À cinq dirhams le kilo, ses sardines s'écoulaient en quelques heures, bien loin des tarifs pratiqués sur les marchés de la ville ocre où les prix, soumis aux aléas d'un maillage opaque de revendeurs, atteignent souvent le triple. Son engagement n'a pas tardé à irriter ceux qui, dans l'ombre des criées et des étals, façonnent les règles du commerce halieutique. Mardi, Abdelilah avait vu son commerce mis sous scellés, officiellement pour non-conformité administrative. Mercredi, à l'issue d'une rencontre avec les autorités, l'administration a annoncé la réouverture immédiate de son établissement. L'affaire a relancé le débat sur la régulation du marché des produits de la mer au Maroc. Malgré l'existence de cadres législatifs encadrant la liberté des prix et la concurrence, la chaîne d'approvisionnement reste dominée par des réseaux d'intermédiaires dont l'influence sur la formation des prix est régulièrement dénoncée. Farid Chourak, wali de la région Marrakech-Safi a ordonné, mercredi 26 février, la réouverture du commerce d'un jeune poissonnier dont l'échoppe avait été arbitrairement fermée après qu'il a dénoncé les pratiques spéculatives structurant la distribution des produits halieutiques. Cette décision, s'inscrit dans un débat ouvert sur les réseaux de contrôle des marchés et sur la cherté de la vie au Maroc. Le secteur de la distribution du poisson, à l'instar d'autres filières agroalimentaires, est marqué par une concentration du pouvoir entre les mains d'intermédiaires exerçant un monopole sur l'acheminement des marchandises. Ces acteurs, souvent affiliés à des groupes informels bénéficiant de relais au sein de l'administration et des circuits de gros, imposent aux pêcheurs des conditions d'achat inéquitables avant de revendre les cargaisons à des prix délibérément abusifs. Cette mécanique, reposant sur la restriction artificielle de l'offre et l'imposition de marges exorbitantes, conduit à une distorsion manifeste du marché où la spéculation prévaut sur les principes d'un commerce équitable. Le poissonnier, en décidant de contourner ce réseau en s'approvisionnant directement auprès des pêcheurs et en proposant des tarifs inférieurs aux barèmes dictés par ces monopoles, s'est ainsi exposé à des représailles immédiates. Son cas illustre une pratique courante : l'élimination progressive des commerçants refusant de se plier aux règles imposées par ces oligopoles informels. Par des manœuvres administratives, telles que des contrôles inopinés assortis de sanctions arbitraires, des blocages logistiques sur les points d'approvisionnement ou encore des interdictions d'exercer, ces réseaux maintiennent un système où seuls ceux qui en acceptent les conditions peuvent continuer à opérer. L'intervention de M. Chourak ne saurait occulter l'ampleur du problème; une structuration économique où la rente spéculative prime sur la libre concurrence au détriment tant des commerçants que des consommateurs. L'accaparement des flux d'approvisionnement ne repose pas uniquement sur des mécanismes de coercition directe mais sur une ingénierie économique où la pénurie devient un levier d'augmentation des profits. En maintenant une rareté artificielle par des stocks de rétention ou des circuits de distribution opaques, les intermédiaires contraignent le marché à des prix excessifs qui ne résultent ni d'une logique de coûts ni d'une évolution naturelle de l'offre et de la demande. L'enjeu dépasse ainsi la seule réhabilitation d'un commerçant. Il touche, Barlamane.com l'a affirmé, à la capacité de l'Etat à réguler des secteurs où des réseaux privés, agissant dans les marges du droit, orientent les fluctuations tarifaires bien plus efficacement que les mécanismes de marché. Dans un contexte où l'érosion du pouvoir d'achat nourrit un mécontentement grandissant, toute intervention dans ces circuits spéculatifs devient un test de la volonté politique d'affirmer sa souveraineté économique face aux intérêts privés.