Au moment où la réforme de la Justice suscite un débat passionnant, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis un avis détaillé sur le projet de loi n°03.23 modifiant et complétant la loi n°22.01 relative à la procédure pénale. Depuis la publication de son projet de loi, la réforme de la procédure pénale cristallise les débats, aussi bien dans l'hémicycle que parmi les professionnels du droit. Le projet, porté ardemment par le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, divise dans la mesure où d'aucuns le jugent trop libéral, tandis que d'autres estiment qu'il manque de garanties en matière de procès équitable. Dans ce contexte le CESE a publié un avis dans lequel il souligne le rôle fondamental de ce texte dans l'architecture juridique nationale, en tant qu'instrument garantissant un équilibre entre la protection de la société contre la criminalité et la préservation des droits et libertés des individus.
La procédure pénale n'est pas un simple ensemble de règles techniques, mais constitue la pierre angulaire du procès équitable. En cela, le CESE insiste sur la nécessité de disposer d'un texte lisible, accessible, précis dans sa formulation, et limitant les marges d'interprétation. Cette clarté permettrait une meilleure application sur le terrain, et contribuerait à renforcer la sécurité juridique tant pour les victimes que pour les personnes poursuivies.
Cependant, le Conseil, très fraichement présidé par Abdelkader Amara, rappelle que cette réforme ne saurait atteindre ses objectifs sans l'inscrire dans une politique pénale intégrée, elle-même partie prenante d'une refonte plus large de l'ensemble du système judiciaire. Cette vision devrait s'articuler autour de plusieurs axes, notamment l'indépendance de la justice, la modernisation du cadre légal, le renforcement des ressources humaines et matérielles, et la promotion de l'éthique judiciaire. C'est là l'esprit du discours royal du 20 août 2009, qui appelle à un chantier stratégique de réforme de la justice.
Des avancées à saluer, mais du travail reste à faire
Le CESE reconnaît plusieurs avancées notables dans le projet de loi, citant le renforcement des garanties du procès équitable et des droits de la défense, ou encore la simplification des procédures et la rationalisation des mesures privatives de liberté (notamment la garde à vue et la détention préventive). Il s'agit également de l'amélioration du contrôle judiciaire sur la police judiciaire, le développement de la coopération judiciaire internationale et l'introduction d'une dimension humaine et sociale dans l'exécution des peines. Mais face à l'ampleur et à la complexité des modifications proposées par les différentes parties prenantes de ce projet, qui touchent environ 421 articles, le CESE recommande l'élaboration d'un nouveau Code de procédure pénale. Cette refonte globale permettrait d'assurer la cohérence du texte avec les avancées de la Constitution et de garantir une meilleure lisibilité et applicabilité des règles, tout en consolidant les principes fondamentaux de la justice. Le Conseil appelle aussi à définir une politique pénale transparente, articulée autour de principes clairs et intégrant les différents acteurs concernés, tout en s'appuyant sur des études empiriques et des consultations citoyennes, y compris via des plateformes numériques. La réforme doit, par ailleurs, tendre vers une « humanisation » de la justice pénale, à travers des infrastructures adéquates, la réduction du recours aux mesures privatives de liberté, la promotion d'alternatives à l'incarcération, et la protection des droits des accusés, des victimes et des témoins.
Numérisation, gouvernance et encore...
L'avis insiste sur le fait que la dignité humaine doit être préservée à toutes les étapes du parcours judiciaire, qu'il s'agisse des accusés, des victimes ou des témoins. Cela passe par des infrastructures adaptées, un accompagnement logistique adéquat (transport, salles d'audience, bureaux), et une meilleure garantie des droits fondamentaux comme la présomption d'innocence et les droits de la défense. Le CESE insiste en outre sur la nécessité de restreindre le recours à la garde à vue et à la détention préventive. Ces mesures doivent être utilisées uniquement dans les cas clairement définis par la loi, avec la possibilité pour les personnes concernées de les contester dans des délais raisonnables. Le recours aux alternatives à la détention est également encouragé afin de réduire la population carcérale préventive à 33 % du total des détenus, tout en diminuant les coûts sociaux et économiques associés.
Et pour garantir une instruction de qualité conforme aux normes internationales de justice équitable, le Conseil recommande de renforcer matériellement et humainement l'institution du juge d'instruction. Cela passe par un investissement dans les ressources humaines, mais aussi par des études sur son fonctionnement afin de rationaliser les procédures et améliorer la performance du système judiciaire.
Entant donnée l'ampleur de cette réforme et de l'évolution du secteur, la digitalisation de la justice doit être accélérée à tous les niveaux. Des échanges de documents, à l'enregistrement des audiences, en passant par l'assistance judiciaire via le registre social unifié, ou encore l'utilisation encadrée de l'intelligence artificielle dans la prise de décision juridique. Le CESE insiste sur le fait que la réforme du Code de procédure pénale ne doit pas être vue comme une fin en soi, mais comme un levier au service d'une justice plus équitable, plus proche du citoyen, et plus adaptée aux mutations sociales, économiques et environnementales. Il s'agit de réconcilier les citoyens avec leur justice, en bâtissant une institution à la fois crédible, performante et profondément respectueuse des droits humains. Protéger les citoyens à tout prix Le CESE recommande de renforcer le rôle du ministère public dans la poursuite des crimes environnementaux et économiques, tout en protégeant les lanceurs d'alerte et les citoyens qui signalent les atteintes au bien public. Le rapport insiste aussi sur la clarification des cas de nullité de procédure. Il est essentiel de préciser les cas dans lesquels une procédure pénale peut être annulée. Le CESE plaide pour que toute violation des droits fondamentaux ou des formes essentielles prévues par la loi entraîne systématiquement la nullité de l'acte et la protection effective des personnes concernées. Justice inclusive
La mobilisation d'acteurs extérieurs comme les ONG, les avocats, les médiateurs ou encore les experts en accompagnement social est encouragée. Leur implication peu, selon le CESE, grandement contribuer à l'amélioration de l'accès à la justice, à la réinsertion des détenus et à la sensibilisation juridique des citoyens.
Violences basées sur le genre
Le Conseil recommande des mécanismes spécifiques pour les violences liées au genre (viol, harcèlement, violences conjugales...). Parmi ces mesures : le droit pour la victime d'être accompagnée lors du dépôt de plainte, le choix du sexe de l'enquêteur, la protection immédiate contre l'agresseur, et la confidentialité totale de son identité dans les médias.
Formation des professionnels aux violences faites aux femmes
Les acteurs de la justice doivent être formés aux spécificités des violences basées sur le genre, selon le CESE. Cette formation concerne notamment les policiers, les procureurs et les juges d'instruction, pour qu'ils puissent mieux comprendre la complexité de ces situations et adapter leur action en conséquence.