Scène vécue à Casablanca. Une voiture, une Dacia noire et un vélomoteur grillent le feu rouge et se font arrêter par un policier. Le conducteur de la voiture baisse la vitre et balbutie quelques mots. Le flic se met au garde à vous et le laisse passer. Le motocycliste refuse de se faire verbaliser, et devient rouge de colère quand le policier lui dit « c'est un caïd ». Un attroupement l'oblige à laisser partir le motocycle, sans même vérifier l'identité. Toutes les réformes n'y feront rien si nous ne réglons pas ce problème. Les citoyens ne respectent pas la règle de droit, parce qu'elle ne s'applique pas à tout le monde, c'est aussi simple que cela. Le pire, c'est qu'ils ont le sentiment d'être victimes d'une injustice quand ils sont sanctionnés et on peut les comprendre. Le jeune motocycliste était réellement indigné et au bord de l'explosion et cela se justifie amplement. Pourtant, il suffit d'une circulaire ferme, invitant les agents de la circulation à verbaliser tout le monde, sans exception, pour empêcher ce déni de justice sur la voie publique. Je sais que cela devrait être la norme et qu'il n'y a pas besoin d'une circulaire en principe, mais les usages sont enracinés et c'est ce qu'il faut combattre. Après, on pourra s'attaquer aux tribunaux, y faire régner une justice fiable, pour arriver à ce que tout citoyen adhère aux principes de l'Etat de droit. Sans cette adhésion, aucune réforme ne marchera. Les premiers à convaincre, c'est la caste des impunis. Fonctionnaires ou prétendument « puissants », ils se croient tout permis et refusent de se plier aux règles de droit, à commencer par le code de la route. La majorité des policiers cède, ceux qui refusent, se font souvent tirer les oreilles par leurs supérieurs. Ce sentiment d'impunité n'est qu'un aspect d'un comportement très éloigné du civisme. Ils refusent de faire la queue dans les administrations et se font servir en premier, par exemple. Leurs enfants, élevés dans cette ambiance, sont encore plus arrogants, surtout face aux fils du peuple. Cette caste nourrit la haine sociale. Pour avoir vu le regard du motocycliste indigné, à deux doigts de tabasser le flic, la violence n'est pas très loin. Après les émeutes de 1981, Moulay Ahmed Alaoui avait signé un éditorial « Ce n'est pas la faim qui soulève les peuples », il y mettait l'accent sur la dignité. Le constat est très actuel, cette caste nous met en danger, en refusant de se plier aux règles.