Dans moins d'un an, la fringuant patron de Akwa et ministre de l'Agriculture devra nous éclairer sur ce qu'il veut faire du secteur. Akhannouch saura-t-il prendre les bonnes décisions ? Une seule étude, parmi la multitude réalisée depuis des années sur le secteur agricole, aurait pu le hisser en haut et lui donner (enfin) ses lettres de noblesse. L'étude sur les vocations agricoles des terres, confiée il y a des années à l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), n'a malheureusement pas encore vu le jour. Les experts ont toujours la tête dans le guidon. Il semble qu'ils ne soient qu'au tiers de sa réalisation. Pourtant, cette étude, d'une extrême importance, aurait résolu bien des problèmes. L'étude miracle consiste à dresser une sorte de cartographie de la nature des terres, permettant ainsi aux responsables du département de l'Agriculture de disposer d'un outil fiable les aidant à prendre les bonnes décisions dans le cadre du repositionnement de la filière. Quoi faire sur quelle terre ? La réponse à cette question mettrait fin au tâtonnement des décideurs qui ne savent à quel saint se vouer en matière agricole. Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture, aurait donc intérêt à faire sortir au grand jour cette cartographie. De là, il pourra prendre les décisions qu'il faut pour tourner la page. L'agriculture n'a que trop souffert du manque de vision et de courage politique face à ce dossier épineux. Pour Najib Akesbi, universitaire, «le nouveau ministre doit faire des choix majeurs. Et surtout, il ne devrait pas faire comme ses prédécesseurs et s'engager tête baissée dans de nouvelles études. Il dispose de tout ce qu'il faut dans les armoires et les tiroirs du ministère... Ce dont il a besoin, c'est de prendre conscience des enjeux stratégiques, de faire les choix qui s'imposent et de passer à l'action». Après les différents ministres qui se sont succédés lors de cette dernière décennie, l'espoir du changement était permis. Mais nul d'entre eux n'a malheureusement pu faire grand chose pour l'agriculture, un secteur qui pourtant concentre près de la moitié de la population marocaine. On a laissé tomber le monde rural. Il est devenu ce qu'il est aujourd'hui. Pourquoi en est-on arrivé là ? La politique a tué l'agriculture Pour Najib Akesbi, la principale raison est à chercher dans la chose politique. «Le défunt Roi avait établi des alliances avec les notables ruraux qui devaient devenir les « défenseurs du trône». Les impératifs d'ordre et de sécurité devaient primer sur tout le reste, à commencer par ceux du développement. Cela passait notamment par des structures agraires qui ne devaient pas bouger, et des ruraux qui devaient rester analphabètes, pauvres et marginalisés dans leurs lointaines contrées…». D'ailleurs, toutes les décisions en la matière ont conduit à cette réalité. Les structures des terres guich, des habous… ont été sciemment développées pour ne pas donner aux propriétaires l'occasion de disposer d'une stabilité pour investir. «Le makhzen tenait tout le monde en laisse», résume Akesbi. Les paysans ne devaient alors pas s'émanciper. Les ministres en charge de ce portefeuille ont tout fait pour perpétrer la vision hassanienne. Laquelle vision a aussi porté sur le suivi de la politique des barrages. Nul ne peut contester le bien-fondé de la politique qui devait être menée. Elle n'a cependant pas permis d'élargir de façon considérable les périmètres érigés qui ne représentaient qu'environ 10% de la surface agricole utile. Là encore, Akesbi regrette cette politique « qui a été focalisée sur un espace très limité, condamnant le reste, c'est-à-dire 90% du monde agricole et rural au sous-développement. Elle a été faite pour une minorité, le reste devait rester dans la précarité pour rester dans la soumission ». Au fil des ans, la situation est donc devenue plus qu'alarmante. L'absence de politique volontariste a mené le monde rural vers le gouffre : pauvreté, précarité, chômage… Ce n'est que vers le milieu des années 1990 qu'un coup fatal a réveillé les consciences. Un rapport de la Banque Mondiale, très critique sur ce modèle, évoque les deux Maroc. Dès lors, quelques initiatives se mettent en place. En l'espace de quelques années, des programmes pour l'électrification, l'alimentation en eau potable du monde rural et la construction de routes sont développés. Mais aucune décision stratégique n'a malheureusement été prise. Que produire pour quels besoins ? La question demeure sans réponse. Il est vrai que trop d'études, de stratégies, de plans d'action ont été concoctés. C'est un fait qui existe cependant uniquement sur le papier. En