Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale pour la région MENA, était en visite au Maroc la semaine dernière. Challenge l'a rencontré pour vous. Challenge : Les PME constituent l'essentiel du tissu économique marocain. Mais, malgré les efforts, elles continuent de souffrir de plusieurs problèmes tels que l'accès au financement bancaire. Comment analysez-vous cette situation qui persiste ? Ferid Belhaj : Dans la région, le Maroc est un pays stable qui jouit de bonnes conditions. Mais, dans le même temps, on voit que la croissance économique de ces dernières années n'est pas à la hauteur des ambitions. C'est un pays qui a besoin de 6%, voire 7% de croissance économique et qui cette année va faire 2,7% pour pouvoir créer assez d'emplois et être en mesure d'absorber une grande partie des jeunes qui viennent chaque année sur le marché du travail. Il y a la question de la relation entre les banques et la PME, qui est l'épine dorsale de l'économie marocaine. Est-ce que les banques jouent leur rôle en matière de crédits pour soutenir les PME ? Certaines diront oui, et d'autres diront non parce que les banques sont timides en ce qui concerne l'octroi de crédits. Lorsqu'une entreprise reçoit des commandes de la part de donneurs d'ordre, mais qu'elle n'a pas de ligne de crédit pour produire, cela limite ses capacités à saisir les opportunités. Certes, les choses avancent ici et là, mais si la question de la PME est toujours posée, c'est qu'il y a quelque chose qui n'est pas encore complètement en place. Challenge : Le Maroc réfléchit actuellement sur son nouveau modèle de développement. Quels rôles pour les PPP dans cette nouvelle dynamique ? Le secteur privé a été et sera toujours le véritable moteur du développement des économies. Cela ne veut pas dire que le secteur privé peut tout faire, lui seul. Il a besoin d'être encadré et régulé. Le PPP (partenariat public-privé) est un instrument très important parce qu'il permet à la fois de donner son plein essor à l'entreprise privée et dans le même temps de préserver pour le secteur public le segment d'activités particulières qui par nature est public. Je prends l'exemple des chemins de fer. Dans ce secteur, il est clair qu'une entreprise privée ne va pas s'amuser à investir dans la construction des rails. Par contre, l'Etat peut investir dans les rails, avec tout ce que cela sous-tend en termes d'expropriations et autres, et ensuite donner la possibilité au secteur privé d'acquérir le matériel roulant (trains), exploiter le réseau et payer des taxes. Ou bien l'Etat achète aussi le matériel roulant et confie la gestion de l'exploitation au privé. Il y a plusieurs schémas selon le type de contrat PPP. C'est le cas aussi pour les aéroports dans le monde. Dans la majeure partie des pays, ils sont concédés au secteur privé de manière à ce qu'ils soient plus productifs et offrir une meilleure qualité de service. C'est le cas par exemple de l'aéroport d'Amman en Jordanie construit dans le cadre d'un partenariat PPP avec la SFI. C'est un aéroport qui fonctionne aujourd'hui comme une entreprise privée. Le Maroc prépare une loi sur le PPP qui va permettre non seulement de gros investissements, mais aussi de rassurer les investisseurs. Cette loi va élargir le spectre des possibilités pour le secteur privé de s'engager dans des investissements avec l'Etat. La région MENA est soumise à des mouvements de protestation dans plusieurs pays. Quelle lecture faites-vous de cette situation ? La région MENA est une région ouverte au business. Il y a la capacité et le potentiel, mais dans le même temps, nous voyons la rue algérienne, la rue libanaise, la rue égyptienne, la rue irakienne dans une effervescence. Cela veut dire qu'il y a un écart entre les politiques et les réformes qui sont mises en œuvre et la réalité que vivent les populations. Cela veut dire qu'il y a des gens qui disent que les efforts mobilisés ne sont pas suffisants. Et si en termes de démographie, on continue sur la base actuelle, d'ici 2050 il y aura 300 millions de jeunes qui seront demandeurs d'emploi dans la région MENA. C'est énorme. Il faut donc qu'il y ait une nouvelle dynamique économique pour absorber cette énergie positive, sinon elle va se transformer en énergie négative.