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Abbas El Fassi La revanche
Publié dans Challenge le 22 - 09 - 2007


Soyons francs et clairs :
la nomination d'Abbas El Fassi a laissé coi plus d'un observateur. Une semaine avant la sortie royale, les pronostics mettaient en pôle position les trois mousquetaires (Karim Ghallab, Taoufiq Hjira et Adil Douiri) du parti de l'Istiqlal. Mais le Roi a parlé : Si Abbas est notre nouveau Premier ministre. Sa première tâche sera de constituer un gouvernement soudé et de mettre en avant des profils intéressants. Saura-t-il réussir cette mission ?
Le 19 septembre 2007, Abbas El Fassi a pris sa revanche sur l'histoire. Sa bonne étoile a enfin brillé après une longue traversée du désert qui a duré plus de huit ans. Mercredi dernier, le Roi Mohammed VI a désigné le secrétaire général du parti de l'Istiqlal comme 14ème Premier ministre du Royaume du Maroc. C'en est fini du ministère sans portefeuille, Si Abbas est désormais le chef. Son choix pour ce poste répond à une seule logique, celle de l'issue du scrutin du 7 septembre dernier. Avec ses 52 sièges au futur Parlement, le parti de Abbas El Fassi se doit de mener le jeu dans la prochaine législature. Mais il lui fallait d'abord faire face aux manœuvres des alliés d'hier.
L'USFP d'abord. Selon des sources proches des socialistes, le parti de gauche était, au lendemain des résultats du scrutin, gêné à l'idée que l'Istiqlal pouvait conduire la prochaine coalition gouvernementale. D'ailleurs, la presse s'est faite l'écho de cette gêne sans que les membres du bureau politique ne montent au créneau pour démentir ces sources. Ce qui a laissé croire que Mohamed El Yazghi, le meneur de l'USFP (Union Socialiste des Forces Populaires) était disposé à comploter contre son frère istiqlalien au sein de la Koutla. L'objectif aurait été de monnayer au prix fort la participation de l'USFP au prochain gouvernement. Cela est d'autant plus logique que les résultats du parti socialiste ne lui permettent pas de négocier dans une situation confortable. Avec 37 sièges au Parlement, loin derrière La Mouvance Populaire (MP) et le Rassemblement National des Indépendants (RNI), l'USFP ne peut prétendre qu'à peu de choses. Pour un parti qui a toujours réclamé le leadership, la pilule est dure à avaler. En revanche, La Mouvance Populaire a tenté d'anticiper le jeu. Le parti présidé par Mohand Laenser a réalisé, au lendemain des résultats du scrutin, des alliances avec des partis proches de la Mouvance Populaire. Le but était de disposer d'une force de frappe en termes de sièges au Parlement. L'alliance a, en effet, hissé la Mouvance au premier rang, loin devant l'Istiqlal. Sauf que cette alliance n'a pas produit l'effet escompté. D'ailleurs, une correspondance interne à la Mouvance Populaire nous renseigne sur le but de la précipitation de Mohand Laenser. L'auteur de cette lettre incite le patron de la Mouvance à «mettre en place d'urgence une organisation spéciale, qui pourra veiller, durant les jours à venir, à produire un maximum d'effet médiatique sur l'opinion publique, les cercles du pouvoir et les observateurs nationaux et internationaux dans le but (NDRL) de créer ainsi les conditions pour que «Mohand Laenser devienne aux yeux de l'opinion publique, le candidat naturel à la Primature», fin de citation. La stratégie visait également à rendre coup pour coup aux sorties médiatiques de l'Istiqlal. Le Roi ayant fait son choix, imaginons la déception de la grande famille de Mahjoubi Aherdane. «La bataille n'est pas totalement perdue pour autant», nous précise un proche des sphères politiques. La Mouvance Populaire peut toujours prétendre à la présidence de la Chambre des représentants. «Un seul parti peut faire le forcing pour obtenir le perchoir. La Mouvance Populaire en a la force et Abbas El Fassi y trouvera le moyen de réaliser l'objectif d'une formation gouvernementale serrée», nous explique la même source. Un impératif qui figure dans le cahier des charges de Si Abbas. En effet, les instructions du Roi étaient claires : le gouvernement devait répondre à trois paramètres : la jeunesse, l'efficacité et le rythme de travail. «Tous les membres du gouvernement doivent travailler au même rythme et donner des résultats satisfaisants», nous confie une source proche du Palais.
Pour y arriver, il faut une équipe de talent. Le pari paraît difficile. Et pour cause, comme l'a si bien dit Mustapha Mansouri, patron du RNI, le prochain gouvernement sera une coalition respectant la majorité sortante. En gros, l'équipe comprendra le RNI, l'Istiqlal, le MP et le PPS. Suivant cette configuration, Abbas El Fassi aura respecté son rejet du PJD (le parti islamiste) et tenu parole face à ses alliés de la Koutla. Mais il aura à négocier dur pour respecter les instructions royales et mettre sur pied un gouvernement qui fonctionne à plein régime. Et surtout appliquer à la lettre le plan de l'Istiqlal pour la formation de l'exécutif.
