A la veille d'un déconfinement ou levée du confinement au Maroc, tant attendu par tous les Marocains, de nombreuses questions se posent dans le débat public pour la gestion économique de « l'après Covid -19 ». Il faut néanmoins rester lucide et clairvoyant. Bien que de très nombreux indicateurs sanitaires sont jour après jour meilleurs et montrent que la pandémie entame une phase de reflux dans le monde, et notamment au Maroc, elle n'a pas pour autant totalement disparu. L'économie nationale a subi un choc récessif très fort, évalué par le HCP ( NDLR : Haut-Commissariat au Plan ) à plus de 8%, pour le deuxième trimestre 2020, et au global sur l'année, au-delà des -5%, selon les dernières prévisions de Bank Al Maghrib...On évoque de plus en plus, dans ce contexte, la nécessité d'une relance économique générale par une stimulation de la consommation interne, et une impulsion de l'investissement, au moyen d'un recours important à l'endettement, essentiellement public. Lire aussi |Omar Balafrej :« Au Maroc, le taux de chômage ne veut rien dire puisqu'il n'y a pas d'indemnité chômage généralisée » Ces discussions sur la relance économique sont théoriques, mal formulées conceptuellement et déconnectées du réel. A ce stade, il ne peut pas s'agir de relance économique mais de sauvegarde de l'appareil de production, qui a subi un affaissement brutal de la demande et un arrêt partiel de ses chaînes de production. Les secteurs les plus fortement affectés sont le plus souvent par les courroies de transmission de la demande étrangère : –Automobile : 5% à 6% du PIB totalement corrélé aux ventes en Europe, et dont les prévisions sont de -15%-20% cette année et probablement en baisse en 2021 (-5%). –Le secteur de l'offshoring, environ 3% du PIB, fortement impacté dans la continuité de son activité par les restrictions sanitaires du confinement au Maroc et la baisse ou l'arrêt d'activité des donneurs d'ordre traditionnels en Europe (Centrales de réservation pour l'hôtellerie, pour le transport aérien, les secteurs de la banque et de l'assurance). Prévision de baisse de CA selon les principaux acteurs du secteur de l'ordre de 25% à 30% pour cette année. –Le textile : 2% du PIB, secteur de sous-traitance en bout de chaîne, sous marques étrangères, essentiellement liées aux ventes de commerce de détail pour l'habillement en France et en Espagne, et dont les prévisions cette année sont annoncées entre -20% et -25%, avec le déphasage de saison, cet été, des stocks accumulés (soldes en masse pour écouler les invendus). –La sous-traitance aéronautique : environ 1% du PIB, totalement dépendant des carnets de commandes des 2 principaux constructeurs, qui eux même luttent pour leur survie. Baisse attendue en 2020 de la production d'avions dans le monde de près de 50%. –Le tourisme : 7% du PIB frappé de plein fouet par les fermetures des frontières à minima jusqu'à Septembre, avec la perte probable de 70% des revenus habituellement réalisés. Au total, on est à près de 20% du PIB et probablement à plus. On fait comment pour relancer ces secteurs ? Pour ce qui est des secteurs marchands à caractère plus endogènes et tirés essentiellement par la consommation interne ou l'investissement, outre les services, et en raison de la faible diversification de notre économie, liée à notre niveau de développement, il n'y a essentiellement que le Commerce et le BTP. Dans les circonstances actuelles, une relance par la consommation induirait de fait une aggravation de notre déficit commercial et une baisse dangereuse de nos réserves de devises, alors que le contexte économique international est encore très incertain. Enfin, la relance de l'investissement par le BTP...provenant essentiellement de la commande publique, a largement épuisé son potentiel de rendement. Nous avons l'un des ratios d'investissement rapportés au PIB, parmi les plus élevés dans le monde avec un apport de plus en plus faible sur notre potentiel de croissance. Pour l'instant, l'action et les ressources de l'Etat doivent être utilisées avec beaucoup de mesure et de prudence au seul soutien de l'appareil productif, et dont la viabilité stratégique n'est pas remise en question... Si les agents économiques sont véritablement déstabilisés par cette crise, et probablement encore tétanisés par l'incertitude et la vague annoncée de la récession économique ; Le plan de relance par la demande, n'est pas approprié structurellement pour notre pays, il ne fera que dilapider nos précieuses et très limitées ressources en devise et en endettement souverain. L'agence Fitch vient de réviser à la baisse sa perspective de la note du Maroc. Si par malheur, nous perdions l'Investment Grade, les conditions de refinancement de notre dette extérieure de 15 mlds d'Euros vont flamber. Pour autant, avec l'accumulation des mauvaises nouvelles dans le monde, notre environnement proche (l'Europe), et par la suite chez nous, il y a un risque très important d'amplification anxiogène de la perception de la crise, et de diffusion d'une défiance générale entre les acteurs. Lire aussi|Maroc : un autre établissement public mis en liquidation depuis le début de la crise du Covid-19 L'action de l'Etat est fondamentale à très court terme pour envoyer des signaux forts de soutien et sauvegarde de l'économie pour éviter un début de panique, mais avant tout avec une approche lucide sur notre appareil de production et notre capacité d'influence sur la demande. Signé Télémaque