instar des autres compagnies aériennes «à bas coûts», à la flambée du prix du kérosène qui a changé la donne. Aucune compagnie aérienne n'a imaginé que le prix du baril de pétrole pourrait dépasser les 130 dollars. «L'aérien low cost est arrivé au bout de son modèle. A l'inverse des compagnies traditionnelles, les compagnies à bas prix ne peuvent accroître ni les prix ni les sources de revenus annexes, comme la surfacturation des bagages, sans risquer d'abîmer sérieusement leur image. Conserver les prix alors que le pétrole flambe reviendrait à retarder l'inévitable. Restent les coûts. Mais les nouveaux gisements de productivité sont quasiment inexistants, tant le modèle des compagnies est depuis l'origine rationalisé à l'extrême», analyse cet expert du transport aérien. Autrement dit, l'absence de levier pour compenser la hausse des coûts du kérosène met à mal la pertinence du modèle. Driss Benhima, PDG de Royal Air Maroc, a mis le doigt sur cette problématique lors des Assises du Tourisme qui se sont tenues ce 14 juin à Tétouan. «Ce qui va arriver dans l'aérien ne sera pas plaisant. En effet, avec cette flambée du prix du pétrole, il va se passer des choses en 2009 dans l'aérien. Les compagnies low cost ne pourront plus vendre à leur niveau de prix actuels, ce qui annonce un tourisme plus cher», dit-il. Du côté de Jet4you, même si l'on se veut rassurant sur la santé financière de la compagnie, l'on reconnaît «qu'à l'instar de nombreuses compagnies aériennes, Jet4you souffre de la hausse historique et inattendue du prix du fuel ». Des associés échaudés par la flambée du kérosène Pourquoi alors les responsables de TUI ont-ils choisi ce moment pour racheter les parts de leurs désormais ex-associés dans Jet4you ? Selon une source proche de l'un des ex-actionnaires de Jet4you, les associés marocains dans le tour de table n'ont pas accepté de mettre la main à la poche pour maintenir à flot la compagnie malmenée par le renchérissement du prix du kérosène. Pourtant, selon une autre source proche de Jet4you, cela fait pratiquement trois mois que les ex-associés de TUI ont été informés de la volonté du plus grand voyagiste du monde de racheter intégralement leurs parts dans la compagnie. «Une clause du contrat initial prévoyait une option de rachat qui courait depuis le 1er janvier 2008. D'ailleurs, depuis le début de l'année, le Top management du groupe TUI ne cesse de rappeler sa volonté de réaliser des acquisitions pour renforcer sa branche de tourisme et se séparer de son autre activité, le transport maritime de marchandises, en 2008. C'est une importante compagnie maritime et porte-conteneurs (4ème rang mondial)», dit-elle. Reste toujours à savoir si l'opération de rachat de TUI s'inscrit dans ce sens. Paradoxalement, à une question de Challenge Hebdo pour savoir pourquoi l'opération d'achat n'est pas intervenue depuis longtemps, le Top management de Jet4you n'hésite pas à faire le lien avec l'Open sky. « En effet, avant l'entrée en vigueur de l'Open Sky, une compagnie aérienne marocaine se devait d'être détenue majoritairement par des actionnaires marocains. Aujourd'hui, avec la ratification de l'Open Sky, cette contrainte a été levée et TUI Travel a été autorisé a racheté les parts détenues par les actionnaires marocains. TUI n'a reçu que très récemment, le 4 juin, l'accord des autorités aéroportuaires européenne et marocaine de détenir plus de 50% du tour de table de Jet4you», souligne-t-il. Pourquoi alors les actionnaires marocains lanceraient-ils une compagnie qu'ils ne céderont que quelques semaines plus tard ? Rappelons que TUI réalise actuellement 70% de son chiffre d'affaires dans le tourisme et 30% dans le maritime. Toujours est-il que cette option d'achat des parts des Marocains dans Jet4you a tout de même été gardée au secret. Idem pour le montant de la transaction suite à la cession au groupe allemand des 60% de parts des ex-associés. «Le montant de cette transaction est confidentiel et ne présente pas à notre sens d'intérêt majeur pour le grand public», précise le Top management de Jet4you.Aujourd'hui, en tout cas, TUI qui a mis trois mois pour obtenir les autorisations de la Direction de l'aviation civile marocaine et des autorités de l'Union européenne afin de concrétiser son opération de rachat, est seul pilote à bord. Malgré tout, selon plusieurs professionnels du tourisme, cette opération ne fait que renforcer la présence et la confiance du groupe allemand au Maroc, qui a osé racheter la totalité des parts de ses associés à une période où le prix du baril de pétrole ne cesse de grimper. Jusque-là, outre ses prises de participation dans le groupe Tikida Hotels et Holidays Services, il possède dans son tour de table la CDG, qui détient 5% via sa filiale Fipar International. Il a également reconduit avec le gouvernement marocain un accord de partenariat avec des objectifs encore plus ambitieux.