Après une brève «pause», la guerre du fisc reprend. Juste le temps de bien affûter les armes et de mieux ajuster le tir. Dans sa nouvelle formule, l'ATD (Avis à Tiers Détenteur) se voudrait moins exposé au risque de l'arbitraire administratif. Mais est-il possible d'abattre un «éléphant» sorti des rangs, avec un «neuf millimètres» ? La terre tourne. Elle ne s'arrête jamais. C'est aussi le cas de la «machine Etat» depuis son invention. Certains mécanismes semblent rouillés et de plus en plus dépassés, car obsolètes. Mais l'ancien a la peau dure. C'est le cas du Code de recouvrement des créances publiques à forte odeur coloniale. Le déphasage est là. Nous avons en face de ce Code une nouvelle loi organique des finances très ambitieuse en matière de transparence budgétaire et de modernisation du management des finances publiques. Ce nouveau dispositif côtoie un texte de comptabilité publique datant de 1967 et un Code de recouvrement des créances publiques (CRCP) légèrement «retapé», en 2000. Au lieu d'une vraie refonte, l'Etat tâtonne La «pause» en matière de recouvrement forcé des créances publiques, dont l'impôt, est-elle juridiquement possible ? La réponse est claire dans le chapitre X du CRCP, intitulé : «De la responsabilité en matière de recouvrement des créances publiques». Il est très important de lire l'article 124 de ce chapitre : «Aucune autorité publique ou administrative ne peut faire suspendre ou différer le recouvrement des impôts, taxes et autres créances ou entraver le déroulement normal, sous peine d'engager sa responsabilité personnelle pécuniaire dans les conditions fixées au Dahir du 2 avril 1955 sur la responsabilité des comptables publics». Seule la possibilité de paiement par acomptes sous réserve de présentation de garanties est possible, selon le même article. Lire aussi : La DGI redéfinit le cadre d'engagement de l'ATD Mais notre Etat demeure en «transition, presque permanente» entre le «non droit» et le «droit». Ce n'est d'ailleurs guère la première fois que cette disposition légale n'est pas scrupuleusement respectée. Dans le passé récent, des premiers ministres avaient décidé des suspensions de recouvrement fiscal au profit d'établissements privés d'enseignement. Pour la suspension décidée récemment, le 11 mars 2019, par note de service de la DGI, la pause a été très courte. Le 16 avril 2019, après avoir affûté les armes, une note de service a redéfini le cadre pratique pour engager les avis à tiers détenteur (ATD) dans des conditions meilleures. C'est que l'ATD donne des frissons aux chefs d'entreprises. Il peut, dans certains cas, devenir une «arme de destruction massive». Pour réduire ce risque, sans pouvoir toutefois l'éliminer totalement, ladite note a rappelé à ses agents trois mesures préalables et obligatoires consistant dans l'envoi de l'avis d'imposition pour informer le redevable des droits émis à son encontre; l'envoi d'un dernier avis sans frais (DASF) et l'autorisation du chef de l'administration dont relève le receveur. En interne, la procédure administrative doit être totalement traçable pour verrouiller les risques de pratiques non éthiques et pour bien identifier les responsabilités en cas de défaillance. La note évoque ensuite une «Charte de recouvrement des créances publiques par voie d'ATD, adoptée en 2014 et visant à renforcer les garanties accordées aux contribuables». Quelle est la valeur juridique de cette Charte par rapport aux dispositions légales contenues dans le CRCP ? L'article 125 de ce Code prévoit la responsabilité personnelle des comptables chargés du recouvrement. Ces derniers, vont-ils se conformer à la stricte application de la loi, ou bien à un texte sans assise juridique claire ? Que prévoit cette Charte ? Elle prévoit l'écoulement d'un délai minimum de 10 jours à compter de la date d'envoi du DASF; l'obligation d'informer le contribuable concomitamment à la notification de l'ATD, ce qui, pour le receveur, est perçu comme un risque d'organisation d'insolvabilité ; le report de 72 heures pour le versement au receveur concerné des sommes prélevées par la banque détentrice de fonds et ce, en vue d'accorder au contribuable la possibilité de prendre toute mesure jugée nécessaire pour régulariser sa situation ; la notification de l'ATD à une seule banque à la fois, et le passage éventuel à une autre banque uniquement en cas d'absence ou d'insuffisance constatée des fonds dans la première banque ; la restitution des fonds prélevés à tort dans un délai de 48 heures. Cela se comprend parfaitement lorsqu'il s'agit d'un redevable de bonne foi. Or, et surtout lorsqu'il s'agit de «contribuables de mauvaise foi, se considérant au-dessus des lois», ces mesures peuvent «ligoter» le receveur, ou tout au moins réduire son efficacité. Voici donc des mesures permettant d'abord de faire des «tirs de sommation», avant de viser la cible, en essayant d'abord de la blesser, sans l'achever du premier coup. Et pour mieux freiner le recours ultime aux ATD, les receveurs sont appelés à puiser d'abord tous les autres moyens possibles, en informant le contribuable de sa dette fiscale et en recourant notamment aux mesures conservatoires, ce qui permet de sauvegarder les intérêts du Trésor public. Cette voie est d'ailleurs fondée surtout lorsque le contribuable a engagé un contentieux qui n'a pas encore abouti. De même, la pratique administrative du recouvrement forcé doit être ajustée à la taille du redevable et à l'importance de la créance due. On ne peut tirer avec un tank sur une mouche ou envoyer une petite flèche au dos d'un hippopotame, bien immergé dans l'eau trouble. Il faut donc prioriser les créances à fort enjeu financier dans le respect absolu de la loi, tout en spécifiant les catégories de redevables. Ainsi, pour les particuliers, les ATD doivent être adressés d'abord aux employeurs. Pour les professionnels, la priorité doit viser les clients, tout en évitant les «notifications de masse». Par ailleurs, le recouvrement forcé doit être précédé, dans chaque cas, par un examen minutieux du dossier du redevable pour éviter toute erreur et tenir compte des procédures déjà en cours. Et pour garantir la transparence dans la gestion des ATD, ladite note insiste fermement sur le recours au système intégré de taxation (SIT) dans l'exécution des ATD, en vue de garantir la traçabilité de toutes les opérations y afférentes. C'est que cette zone de gestion est tellement «grise» et présente de nombreux risques de pratiques non éthiques. Les connaisseurs peuvent le confirmer parfaitement.