Le premier a fixé la date de l'élection présidentielle au 6 octobre, et le deuxième au 7 septembre, sans débat et sans concertation. Ne voilà-t-il pas «l'authenticité» et «la sincérité» du suffrage universel assez compromises ? Pour ne laisser rien au hasard, Kaïs Saïed et Abdelmadjid Tebboune ont fait appel à la machine judiciaire écrasante pour réduire au silence toute voix qui pourrait créer la surprise. Sur la foi du concierge attestée par le sondeur blasé, les deux seront réélus. Une élection en Algérie et en Tunisie est une comédie en trois actes, avec un prologue et un épilogue. Prologue : la préparation des listes. Acte I : Avant la période électorale ; mise en place de la scène, introduction des personnages (et des figurants), exposition de la pièce. Acte II : Pendant la période électorale ; lyre et encensoir, mensonges, provocations, faux débats, monologues, dialogues factices et allocutions antimarocaines, surtout en Algérie. Acte III : le Scrutin ; c'est le dénouement : sans suspense — Epilogue : il n'y a pas de ballottage, l'expectative n'est pas au rendez-vous. En Tunisie, depuis avril déjà, Kaïs Saïed a décidé de persécuter ses probables futurs adversaires : Lotfi Mraïhi, président de l'Union populaire républicaine (UPR, opposition), avait été arrêté après un mandat d'arrêt émis à fond de train. Lourdes accusations formulées : blanchiment d'argent, transfert illégal d'avoirs à l'étranger sans autorisation officielle et faux parrainages. Autre cible, Abdellatif Mekki, secrétaire général du parti Travail et réalisation, avait également annoncé son intention de se porter candidat à la présidentielle le 26 juillet lors d'une conférence de presse. Cinq jours plus tard, l'ancien ministre a été convoqué par la brigade économique dans le cadre d'une déconcertante et sombre affaire liée à la mort d'un entrepreneur notoire. L'ancien député Safi Saïd, candidat à la présidentielle en 2014 puis en 2019, et condamné à quatre mois d'emprisonnement par contumace en mai– a été brièvement interpellé en début de semaine avant d'être libéré, à la suite de pressions internationales. D'autres noms, brimés par l'appareil politique, ont été cités par la presse : Mondher Zenaidi, candidat malchanceux à la présidentielle de 2014 et Abir Moussi, chef du Parti destourien libre (PDL), une des prééminentes formations de l'opposition tunisienne. La répression est tellement implacable que la première force politique tunisienne, le parti Ennahda, a décidé de ne pas présenter de candidat à l'élection présidentielle. Le Front de salut national (FSN) n'avait d'autre option que de le talonner. En Algérie, «le candidat indépendant» Abdelmadjid Tebboune violente l'opposition La commission électorale algérienne, l'Autorité nationale «indépendante» des élections (ANIE), sous la férule du régime gérontocratique ? L'organisme n'a retenu que trois postulants : le président sortant Abdelmadjid Tebboune, Abdelali Hassani Cherif, candidat du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste) et Youcef Aouchiche, issu des Front des forces socialistes (FFS). Treize candidats ont été recalés sans autre forme de procès. Parmi eux, deux femmes : Saïda Neghza, à la tête de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA) et Zoubida Assoul, chef de l'Union pour le changement et le progrès (UCP). Pour rétrécir leur ascendant politique, la justice asservie aux injonctions du régime a placé trois prétendants à l'élection présidentielle sous contrôle judiciaire, le 4 août, pour «corruption politique», les accusant de s'être procurés des parrainages d'élus de manière illégale. La mesure concerne Saïda Neghza, présidente de la CGEA, Belkacem Sahli, secrétaire général de l'Alliance nationale républicaine (ANR), et Abdelhakim Hamadi, directeur d'un laboratoire de produits vétérinaires. Leurs dossiers avaient, auparavant, été rejetés par la Cour constitutionnelle. Tous ont été entendus pendant plusieurs heures par le juge du pôle pénal économique et financier. Selon un communiqué du parquet, une information judiciaire avait été ouverte à l'encontre des trois responsables politiques «pour octroi d'un indu privilège, trafic d'influence, offre ou promesse de dons en numéraire en vue d'obtenir ou de tenter d'obtenir des voix d'électeurs, abus de fonction, obtention de dons en numéraire ou de promesses de voix électorales et escroquerie.» La morale des deux scrutins, qui s'est du reste renouvelé, c'est que certaines personnalités figurent sur les listes électorales, qui n'y devraient pas être, tandis que d'autres, qui ont le droit absolu d'y être, ne s'y trouvent pas, à force de domestiquer et d'aseptiser la scène politique et civile dans les deux pays.