Le projet de décret régissant les marchés publics est au centre du débat. Les professionnels marocains estiment que le texte est en deçà de leurs attentes et n'instaure pas une véritable préférence nationale qui permettrait aux entreprises locales de s'assurer une part de la commande publique. Analyse. « La montagne a accouché d'une souris». C'est ainsi que résume Lamia Tazi, directrice générale de Sothema, tout ce tapage médiatique autour de la préférence nationale. Pour elle comme pour plusieurs autres opérateurs économiques, le nouveau décret n'apporte pas de grandes révolutions en la matière. «L'article 155 du nouveau décret des marchés publics relatif à la préférence nationale est le même que l'article 81 du décret de 2007», poursuit Lamia Tazi membre du conseil d'administration de la Confédération Générale des Entreprises Marocaines (CGEM). En fait, ces articles donnent la possibilité aux donneurs d'ordre de majorer le prix des offres des entreprises étrangères de 15% afin de favoriser les nationales. Or, cette dernière est loin d'être une nouveauté. Un avis partagé par un opérateur qui ajoute que cette mesure n'était pratiquement «jamais» appliquée bien qu'elle existe dans la loi depuis des années. Aziz Rabbah, ministre de l'Equipement et du Transport a remédié à cette situation. En effet, ce dernier a changé la donne en Février 2012, au moins en ce qui concerne son département et les établissements sous sa tutelle. D'ailleurs, il a été le premier ministre de ce gouvernement à appliquer les dispositions de l'article 81 du décret n°2-06-388 du 5 février 2007 relatif à la passation des marchés publics. En adressant une circulaire aux directions centrales et aux différents établissements publics sous la tutelle de son département, pour l'application de la mesure de la préférence nationale de 15% pour les marchés de travaux et d'études y afférents. Grâce à l'application de cette mesure, les entreprises marocaines ont remporté une grande part des marchés de ce ministère en 2012 (voir Interview). Mais si les entreprises du secteur du BTP peuvent y trouver leur compte, d'autres opérateurs pensent que le projet de décret régissant les marchés publics a besoin de plusieurs modifi cations avant de «consacrer réellement la préférence nationale». Seuls les marchés d'études et de travaux sont concernés par l'article 155 du nouveau décret. Autrement dit, les marchés de marchandises et de fournitures y sont exclus. «En effet, il s'agit d'un sujet sur la table. D'ailleurs dans le cadre de la révision dudit décret, la CGEM propose d'étendre cette préférence aux services et que soit examinée son extension aux fournitures», avance Mehdi El Idrissi président de la commission Compensation Industrielle et Accès aux Marchés Publics au sein de la CGEM. Car la commande publique, qui représente un poids économique entre 18% et 20% du PIB marocain, soit près de 150 milliards de dirhams d'investissements publics n'est pas l'apanage des seuls secteurs des travaux et de l'ingénierie. En moyenne, l'Etat passe 11.000 marchés annuellement pour des fournitures aussi diverses que variées allant de la construction d'une route aux fournitures de bureaux... C'est dire que le champ d'intervention des entreprises nationales est vaste. Mais malheureusement jusqu'à l'heure, l'économie marocaine ne profite que faiblement de la commande publique. Les chiffres publiés par le Conseil Economique et Social et Environnemental (CESE), dans son rapport sur «la Commande publique, levier stratégique de développement économique et social», sont parlants. Le CESE met en évidence le décrochage qu'il y a entre la croissance de la commande publique et celle de la croissance du PIB national. Alors que la première a évolué de 30% entre 2007 et 2011, le PIB lui, n'a progressé que de 4.6%! Ce décrochage entre la croissance et les achats publics contribue au déséquilibre de la balance commerciale. Car, l'évolution de la commande publique s'est surtout accompagnée d'une augmentation du volume des importations alors qu'elle a eu un faible impact sur la valeur ajoutée locale. Ce n'est pas pour rien que les pouvoirs publics parlent de plus en plus de préférence nationale. «Il semble légitime de penser que le développement de l'investissement public du Maroc doit bénéficier à des entreprises marocaines qui paient leurs impôts au Maroc. Ceci aura pour effet outre la réduction des déficits de la balance commerciale et celle des paiements, le renforcement de notre tissu économique», avance le président de la commission Accès aux Marchés