500.000 DH est l'investissement initial pour créer Pharma Service. Un juge d'instruction à Casablanca a la lourde tâche de trancher dans une affaire qui peut faire office de jurisprudence. Offrir un service à la personne en livrant un médicament acheté en pharmacie à la demande, est-il un exercice illégal du métier de pharmacien ? La réponse ouvrira la porte à un business qui a fait ses preuves sous d'autres cieux, ou le tuera dans l'œuf une fois pour toutes. Innover dans l'entreprenariat au Maroc n'est pas chose aisée. Des fois, cela peut même mener en prison. C'est du moins ce que l'on risque quand on touche un secteur aussi sensible et fortement réglementé, que celui de la pharmacie. En effet, depuis deux mois, une affaire pourtant très peu médiatisée, fait polémique. Yasser Mandry (Y.M), médecin de formation, est aujourd'hui au centre d'une affaire inédite qui l'a mené à la prison de Oukacha en détention provisoire depuis août dernier. Tout commence quand, début 2012, Yasser Mandry a eu l'idée de s'inspirer de l'expérience française pour lancer une entreprise de «portage de médicaments». Il s'agit d'une activité qui consiste à être mandatée par un patient pour lui procurer les médicaments d'une ordonnance, sous pli scellé, quand ce dernier rencontre des difficultés à se déplacer. En clair, la société met à la disposition des patients-clients un coursier qui prend les ordonnances et va acheter les médicaments à la pharmacie de garde la plus proche. Juillet 2012, l'affaire est lancée sous le nom de Pharma Service et le concept semblait prendre après une opération de communication bien orchestrée. Cela n'a pourtant pas duré longtemps puisqu'aujourd'hui, la société est à l'arrêt tant que le juge d'instruction n'a pas prononcé son jugement. En effet, le Syndicat des Pharmaciens de Casablanca a porté plainte contre la société Pharma Service pour «exercice illégal du métier de pharmacien». La plainte a été déposée le 30 août 2012, soit trois semaines après le démarrage effectif de la société. Suite à quoi, le directeur général de Pharma Service a été mis en détention provisoire le jour même. A l'heure où nous mettions sous presse, Yasser Mandry est toujours à Oukacha, en attendant le verdict du juge d'instruction. Entre accusation et défense ! Concrètement, que reprochent les pharmaciens à Pharma Service à travers son directeur général ? «Ce monsieur a pris une autorisation pour une société de service, ce qui est commun. Or, il a commencé à dispenser et distribuer des médicaments aux patients et il ne s'en cache pas, car il appelle son service «Allo Médicaments», ignorant complètement la loi 17-04 portant code du médicament et de la pharmacie», explique Salaheddine El Mouktarid, secrétaire général du Conseil Régional des Pharmaciens d'officine du Sud. Ayant mené l'enquête de son côté, Challenge a pu constater que le chef d'accusation contre Yasser Mandry porte en fait sur deux plaintes au lieu d'une. Et pour cause, un autre corps du métier, le Conseil régional des pharmaciens d'officine du sud, a déposé une plainte contre ce dernier pour «arnaque et fraude». Ils accusent Yasser Mandry et sa société d'induire en erreur l'opinion publique en utilisant le slogan «Allo médicaments à domicile». Pour les plaignants, les citoyens pensent avoir affaire à des pharmaciens. Ce sont donc plusieurs chefs d'accusations qui sont émis à l'encontre de Yasser Mandry qu'il réfute complètement. Pour la première accusation, «faire de la pharmacie suppose outre le diplôme, avoir un stock de médicaments acheté chez le grossiste et revendu aux patients moyennant une marge. Or, Pharma Service ne fait absolument rien de tout cela!», avance Yasser Mandry, s'expliquant en exclusivité à Challenge. Et d'insister, «je ne fais que livrer des médicaments à la demande du patient lui-même, qui me donne mandat pour les lui acheter auprès des pharmacies sur la base d'une prescription médicale. En somme, c'est comme n'importe quel citoyen. A aucun moment je ne me suis approvisionné chez les grossistes ou dans des réseaux de contrebande... comme ils prétendent». Sur son site Web, la société explique la nature de son activité et qu'elle n'a pas pour vocation «de stocker, vendre ou conseiller des médicaments». Est-ce donc un exercice du métier de pharmacien? Si l'on se fie à ce qui précède, on serait tenté de répondre par la négative! D'ailleurs, l'affirmation selon laquelle Pharma Service disposerait d'un stock de médicaments a été rejetée par le tribunal de première instance de Casablanca. En effet, il faut souligner que les pharmaciens ne sont pas à leur premier procès face à Pharma Service. Notre enquête nous a effectivement révélé qu'ils ont déjà intenté une première action en justice le 09/08/2012 auprès du tribunal de première instance de Casablanca, selon laquelle Pharma-service détiendrait un stock illégal de médicaments. Le juge a demandé de procéder à une inspection des lieux. Le rapport qui en a découlé, et que nous avons pu consulter, affirme que la société ne disposait d'aucun stock. Cette conclusion en faveur de la société Pharma Service a poussé les instances des pharmaciens à déposer les deux autres plaintes vingt jours plus tard auprès du Procureur du Roi cette fois. En ce qui concerne l'autre accusation, «arnaque et fraude» le directeur général de Pharma Service, affirme que son entreprise n'a jamais tenté d'induire en erreur les patients. En matière de communication, leur objectif premier était d'expliquer le plus