pratique, les responsables du département de l'Agriculture n'ont pas eu les coudées franches pour réaliser une révolution dans le domaine. Pourtant, le Roi Mohammed VI avait voulu qu'il en soit ainsi. Dans son discours du trône de 2004, le Roi avait affirmé la nécessité d'établir une nouvelle politique agricole, pointant du doigt les orientations tatillonnes prises jusqu'à cette date. Même l'industrialisation du secteur, tant escomptée, n'a pu se concrétiser. Faut-il produire plus de céréales ? Aujourd'hui, et malgré toutes les années passées à vouloir remédier à la problématique de l'agriculture, aucun ministre n'a pu trancher. Que veut-on faire de notre agriculture ? Cette question est d'autant plus d'actualité aujourd'hui que les cours mondiaux du blé sont en perpétuelle hausse. Le problème est sérieux. Faut-il revenir à la céréaliculture de manière plus prononcée puisque notre production, quelle qu'en soit sa qualité ou son prix, devra être plus compétitive que le blé que nous importons aujourd'hui ? Pour Akesbi, « les décideurs se basent sur des chiffres tout à fait conjoncturels et volatiles pour prendre des décisions qui, elles, sont stratégiques et structurelles. Les choix que nous prenons sur la base de données peut-être éphémères peuvent lourdement hypothéquer l'avenir. En tout cas, la vraie question qu'il faut se poser aujourd'hui est bien celle de la souveraineté alimentaire. Quelles productions stratégiques assurer sur le territoire national ? Dans quelles proportions au regard des besoins de consommation intérieure ? Où localiser ces productions compte tenu des « vocations agricoles » des terres, des contraintes économiques et des besoins de régulation politique et sociale ? Quel en sera le coût et qui devrait le supporter ?». Autant de questions auxquelles Akhannouch devra répondre. On peut y ajouter celle relative à l'eau. Le Maroc connaît de plus en plus de sécheresses. Cette donne gagnerait à être considérée par les politiques à venir comme une donnée structurelle et non plus conjoncturelle. Les décisions d'Akhannouch sont très attendues. Pourvu qu'il ne fasse pas comme ses prédécesseurs et ne s'endorme pas sur ses lauriers. L'agriculture a besoin qu'on la prenne en main. Maintenant plus que jamais. Au Maroc, comme ailleurs. Le patron de la Banque Mondiale, Robert Zoellick, l'a même annoncé lors de la dernière assemblée générale de l'institution : « nous avons besoin d'une révolution verte du 21ème siècle conçue pour les besoins spécifiques et divers de l'Afrique ». Et si le Maroc s'y mettait ?! DES HOMMES ET DES DESSEINS Hassan Abouyoub Nommé en 1995 à la tête du département de l'Agriculture, Hassan Abouyoub est arrivé à ce poste à une période charnière pour l'agriculture. A partir de cette époque, les choses ont commencé à changer. Des réflexions ont été entamées. Il a notamment mis en œuvre les engagements souscrits par le Maroc au titre de l'Accord de l'OMC sur l'agriculture ( tarification, réduction des soutiens…). Il a aussi été le négociateur de l'Accord euro-méditerranéen établissant une zone de libre-échange avec le Maroc. Il a poussé la politique de libéralisation, parfois même jusqu'à la levée de bouclier. L'affaire des importations en quantité du blé n'a pas laissé indifférent. Habib El Malki C'est à partir de l'année 1998 que l'Usfpéiste a été nommé ministre de l'Agriculture. Durant son mandat, beaucoup d'études ont été publiées, beaucoup de colloques ont été concrétisés… sans pour autant qu'il s'en dégage d'actions vraiment concrètes. C'est sous son mandat qu'on a commencé à parler de la stratégie 2020, poussant ainsi la réflexion aussi loin que possible. Mais vraiment rien de concret. Lors de son mandat, un observatoire de la sécheresse avait par ailleurs été créé. Un observatoire qui est resté sans vie puisque rien de bien sérieux n'a émané de cet établissement. Ismaïl Alaoui Il n'aura duré à la tête du département de l'Agriculture que deux malheureuses années. A peine avait-il pris le temps de comprendre ce qu'est l'agriculture qu'il a dû libérer son poste. Une autre erreur de casting qui a retardé la mise à niveau du secteur. Mohand Laenser Le successeur d'Ismail Alaoui a laissé une très mauvaise impression au sein de son département. Il a dressé un mouvement d'immobilisme sans pareil. Même ses collaborateurs ne sont pas arrivés à comprendre cette attitude pour le moins surprenante. En l'espace de près de trois années, quasiment rien n'a été fait dans le domaine. C'est pour cela que son successeur, Aziz Akhannouch, ne risque pas de faire pire. La moindre de ses décisions, aussi insignifiante soit-elle, fera figure de rupture.