Publics. Un avis partagé par Saloua Karkri Belkziz, administrateur directeur général de GFI Informatique Maroc qui explique que «c'est justement parce qu'elles ne sont pas compétitives que les entreprises marocaines ont besoin de préférence nationale pour protéger leur marché des entreprises plus compétitives, quelles que soient les raisons de leur compétitivité (Efficience, taille, avantages fiscaux à l'exportation de leur pays d'origine)». Donc, appliquer la préférence nationale ne peut que créer un cercle vertueux qui tirerait vers le haut l'économie marocaine et avec elle les PME nationales tout en réduisant les importations en s'adressant à des entreprises qui produisent localement. Le clin d'oeil au «consommez marocain» se manifeste grandement. Non seulement au niveau des marchés publics, car les entreprises privées et les consommateurs sont tout aussi concernés. Il est important de noter que cette pratique n'est aucunement en contradiction avec l'ouverture prônée par le Maroc. Pour preuve, les grandes économies mondiales n'hésitent pas à y avoir recours, à l'instar des Etats-Unis ou encore la France. Pour donner du sens à cette mobilisation pour la référence nationale, le ministère des Finances a introduit une nouvelle mesure au niveau du décret qui est toujours en cours d'approbation. Une seule mesure concrète. Au moins 20% des marchés publics seront réservés aux petites et moyennes entreprises (PME). Loin d'être négligeable, cette mesure ouvre aux PME la porte à une enveloppe budgétaire qui pourrait s'estimer pour la seule année de 2013 à 12 milliards de dirhams, sachant que l'investissement public tous secteurs confondus est estimé, au niveau du budget général, à 59,865 milliards de dirhams. Certes, il s'agit là d'une véritable avancée, mais qui est loin de combler les multiples insuffisances dans ce domaine. Première embûche à l'application de cette mesure: l'absence de l'obligation. Tous les opérateurs que nous avons sondés ont fait cette remarque. Tant que le caractère obligatoire de cette mesure n'est pas consigné explicitement au niveau du décret, il peut être contourné. D'ailleurs, le CESE a insisté sur ce point en proposant de rendre obligatoire l'encouragement de la valeur ajoutée locale. Ceci passerait également par «l'institution d'un pourcentage minimum de produits et matériaux fabriqués localement dans la solution proposée par le prestataire. Ce dernier serait tenu de justifier l'origine des produits et matériaux en question», propose Mehdi El Idrissi. Et d'ajouter. «Un autre mécanisme à mettre en place serait l'instauration d'un quota minimum de participation des entreprises qui ont une production à valeur ajoutée locale ou nationale aux marchés publics, en tant que soumissionnaires ou sous-traitants». Les entreprises marocaines constatent souvent des critères de sélection, notamment ceux relatifs aux références, qui les excluent de la compétition. Par ailleurs, le rapport du CESE revient sur la nécessité de mettre en place des outils spécifiques pour faciliter l'accès des PME aux marchés publics. Ce qui passerait par la mise en place de dossiers types simplifiés pour les PME, un appui financier pour le recours à des experts, des offres de financement plus adaptées fournies par la Caisse Marocaine des Marchés et la possibilité pour l'Etat de payer directement les PME qui sont en sous-traitance dans le cadre d'une commande publique. Cependant, «la préférence nationale a certes aussi ses inconvénients», s'alarme Saloua Belkziz. «Elle tarit les investissements étrangers, elle contribue àrehausser les prix des marchés et surtout elle ne correspond pas à l'air du temps. L'entrepreneur marocain qui bénéficie de la préférence nationale ne l'appliquera pas à sa propre politique d'achat et il s'approvisionnera là où le marché est le plus compétitif», ajoute-t-elle. Un constat bien réel. Car, si les entreprises demandent à l'Etat un engagement envers le tissu local, elles devraient également en faire de même dans un effort commun. En tous les cas, la préférence nationale reste un mal nécessaire pour protéger les entreprises marocaines et préserver les emplois. «Il faut l'accompagner d'engagement des entreprises à se structurer et à améliorer leur compétitivité. Un buy morroccan act ne peut se concevoir dans la situation de notre marché. Mais certains secteurs tels que l'Ingénierie ou le software dans les IT ... et les travaux publics peuvent être protégés parce qu'ils peuvent constituer des piliers de croissance», conclut la directrice de GFI Informatique Maroc.