Depuis la publication du dossier sur les prix des médicaments et leurs impacts négatifs sur le pouvoir d'achat des malades et sur celui de leurs familles, nous avons reçu beaucoup de témoignages très positifs de la part de citoyens et d'un grand nombre d'associations actives dans le domaine social. Les requêtes exprimées par ceux qui considèrent, comme nous, que les prix des médicaments sont scandaleusement chers, vont de la mise en place d'une structure qui fédère toutes les associations qui luttent pour un meilleur service de la santé au Maroc, jusqu'à l'organisation des Assises de la société civile autour des prix et de la qualité des médicaments. Notre devoir est d'informer sur les dysfonctionnements qui touchent la fixation des prix des médicaments dans notre pays et de permettre à toutes les volontés qui veulent réformer ce secteur de s'exprimer afin que toutes les lumières soient braquées sur une «exception» marocaine à la règle universelle d'accès aux médicaments aux meilleurs et justes prix. N ous avons associé dans la préparation du dossier (Challenge 439 du 11 au 24 octobre) Transparency Maroc, la Fédération Nationale des Syndicats des Pharmaciens, la CNOPS et la CNSS. Nous avons adressé l'invitation aux industriels du médicament pour qu'ils informent les citoyens sur la structure des prix du médicament au Maroc. Le silence était leur réponse et nous l'avons interprété comme une attitude qui confirme la stratégie malsaine du réseau mondial des multinationales du médicament. Les éclairages apportés par les bonnes volontés qui ont contribué à la publication du dossier ont intéressé d'autres acteurs associatifs et interpellé les responsables politiques. Nous avons dressé un tableau des différentes initiatives officielles et populaires pour étudier les causes qui imposent aux marocains les prix les plus chers au monde et nous avons insisté sur l'acte décisif qui doit changer le système de fixation des prix des médicaments. Un décret est annoncé depuis des mois. Il doit dégager une méthode basée sur la comparaison des prix et permettre de s'aligner sur les meilleures pratiques qui mettent l'intérêt d'un peuple au dessus des intérêts d'une minorité d'industriels obnubilés par les gains sur des produits qui valent moins chers dans des capitales de pays développés comme Paris et Zürich. Nous avons découvert avec une très grande stupeur que certains prix dépassent le niveau enregistré lors des adjudications avec des pourcentages se mesurant en milliers pour cent. Pour rafraichir la mémoire de ceux qui ont engrangé de super profits sur le dos des pauvres, des malades, sur les finances des organismes de prévoyance et sur les finances publiques, nous revenons aux tableaux relatant d'une manière surréaliste les décalages de prix. La baisse des prix et les lobbys La baisse des prix des médicaments fait partie des premières annonces du gouvernement. Le Chef de ce gouvernement s'est publiquement réjoui devant les représentants de la nation des résultats atteints dans ce domaine. Le parcours du combattant a été entamé, dans la difficulté, par les pouvoirs publics. Un projet de décret cherchant le consensus a été préparé par le département de la santé. Il ne répond pas à toutes les attentes en matière d'allégement du poids très pesant des prix sur le pouvoir d'achat des familles. Il a fait l'objet de longues séries de discussions et de négociations qui se sont étalées sur 20 mois et pourtant, il continue d'être au centre d'une grande discordance. Les principaux intéressés que sont les industriels du médicament ne veulent pas céder sur leurs marges. Les pharmaciens ont accepté le projet de décret et quelques «concessions» sur leurs marges. L'action du gouvernement très attendue est fébrile devant les menaces des industriels. Comme tout le monde le sait, le circuit d'adoption des décrets relève de la compétence de plusieurs ministères et a besoin de la signature du Chef du gouvernement pour atterrir sur le terrain de la pratique et donc pouvoir modifier les bases de détermination des prix des médicaments. Les responsables gouvernementaux doivent faire preuve de courage et de responsabilité citoyenne pour faire passer ce dossier qui aura un impact direct sur l'allégement du calvaire qu'endurent les malades dans leur lutte pour acquérir le médicament. Le ministre n'a pas caché, lors de sa dernière sortie médiatique, les difficultés qu'il rencontre dans la gestion de ce dossier. Il a même affirmé que le retard pris s'explique, entre autre, par le lobbying. Il a lui-même déclaré avoir reçu des menaces. C'est grave d'entendre qu'un responsable gouvernemental soit menacé parce qu'il veut réformer un secteur où sévit le pouvoir des marges bénéficiaires faramineuses. Le projet de décret entre ambitions et limites Le projet a été déposé auprès du Secrétariat Général du Gouvernement le 14 novembre 2013. Le site du SGG permet aux citoyens de commenter le projet de décret dans un délai ne dépassant pas quelques jours. Au moment de la publication de cet article, aucun commentaire n'a été formulé sur le projet du décret. Les spécialistes et les associations sont invités à enrichir ce projet pour qu'il traduise les attentes des citoyens marocains. Notre lecture du projet et les discussions que nous avons eues avec les spécialistes du secteur font ressortir les remarques qui suivent : 1- Le décret mentionne l'avis du conseil de la concurrence et de la commission centrale des prix : s'agit-il de la commission interministérielle des prix qui relève du ministère des Affaires générales ou d'une nouvelle commission ? 2- Le décret ne parle pas de la marge sur les médicaments à usage hospitalier ou destinés à l'usage dans les structures hospitalières privées et publiques ni de la cession des médicaments dits hospitaliers par un établissement pharmaceutique. L'article 72 de la loi 17-04 permet aux établissements de soins de céder les médicaments au prix hôpital par voie réglementaire. 3- L'utilité et le progrès thérapeutique des médicaments ne sont nullement mentionnés dans le présent projet de décret. 4- Le projet parle des princeps, des génériques et omet les bio similaires, alors qu'actuellement, les thérapies innovantes enregistrées sont toutes issues de la biotechnologie et verront incessamment l'enregistrement de leurs biosimilaires. 5- Le choix du panel des pays du Benchmark n'a pas pris en compte les pays les moins chers comme la Nouvelle Zélande, la Suède, les pays du BRIC, l'Australie, voire aussi quelques pays de l'OCDE. 6- La révision des prix des médicaments ne s'effectuera que dans deux ans (article 20). Cette disposition signifie-t-elle que l'entrée en vigueur de la baisse n'aura lieu que dans deux ans ? Si c'est le cas, grande sera la déception aussi bien au niveau social qu'au niveau politique. La dose du retard sera anesthésiante et amplement négative. Beaucoup de questions restent en suspens et méritent un débat public entre les acteurs de la société civile et des spécialistes indépendants afin de ne pas nous faire avaler des somnifères procéduraux qui se traduiraient au réveil par une hausse des prix.