En un temps record de 14 mois, la compagnie maritime marocaine a décroché le gros lot. Privatisée pour 2,25 milliards de DH, l'entreprise s'attend à de nouvelles perspectives dans des conditions plus favorables. Mais l'inquiétude des syndicats sur les droits acquis auparavant est menaçante. La cession de l'entreprise a provoqué, il y a quelques semaines, une inquiétude chez les centrales syndicales les plus représentatives à la Comanav. Les partenaires dans la gestion d'hier se trouvent aujourd'hui écartés par la prise de pouvoir de CMA CGM, nouvel actionnaire de référence de l'entreprise. «Désormais, le groupe français arrive avec sa stratégie et deux grands pôles sont en phase de se détacher de l'emprise des syndicats qui participaient à la gestion de l'entreprise aux côtés de l'ancienne direction», crie un syndicaliste sous le sceau de l'anonymat. D'après les dires de celui-ci, un malentendu, qui risque de se développer d'un moment à l'autre, est survenu entre les élus des employés et les syndicalistes. «La grogne se prépare dans les coulisses, en dépit des promesses promulguées par l'administration du groupe, qui les invite à reprendre le dialogue dans plus d'un an, le temps d'y voir un peu plus clair dans la situation globale de l'entreprise», grognent certains syndicalistes. Ces derniers, soucieux de perdre leurs droits sociaux, après avoir perdu, momentanément, le pouvoir de la gestion collective, acquis lors des anciennes négociations collectives, ont invité la direction à renégocier leurs droits dans le cadre actuel. Chose qui risquerait de tarder, au moment où la direction se penche sur les grands investissements matériels. Vu l'importance du partenariat (gestion) entre les deux parties, les centrales syndicales jugent nécessaire d'établir un accord de principe pour garantir aux employés leurs droits sociaux et participatifs même après la privatisation. Et pour mettre un terme aux malentendus, pouvant surgir à tout moment entre les syndicats et la direction du groupe, CMA CGM s'est engagé à poursuivre la même stratégie dans la gestion des ressources humaines, tout en préservant les droits acquis par les employés, à part celui de la gestion collective, pièce maîtresse du développement de la Comanav. Dans une initiative visant alors à calmer les esprits, CMA CGM propose un nouveau plan de carrière et une restructuration de la gestion des ressources humaines de l'entreprise, en vue d'améliorer la situation sociale des employés. «Rien ne change dans la gestion de Comanav», précise Mohamed Rami, conseiller du groupe. «Des augmentations de salaires sont à l'horizon et des opérations de recrutement sont en cours». A en croire les déclarations de la direction, «les employés de la Comanav seront bien plus à l'aise avec le nouveau «parrain» qu'auparavant. Les syndicats le seront aussi, puisqu'il n'y aura plus rien à craindre. Tous les droits sociaux sont préservés». Cela n'empêche que certains syndicalistes sont toujours mécontents, malgré les promesses qui leur sont faites par le groupe français. D'après eux, «les paroles s'en vont, mais les écrits restent». En attendant ce que les jours à venir réservent à l'entreprise, les syndicalistes réclament leur droit de gestion participative, et s'interrogent pour savoir si la CMA CGM tiendra ses promesses. «De toute façon, la direction est invitée à revoir nos requêtes, ce qui éviterait à la compagnie l'ultime crise qui survole ses horizons», conclut le syndicaliste. Une performance de redressement prouvée Personne aujourd'hui n'en doute : Taoufiq Ibrahimi, PDG de Comanav, a gagné son challenge. A la tête de la compagnie marocaine maritime en déclin à moins de 900 millions de DH en 2001, le responsable avait pour mission de la redresser et de la préparer au jour «J» : sa privatisation. Grâce à la gestion collective, à laquelle ont participé également les élus des employés et les syndicalistes, le management de la Comanav a redressé l'entreprise pour la revendre à 2,25 milliards de DH en 2007. Le management se félicite de cet exploit et en attend d'autres à l'échelle internationale, d'autant que dorénavant, la compagnie marocaine est bien adossée à un «géant» du transport maritime : CMA CGM (Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime). Six années (2001-2007) ont suffi pour rendre à Comanav sa gloire des années 70 et 80. Après quelques années, l'entreprise a retrouvé sa bonne santé. Du point de vue stratégique, l'ensemble des métiers de Comanav est stabilisé. Sur le fret, les partenariats mis en place et la réduction des charges d'exploitation ont permis de consolider le métier, avec un résultat structurellement bénéficiaire malgré les contraintes exogènes et l'érosion des taux de fret. Concernant le passage, l'acquisition et l'absorption de Limadet, la stratégie d'ouverture de nouvelles lignes et de diversification des marchés ont permis à l'entreprise d'être le leader incontesté sur le transport de passagers, avec plus d'1/3 de pdm malgré la présence d'une redoutable concurrence. Pour ce qui est du volet portuaire de la Comanav, sa présence à Tanger Med et la création de Somaport en décembre 2006, concessionnaire de terminaux au port de Casablanca, positionnent le groupe à la tête du marché national de manutention privée. La croissance étant au rendez-vous, il fallait l'accompagner par un programme d'investissement ambitieux sans recourir au Trésor qui n'en avait pas les moyens. Solution ? La privatisation, d'autant plus que la compagnie suscite déjà l'intérêt de bon nombre d'acteurs du secteur maritime dans le monde. Une campagne de privatisation a été alors lancée à l'échelle internationale. Quatorze candidats se sont prononcés pour le rachat de la compagnie, mais le cahier des charges de la privatisation n'en a favorisé qu'un seul : le groupe français CMA-CGM répond aux critères et gagne les «enchères». Affaire conclue, le Français devient officiellement acquéreur de Comanav pour 2,25 milliards de DH. Troisième à l'échelle mondiale de transport maritime à conteneurs, derrière la Danoise Maersk et l'Italo-suisse MSC, le groupe français détient, désormais, le pouvoir «absolu» sur la compagnie marocaine : 99,49 % du capital et les droits de vote de la société. Ainsi, via cette opération de privatisation de grande envergure, le groupe de Jacques Saadé renforce ses positions à la fois en matière de transport maritime de marchandises et d'activités portuaires au Maroc. La logique de complémentarité géographique de cette acquisition permettra d'offrir un service complet aux clients de CMA CGM et à ceux de Comanav sur l'axe Maroc-Europe (en cargo) et sur la méditerranéenne (en passager). Un constat affirmé par M. Rami : «la cession de notre compagnie est une opération majeure qui s'inscrit en ligne droite de sa stratégie visant à diversifier ses activités, notamment le transport des passagers et les opérations portuaires, et à renforcer sa présence dans le bassin méditerranéen». Et d'ajouter : «Le groupe français est conscient de l'ampleur des besoins du développement de Comanav et de sa place de leader dans le Maroc et dans la région». Une raison pour laquelle CMA CGM, qui a fait l'engagement d'acquérir, entre autres, une quarantaine de navires, réserve à la compagnie marocaine d'importants projets de développement, surtout en matière de transport par conteneurs. D'où la nécessité de mettre en place une stratégie financière et commerciale régionale : «certes», poursuit M. Rami, «la première année de la privatisation est une période d'investissements colossaux. Mais cela n'empêche guère les prévisions d'être encourageantes, du moment que la valeur ajoutée immédiate escomptée de la privatisation s'avère, en effet, tout à la fois porteuse et prometteuse».