Le ministre de l'Agriculture peut pousser un ouf de soulagement. Il a présenté sa stratégie de relance baptisée plan vert dans les délais. Certes, elle n'est pas encore figée, puisque perfectible, comme le soulignent ses proches collaborateurs, mais ses jalons sont déjà posés avec en renfort un «doing business agricole» qui implique fortement les gros opérateurs du secteur. En voilà quelques extraits en avant première. Le ton est donné. Aziz Akhannouch n'y va pas par quatre chemins pour signifier que l'agriculture n'a qu'un seul choix pour rompre avec les 20 années de stagnation qui ont beaucoup limité son développement : il faut la considérer comme un business. «L'agriculture est une activité économique comme une autre. Ce qui fait la différence entre une agriculture qui crée de l'emploi et de la valeur et une agriculture à faible valeur ajoutée, c'est l'investissement», souligne le ministre de l'Agriculture et de la Pêche maritime. D'ailleurs, des six idées retenues dans le cadre du plan «Maroc vert» visant à relancer l'agriculture au Maroc, celle de la mobilisation de l'investissement privé sort du lot. Et pour cause. Représentant le nerf de la guerre, elle conditionne la faisabilité des cinq autres idées sur le terrain. Il s'agit donc de doter le secteur des moyens à même d'améliorer l'image qu'il reflète. Le constat actuel est tel que l'agriculture peine à attirer des capitaux privés, notamment à cause de la faiblesse des rendements attendus (perception faussée par le cas des céréales) et à une aversion au risque perçu (corrélation forte avec la pluviométrie). 10 milliards de DH d'investissement par an Les maux du secteur sont donc multiples, faisant de lui un créneau désavantagé quant à sa capacité de séduire les bailleurs de fonds et à ses atouts pour persuader des investisseurs potentiels d'y miser leur pécule. Il fallait donc chercher une formule toute neuve et imaginer des montages économiques originaux, d'autant plus que les fonds à lever pour concrétiser la nouvelle stratégie sont importants. Le plan en question parle de pas moins de 10 milliards de DH d'investissement par an versant notamment dans le sens de projets d'agrégations. C'est la formule que la stratégie élaborée par le cabinet McKinsey a retenu pour viabiliser le secteur et créer des rapports win-win entre les agrégés (petits agriculteurs) et les agrégateurs, ces investisseurs potentiels du secteur disposant d'une forte capacité managériale et d'un accès garanti au crédit et aux débouchés. «Cet opérateur permettra à l'agrégé de garder sa propriété et de toucher un meilleur revenu. Il doit par contre respecter le mode de gestion de l'intégrateur et le choix de cultures qu'il propose». C'est en effet toute la question de la faiblesse du tissu des acteurs qui est remise sur le tapis. Et pour lui trouver des solutions, le plan n'est pas allé chercher très loin, puisque des modèles de ce genre existent déjà au Maroc. Akhannouch cite nominativement la coopérative Copag pour illustrer des cas de réussite nationaux dont la clé est l'association. «Sans ce travail de régénération du tissu, aucune réforme de fond n'est possible», souligne-t-il. La petite taille : une spécificité marocaine Dans la pratique, il est prévu de mettre sur les rails une approche dite «transactionnelle» autour de la mise en œuvre concrète, sur le terrain, de 1.000 à 1.500 projets. Et là, une précision s'impose. Il n'y aura pas d'exclusivité. Du moins, c'est ce que le ministre de l'Agriculture a promis devant un parterre de grands et petits fellahs venus assister à la présentation du plan de relance du secteur primaire. «Cette agriculture doit être pour tous sans exclusion, au travers d'une stratégie différenciée, adaptée à chaque type d'acteur. La nouvelle stratégie agricole doit rompre avec le paradigme», peut-on retenir de son exposé. Aucune filière ne sera donc condamnée au Maroc. La taille non plus ne doit plus constituer un frein. Aujourd'hui, le constat est tel que l'effectif des