Coup sur coup, deux pays d'Amérique Latine ont coupé avec le polisario et sa «rasd.» Le 22 octobre, l'Equateur a annoncé sa décision de suspendre sa reconnaissance de la «république.» Un mois plus tard, le 21 novembre, le Panama a décidé de suspendre ses relations diplomatiques avec cette entité. L'Equateur, qui a reconnu la «rasd» en 1983, avait retiré une première fois sa reconnaissance en 2004, mais celle-ci a été rétablie en 2006. Une «ambassade» du polisario, qui vent d'être fermée, existait à Quito depuis 2009. Le Panama a été le premier pays latino-américain à reconnaître la «rasd», en 1978 et à accueillir, en 1980, la première représentation du polisario en Amérique Latine. Cette officine fut, pendant longtemps, une plateforme et une base d'opérations des activités du polisario dans la région, sous la houlette d'Ahmed Boukhari, premier représentant de la «rasd» au Panama (1980-1984). Boukhari appliquera la même stratégie au Venezuela où il exerça de 1985 à 1988. Rien n'expliquait clairement l'attitude du Panama et son intransigeance à l'égard de l'intégrité territoriale du Maroc. Aucune raison diplomatique, économique ou idéologique ne paraissait motiver ce petit pays d'Amérique centrale, longtemps inféodé aux Etats-Unis, qui avaient établi dans la capitale panaméenne en 1946 «l'Ecole des Amériques», un centre d'enseignement militaire célèbre pour avoir formé et entrainé plusieurs officiers latino-américains qui sont par la suite devenus des dictateurs dans leur pays. Jusqu'à 2017, le Panama entretenait des relations diplomatiques avec Taïwan et ne reconnaissait pas la République populaire de Chine. Il a fallu attendre 2013 pour que le président Ricardo Martinelli (2009-2014) suspende les relations diplomatiques avec la «rasd», «jusqu'à ce que les Nations unies trouvent une solution à ce conflit vieux de près de 40 ans», selon le communiqué panaméen. Le même texte précisait que «pour qu'une population aspire à constituer un Etat souverain, il est nécessaire qu'elle réunisse des éléments fondamentaux pour son existence comme un territoire, une population, un gouvernement et l'indépendance», éléments qui, de toute évidence, manquent à la «rasd.» Le gouvernement panaméen estimait que «la proposition d'un statut d'autonomie du Sahara occidental, présentée par le Royaume du Maroc au Conseil de sécurité de l'ONU, mérite d'être abordée avec ouverture, pragmatisme et réalisme à la table des négociations, pour sortir ce différend de son état actuel.» Le président suivant, Juan Carlos Varela (2014-2019), est passé outre ces considérations et, à peine deux années plus tard, a rétabli les liens avec le polisario. La récente décision de gel des relations diplomatiques avec la «rasd» intervient sous le mandat du président José Raúl Mulino, qui était ministre dans le gouvernement de Ricardo Martinelli. Depuis sa proclamation en territoire algérien en 1976, la «rasd» a pu, à son apogée, comptabiliser nombre de reconnaissances diplomatiques, qu'on estime généralement à 84. Cependant, au fil des ans, ces reconnaissances se sont réduites comme une peau de chagrin. Bien qu'il soit malaisé de donner des chiffres précis, en raison du cafouillage et du flou qui a entouré cette question dans plusieurs pays, on peut avancer avec une marge d'erreur minime, que la «rasd» a perdu plus de la moitié des reconnaissances dont elle a pu bénéficier. Aujourd'hui, 44 pays ont retiré, gelé ou suspendu leur reconnaissance de la « république ». Les 40 restants, dont la majorité ne sont pas des partisans inconditionnels du polisario, loin s'en faut, sont situés en Afrique (23), aux Amériques (10) et en Asie (7). Les dix pays d'Amérique se répartissent comme suit : Le Mexique en Amérique du nord, Belize, le Honduras et le Nicaragua en Amérique centrale, la Bolivie, la Colombie, l'Uruguay et le Venezuela en Amérique du sud, auxquels s'ajoutent deux îles caribéennes, Cuba et Trinidad et Tobago. Autrefois, ils étaient 28 : C'est dire le chemin qui a été parcouru. Mais c'est une œuvre de longue haleine où rien n'est définitivement acquis. Dans plusieurs pays, où il n'existe pas de politique d'Etat et où les positions internationales changent d'un président à l'autre, la complexité des systèmes de gouvernement et les rapports de force internes ainsi que l'importance des enjeux en présence se conjuguent parfois pour donner naissance à des imbroglios et à des situations fluctuantes. Les dirigeants de ces pays semblent orienter leur politique étrangère en fonction des opportunités immédiates, donnant l'impression d'une navigation au gré des vents plutôt que d'une stratégie pérenne. Le Pérou en est l'illustration caricaturale à propos de la question du Sahara : Ce pays a établi des relations diplomatiques avec la «rasd» en 1984, puis il les a suspendues en 1996 pour les rétablir en 2021, avant de les rompre de nouveau en août 2022 puis de les rerétablir le mois suivant et enfin de les rompre une nouvelle fois en septembre 2023. Quoi qu'il en soit, chaque rupture avec la «rasd» est une voix de moins dans les organisations internationales et l'érosion conséquente des capacités diplomatiques du polisario. Au moment où l'Algérie accumule les déconvenues, la rupture avec deux pays, l'Equateur et le Panama fait perdre au polisario deux positions stratégiques importantes et le pousse inexorablement le dos au mur.