Le plan de l'Istiqlal sous forme de grands pôles
Contrairement à ce qu'on peut avancer, le parti de l'Istiqlal a mûrement réfléchi à la configuration du prochain gouvernement. Selon son plan, la prochaine équipe sera structurée sous forme de grands pôles. Il y en aura quatre en tout et pour tout : d'abord le pôle économique, regroupant les ministères des Finances, de la Privatisation et de l'Economie, qui fait actuellement partie du ministère délégué chargé des Affaires générales. Ce pôle sera consolidé avec le retour du Plan, auquel sera dédié un département à part entière. Le deuxième pôle sera consacré aux plans de développement. Y figureront les départements du Tourisme, du Transport, de l'Industrie avec son Plan Emergence, les nouveaux métiers dont l'offshoring… Le troisième pôle, consacré au social, regroupera l'Enseignement, la Santé, la Solidarité… Et enfin le pôle de souveraineté avec ses ministères traditionnels comme ceux de l'Intérieur, des Affaires étrangères et de la Défense nationale. Pour chaque pôle, l'Istiqlal table sur la création de grands ministères secondés par des secrétariats d'Etat. La structure sera serrée afin de ne pas dépasser une équipe de 26 membres avec 5 ou 6 femmes. «C'est la structure idéale, qui constituera le changement dans la continuité de la majorité», décortique un quadra de l'Istiqlal. En clair, même si la majorité sortante est reconduite, cela ne signifie pas que le gouvernement aura les mêmes visages et la même configuration. Mais le « futurisme », pour ne pas dire l'irréalisme du parti, connaît une limite. Un jeune ministrable de la formation politique le reconnaît en ajoutant qu'«on n'échappera pas à la présence des El Yazghi, Laenser, Mansouri et autres». C'est dire que tout se joue en ce moment même. Certaines sources, peut-être plus imaginatives que d'autres, conçoivent des scénarios assez laborieux pour contrer l'appétit montant de la Mouvance Populaire. Ainsi, pour elles, Abbas El Fassi pourrait proposer à la Mouvance Populaire le pôle économique dans son ensemble, tout en imposant un choix d'hommes sérieux et travailleurs. Les mêmes sources citent le nom de Hassan Abouyoub dans le rôle de fédérateur du pôle économique pour le compte de la MP. Sous sa houlette, pourront s'épanouir des ministres comme Mohamed Boussaïd aux Finances. «Tout est permis et le parti n'a pas de complexe à ce niveau». Cette remarque, qui émane d'un militant de longue date, se nourrit de l'expérience du gouvernement sortant. Ainsi, le parti a en effet accepté de puiser dans la «périphérie» pour présenter des profils intéressants comme Karim Ghallab et Adil Douiri (Hjira étant un militant istiqlalien-né). Et rien ne l'empêche de récidiver pour se donner les moyens de sa politique. Mais ce cap franchi, le parti butera sur le nombre de portefeuilles et l'importance des valises ministérielles. «Tout le handicap est là. L'hypothèse d'une équipe de 26 personnes est séduisante, mais ne prend pas en considération la culture politique du pays», déclare un proche du RNI. Et tout laisse croire qu'in fine, l'équipe pourra atteindre 32 départements pour satisfaire l'appétit de tous.
Le choix des hommes
et 2007 Daba
Quand les tractations sur le nombre des portefeuilles seront bouclées, les négociations porteront sur le choix des hommes. Le Roi veut des hommes et des femmes efficaces, ce qui fait dire à un jeune quadra casablancais : «le Roi veut des technocrates politisés, une denrée rare chez les partis politiques». Tout l'enjeu est là : les partis ont-ils la capacité d'aligner des équipes techniquement pointues, mais avec des étiquettes politiques ? Pas sûr. Selon un politicien de la place, le choix des hommes peut se faire à l'intérieur du parti ou dans les cercles de ses sympathisants. «Rien n'empêche la Haraka de faire appel à Aziz Akhennouch ou à des hommes d'affaires proches de la Mouvance Populaire pour faire bonne figure dans le prochain gouvernement», suggère un haraki convaincu. Si les partis doivent faire appel aux sympathisants, c'est que les profils désirés manquent à l'intérieur des formations politiques.
Noureddine Ayouch, président de l'association 2007 Daba, n'est pas de cet avis. Selon lui, les partis regorgent de talents qu'il faut mettre en valeur en les proposant pour assumer des responsabilités à la hauteur de leur formation et de leur expérience. D'autant plus que l'association a mené une large campagne pour inciter les dirigeants d'entreprises à intégrer les formations politiques.
