L'envoyé personnel du secrétaire général (EPSG), Staffan de Mistura, n'a pas annoncé sa démission. Il y a six mois, il s'était donné jusqu'en avril 2025 pour tenter de faire progresser le dossier du "Sahara occidental" — faute de quoi il entendait, à défaut de pouvoir faire état devant le Conseil de sécurité de «progrès significatifs» ou d'«éclaircissements», recommander une réévaluation du rôle de facilitation de l'ONU. Nombreux étaient ceux qui prédisaient son départ. Il a finalement choisi de rester en poste. Ce seul fait constitue un signal politique fort. Cela signifie que l'EPSG estime que des avancées notables ont été réalisées depuis septembre 2024, qu'un espace de négociation s'est ouvert — ou pourrait s'ouvrir — pour relancer le processus politique concernant le Sahara marocain, et que la «dynamique» évoquée par le Conseil de sécurité dans sa résolution S/2024/2756 (31 octobre 2024) est jugée propice à la reprise des discussions. Ce n'est pas là le seul élément marquant de l'exposé présenté par De Mistura le 14 avril devant le Conseil de sécurité. Outre ce qu'il a déclaré, il faut également noter ce qu'il n'a pas dit, et qui n'est pas moins significatif : l'EPSG n'a évoqué ni référendum, ni partition, ni aucune autre option obsolète. C'est ainsi que nous l'avions interprété dès octobre 2024, lorsque nous écrivions : «En définitive, De Mistura n'est pas vraiment sorti des rails, comme certains médias l'ont trop rapidement conclu à la lecture d'une dépêche d'agence.» En présentant deux options — la partition ou l'autonomie — tout en sachant pertinemment que la première est catégoriquement rejetée par le Maroc, De Mistura savait ce qu'il faisait. En bon Italien, il n'ignore pas que «tous les chemins mènent à Rome.» Momentum diplomatique L'exposé de l'EPSG trace une ligne de crête entre lucidité face aux blocages persistants et espoir dans une possible fenêtre diplomatique. Il a évoqué explicitement une «opportunité» liée à la réactivation de l'intérêt de deux membres permanents du Conseil de sécurité, les Etats-Unis et la France, qui ont récemment multiplié les gestes diplomatiques. Il a souligné le rôle plus affirmé que souhaite désormais jouer l'administration américaine, confirmé par Lisa Kenna, sous-secrétaire d'Etat par intérim aux Affaires politiques, et la disponibilité de Washington à soutenir une base politique exploitable par l'ONU. La réunion du Conseil de sécurité prévue en octobre 2025 s'annonce comme un tournant potentiel — voire historique. Si Washington décide de s'impliquer pleinement, cela pourrait impulser une dynamique nouvelle, surtout si une feuille de route est établie à court terme. Le calendrier diplomatique jusqu'à l'automne pourrait ainsi être rythmé par une intense activité bilatérale et multilatérale sous l'égide de l'EPSG, dans le but de définir un cadre de négociation. Une réunion informelle élargie ou une rencontre préliminaire pourrait même être envisagée, afin de tester la faisabilité d'un retour à la table ronde. Plusieurs facteurs rendent plausible cette reconfiguration diplomatique : L'engagement accru des Etats-Unis dans le processus facilité par l'ONU ; Les tensions croissantes dans les camps près de Tindouf, marquées par des mouvements de contestation dirigés contre les dirigeants du polisario ; La réduction des rations alimentaires et le spectre d'une crise humanitaire majeure ; L'impatience d'une jeunesse désabusée ; L'incapacité aussi bien de l'Algérie que du polisario à reprendre l'initiative diplomatique ; L'incapacité du polisario à imposer une solution militaire ; La lassitude de la communauté internationale face à un conflit vieux de 50 ans, toujours sans issue claire. Idéalement, un ensemble de principes pourrait être négocié (même indirectement) et intégrerait la reconnaissance de l'initiative marocaine comme base de discussion. Le Conseil pourrait alors adopter une résolution marquant un tournant, coïncidant avec le 50e anniversaire de la Marche verte. À défaut, un accord-cadre ou un socle de principes partagés pourrait servir de base à la relance du processus politique. Un scénario intermédiaire verrait le Conseil reconnaître le plan d'autonomie comme seul cadre viable de négociation, tout en appelant à la poursuite des pourparlers et en élargissant le mandat de l'EPSG. Le scénario pessimiste — un simple renouvellement technique du mandat de la Minurso — semble peu probable. Mais les obstacles restent réels. Obstacles persistants L'Algérie constitue un double blocage : elle est à la fois acteur clé du différend, tout en refusant de l'admettre, se présentant comme un simple «observateur». En réalité, elle reste le soutien le plus actif du polisario, et continue à revendiquer l'option référendaire — écartée dans les faits depuis près de deux décennies. Comme mentionné précédemment, l'EPSG n'a pas évoqué le référendum, parlant à la place d'une «forme crédible d'autodétermination». Ce langage reprend celui du secrétaire général des Nations unies qui, en 2004, dans son rapport S/2004/325, avait appelé à trouver la formule qui permette de déboucher «sur quelque chose qui puisse être considéré comme l'exercice du droit à l'autodétermination». Alger pourrait néanmoins refuser toute réunion inclusive ou toute participation, même indirecte, à une dynamique soutenue par le Conseil. Le polisario, pour sa part, reste fermement opposé à l'initiative marocaine d'autonomie. Il pourrait, lui aussi, refuser toute implication, bloquant ainsi le processus. Le défi pour l'EPSG sera de créer une «zone grise diplomatique», où chaque acteur pourrait s'impliquer sans renier ses positions — un exercice délicat, mais pas impossible, s'il bénéficie du soutien coordonné des membres permanents du Conseil, et surtout, de la persuasion douce exercée par les Etats-Unis. Un levier de pression décisif Washington dispose d'un levier d'une puissance redoutable : la désignation du polisario comme Organisation terroriste étrangère (Foreign Terrorist Organization). Cette éventualité s'est matérialisée avec l'annonce du congressman Joe Wilson, qui prévoit de déposer un projet de loi en ce sens. Une telle désignation constituerait un moyen de coercition directe, affectant lourdement le polisario et, indirectement, l'Algérie. Mais au Conseil, un autre facteur entre en jeu : la position de la Russie, traditionnellement proche d'Alger, qui adopte une posture prudente, parfois critique face aux initiatives perçues comme unilatérales ou pro-occidentales. Moscou n'a jamais soutenu explicitement le plan d'autonomie marocain et pourrait s'opposer à toute résolution considérée comme défavorable à ses alliés. Le meilleur scénario serait une abstention russe, comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises. Un veto, en revanche, bloquerait toute résolution politique structurante. De Mistura, dans ce cas, pourrait être contraint à la démission, et le processus retomberait dans une logique de gestion du statu quo : soutien minimal à la Minurso (si elle est maintenue), appels à la retenue, mais sans dynamique politique. Ce serait un échec grave pour les Nations unies — et un coût diplomatique que la Russie, dans le contexte actuel, pourrait difficilement assumer.