clients du Crédit Agricole, principale banque de financement du monde rural, s'élève seulement à 50.000, composé essentiellement des plus gros exploitants. Si tel est l'état des lieux, la fragmentation des lopins en est la cause (70% des exploitations sont de moins de 2 ha). Et c'est d'ailleurs de là qu'émane l'idée d'agrégation. Un mode de travail qui doit transformer le cercle vicieux (sous-investissement, sous-productivité, sous-valorisation) en un cercle vertueux. Quid de la prédisposition de l'agriculteur agrégé à accepter l'idée d'une reconversion à des filières plus productives, mieux adaptées à l'environnement géographique et climatique. «Il ne faut pas se leurrer, l'arbitrage se fera au niveau des cultures céréalières au profit de cultures plus intensives, c'est-à-dire à plus fortes valeurs ajoutées », assure un opérateur. Pour le moment, selon une source proche du dossier, certains gros agriculteurs ont déjà manifesté leur volonté de devenir agrégateurs. Citons le cas de Delassus (Kacem Bennani Smirès) ou encore celui de GPA (Tarik Kabbage). Une telle intervention, visant en premier à dépasser la contrainte du foncier, devra par ricochet permettre de ramener le taux de mécanisation à des niveaux mondialement acceptables. Aujourd'hui, ce ratio est inférieur à celui de nos concurrents méditerranéens malgré une politique de subvention (40 à 60% de subvention sur les tracteurs et instruments de semi et de traitement de la terre) et de crédits bonifiés par le Crédit Agricole du Maroc. La nouvelle vague massive d'investisseurs a du pain sur la planche. Un million d'entreprises agricoles en vue On l'aura compris. Il s'agit de composer avec la dualité du secteur agricole et d'adapter les solutions à la réalité du marché. C'est pourquoi le plan Maroc vert conçoit deux piliers différenciés (l'un moderne et l'autre basé sur des cultures pauvres) aussi bien en termes d'objectifs que de moyens et se base sur un raisonnement en termes de niches. «L'énonciation d'une telle stratégie revient à rompre avec le paradigme d'une agriculture marocaine duale opposant un secteur moderne à un secteur social «traditionnel» en faveur, au contraire, d'une agriculture plurielle dans laquelle tous les territoires et tous les agriculteurs auront trouvé leur place dans un ensemble national, en valorisant au mieux leurs opportunités respectives», souligne une source du ministère. L'objectif est de disposer d'un million d'exploitations ou plutôt d'entreprises agricoles (la nuance est importante) toutes tailles confondues. La symbolique est là, puisque l'objectif d'un million d'entreprises en rappelle un autre. Celui du défi d'un million d'hectares irrigués que s'était fixé feu Hassan II.Et là encore, le rôle des agrégateurs revient avec force. Et pour cause. Le développement agressif des filières végétales à forte valeur ajoutée se fera autour de projets intégrés/agrégés de conditionnement ou de transformation. L'agence de développement agricole, dont la mise en œuvre est en cours de réflexion, aura elle aussi un rôle important à jouer dans la concrétisation de ce plan. En effet, c'est elle qui sera en charge d'assurer l'interface avec les investisseurs privés ou sociaux, d'impulser les modèles d'agrégation sur le terrain, de gérer leur mise en œuvre, et de jouer le rôle d'intermédiation entre les différents partenaires. Une sorte de banque d'affaires spécialisée dans l'agriculture, pour reprendre l'expression d'un proche collaborateur d'Aziz Akhannouch. Bien dit quand on sait que sa mission consiste à monter des projets et à les revendre. C'est elle qui sera par exemple en charge de la répartition des périmètres d'agrégation selon les spécialisations régionales existantes mais aussi de l'existence de périmètres privatisables ou agrégeables. Et c'est aussi à elle que revient le rôle de donner la visibilité à long terme à tous les intervenants du secteur. De quoi attirer peut-être les investisseurs qui n'ont pas encore répondu à l'appel du terroir.