Ayouch a-t-il atteint son but ? «Pas vraiment», disent certains partisans, «la campagne n'a intéressé qu'un petit groupe d'hommes d'affaires qui ont été approchés et séduits par certains partis». Noureddine Ayouch soutient le contraire : «la campagne a été une grande réussite et nous comptons une centaine de jeunes talents qui portent désormais des étiquettes politiques». Et c'est justement le parti de l'Istiqlal qui a raflé la mise. Lors d'une soirée organisée à la veille des élections, le parti avait regroupé des dizaines de nouvelles recrues venues rencontrer l'ancienne garde et s'abreuver de la culture politique du parti. Toutefois, il ne faut pas croire que ce sang frais a tronqué sa virginité politique contre un jeu de figuration pure et simple. Ce témoignage en dit long sur les attentes des nouvelles têtes : «le parti m'a ciblé pour que je lui apporte, et à travers lui à mon pays, mon expérience et mon savoir-faire, et il est tout à fait normal qu'il nous propose, moi et les autres talents, pour des postes à responsabilités», nous confie un jeune bardé de diplômes et ayant assumé de grandes responsabilités dans le secteur privé. Ayouch appuie cette position. «Je crois que le problème réside dans la volonté et le courage politiques. Il est temps que les partis donnent un signal fort en mettant en avant des personnalités hautement qualifiées, désireuses de participer au développement du Maroc». Selon le patron de 2007 Daba, un parti comme l'USFP gagnerait à proposer un Ahmed Chami, associé à Moulay Hafid Elalamy, dans le groupe Saham, pour prendre en charge la réforme de l'enseignement. «Il en a la capacité et sa réussite haussera l'image du parti», poursuit-il. Le pari de Abbas El Fassi réside justement à ce niveau. Non seulement il doit éviter le morcellement de l'exécutif, mais il doit surtout convaincre ses frères d'armes de céder la place à une nouvelle génération de dirigeants politiques. Un choix à haut risque pour la vieille garde qui perd de plus en plus de sa superbe face à une caste qui ne jure que par des objectifs chiffrés.
Les étapes des négociations
Etape I : participera, ne participera pas...
La politique a ses rouages impénétrables. Chaque parti ayant une chance d'être de l'équipe aux commandes ne manquera pas de jouer la carte du boycot. Après avoir tranché par ses instances la question de la participation, le parti gardera toujours un pied à l'extérieur de la mêlée. Objectif : pousser le négociateur à promettre monts et merveilles, question d'obtenir davantage que ce que la puissance électorale permet. Cette étape des négociations vise surtout à mettre à plat les susceptibilités personnelles : les déçus, suite au choix royal, prennent le temps d'avaler leur amertume et de préparer une attaque, question de mener la vie dure au nouveau chef de l'équipe gouvernementale.
Etape II : combien de ministères ?
Dès que le «OK» pour la participation du parti est acquis, les négociations portent sur le nombre de portefeuilles ministériels. Il est d'usage, chez nous, de départager le gâteau en fonction des sièges obtenus lors des élections législatives. C'est une opération purement arithmétique qui fait jouer (encore une fois) la règle de la proportionnelle : autant de sièges, autant de ministères et de secrétariats d'Etat. La logique politicienne domine à tel point les calculs que la configuration du gouvernement ne reflète jamais les priorités économiques et sociales du moment. A titre d'exemple : le gouvernement sortant avait un secrétariat d'Etat dédié à la Formation professionnelle, doté des mêmes prérogatives que l'Office de la Formation Professionnelle et de la Promotion du Travail. La même logique a présidé dans la séparation du ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme, dirigé par Toufiq Hjira (parti de l'Istiqlal), du ministère de l'Aménagement du Territoire, où trône Mohamed El Yazghi (Union Socialiste des Forces Populaires).
Etape III : Quels ministères ?
La participation étant acquise et le nombre de portefeuilles ayant fait l'objet d'un consensus, place à la négociation sur le type de ministères. La force électorale joue un rôle à ce niveau. D'abord, plus on a de sièges, plus on peut prétendre à des ministères stratégiques. Mais il ne faut pas pousser le bouchon trop loin: le parti trônant à la Primature contrôle toujours les Finances et les ministères stratégiques. Les autres peuvent, en revanche, se focaliser sur les ministères à grands moyens et à faibles risques.
Etape IV : le choix des personnes
Le choix des personnes est crucial dans la formation du gouvernement. Selon les instructions royales, la priorité est donnée aux technocrates politisés. Mais encore faut-il les trouver au sein des partis politiques. En principe, chaque parti doit faire un effort pour présenter des profils intéressants et parallèlement batailler pour maintenir ses ténors notables et la meute qui va avec. Les négociations servent également à écarter les susceptibilités. L'idéal est de disposer d'une équipe solide avec le moins de clash possible. La recette est simple : deux personnes qui ne s'aiment pas ou qui ont un contentieux historique ne doivent pas siéger dans le même gouvernement.


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