clairement possible la nature de leur service : «la livraison». Le site web, la campagne d'affichage et le spot radio «ne laissaient jamais sous-entendre aux clients qu'ils avaient affaire à des pharmaciens». En naviguant sur le site de la société, il est évidemment clair que la société se réfère au domaine médical depuis sa dénomination sociale. Ceci peut naturellement créer une certaine confusion. Cependant, la page d'accueil du site remet directement les pendules à l'heure, en mettant en exergue le service livraison ! La distribution également interdite ! Quoi que Yasser Mandry avance comme argument, les pharmaciens restent fermement contre ce service. «Nous n'acceptons pas qu'un tiers étranger fasse son entrée dans le circuit de distribution du médicament qui est régi par une loi stricte», lance d'une façon catégorique Salaheddine El Mouktarid. Mandry leur rétorque encore une fois que le circuit de distribution s'arrête entre la pharmacie et le client. Et que ce dernier a toute la liberté d'envoyer son enfant, son mari, son parent ou une tierce personne, pour acheter un médicament. C'est ce que l'on appelle en droit, donner un mandat à quelqu'un pour agir à votre place. Mais selon Mouktarid, ce service empêche le patient d'avoir accès à un élément important, qu'est le conseil. Car, le pharmacien ne fait pas que vendre des médicaments. Plusieurs patients cherchent conseils et explications auprès de leur pharmacien. «Et nous n'acceptons pas qu'un tiers viennent priver les citoyens marocains de ce contact», conteste le secrétaire général du Conseil Régional des Pharmaciens d'officine du Sud. Pour ce dernier, le contact entre le pharmacien et le malade n'a pas de prix. En plus, il avance comme argument, que pour les pharmaciens, le coursier risque de mettre en danger la vie des citoyens s'il ne leur transmet pas les bonnes indications. Sans oublier, que «le transport du médicament est également régi par la loi pour faire respecter les conditions spécifiques de transport et éviter les problèmes du trafic parallèle», fustige Salaheddine Mouktarid. Que répond «l'accusé» à ces attaques ? «Accéder à notre service est totalement volontaire et non obligatoire, ceux qui ont besoin du contact avec le pharmacien pourront toujours ne pas avoir recours à notre service. Nous ciblons en priorité une catégorie bien définie de personnes, à savoir les personnes à mobilité réduite, géographiquement loin de la pharmacie de garde, ou ceux qui n'ont pas le temps ou ne peuvent pas se déplacer... ceux qui nous mandatent pour leur acheter les médicaments dont ils ont besoin au même titre qu'ils peuvent envoyer quelqu'un de leur famille ou leur concierge,...», explique Yasser Mandry. Ce dernier explique qu'au regard de la loi, il y a une reconnaissance de leur service. Preuve en est l'article 28 du décret d'application du code de déontologie des pharmaciens. Cet article avance que les pharmaciens «doivent répondre avec circonspection aux demandes faites par les malades ou par leurs préposés pour connaître la nature de la maladie traitée ou la valeur des moyens curatifs prescrits ou appliqués». Yasser Mandry souligne le terme «préposés» utilisé par le législateur qui, selon lui, donne un sens à leur service et fait en sorte que la société Pharma Service n'est pas hors la loi ! Il faut dire, que cette affaire restera dans les annales du secteur. Car le jugement qui sera prononcé fera sûrement office de jurisprudence qui ouvrira peut être la porte, comme cela été le cas en France, à un business florissant, ou fera en sorte que ce métier ne verra jamais le jour. Pharma Service est-elle hors la loi? En plus de l'avenir d'un homme, c'est l'avenir d'une entreprise et d'un secteur qui dépendent de la réponse à cette question. Au-delà, une question toute simple s'impose d'elle-même, si ce service existe en France, pourquoi pas au Maroc ? Le cas français En France, la question du portage du médicaments a fait polémique au cours des années 90. Le secteur de la santé s'est soulevé contre les sociétés de portage de médicaments. L'affaire est passée par un procès très long qui s'est soldé par un jugement en faveur de ces sociétés. Finalement, le portage de médicaments à domicile a été autorisé et le législateur a réglementé cette activité pour éviter tout dérapage. Que dit la législation française ? Le décret no 95-862 du 25 juillet 1995 fixe notamment les conditions dans lesquelles doit s'effectuer la livraison à domicile. Ces conditions sont les suivantes : les médicaments doivent être transportés dans un paquet opaque qui ne doit être ouvert que par son destinataire; le pharmacien doit veiller à ce que les conditions de transport des médicaments soient compatibles avec leur bonne conservation, et que toutes les informations nécessaires parviennent au destinataire ; le transporteur ne peut stocker les médicaments et doit les remettre directement au patient. Par conséquent, une société peut tout à fait avoir pour objet la livraison des médicaments à domicile dès lors que sont respectées les dispositions du livre V du code de la santé publique. Parcours universitaire : Bac+4 de l'ENCG Settat option marketing et communication Expériences professionnelles antérieures : journaliste à Economie | Entreprises Responsable des éditions Spéciales à Success Publication Activité préférée : Ecrire Mon livre préféré : L'alchimiste de Paulo Coelho entre autres... Ma plus grande qualité : L'ambition Mon pire défaut : L'impatience et l'entêtement