À quelques jours d'intervalle, le Maroc et son Sahara ont été au centre de l'actualité parlementaire au Royaume-Uni. En effet, le 24 mai 2024, un groupe de 30 membres du parlement britannique a adressé une lettre au ministre des Affaires étrangères, David Cameron, lui faisant part de sa conviction que «le Royaume-Uni doit apporter un soutien proactif au plan d'autonomie du Maroc». Un tel soutien, affirment les parlementaires, «peut contribuer, en fin de compte, à la paix dans cette région vitale». Ils estiment que «l'Initiative d'autonomie proposée par le Maroc pour le Sahara occidental, ... offre une voie viable vers une paix et une stabilité durables. ... Le rassemblement autour de ce plan, qui constitue en fin de compte la seule solution réaliste, souligne un engagement mondial à résoudre le problème». Ils espèrent que le gouvernement britannique, à l'occasion de la prochaine réunion du dialogue stratégique entre les deux pays, pourra «redéfinir son rôle et son influence dans la région», car, écrivent-ils, le Maroc mérite le «soutien sans équivoque et total» du Royaume-Uni. Deux semaines auparavant, le 8 mai 2024, un débat a eu lieu à la Chambre basse britannique à l'initiative du député conservateur Daniel Kawczynski. Ce dernier a d'emblée déclaré que son objectif était de convaincre le gouvernement britannique «pour qu'il reconnaisse enfin la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en tant que partie du Royaume du Maroc» ou, «à tout le moins, de suivre l'exemple de l'Espagne, l'ancienne puissance coloniale, ainsi que de l'Allemagne et de la France, en reconnaissant que la proposition d'autonomie est la seule voie à suivre.» «Le Maroc, a-t-il indiqué, est notre deuxième allié le plus ancien, un partenaire fiable», ajoutant que d'autres pays, comme les Etats-Unis d'Amérique et Israël, «deux de nos alliés les plus importants», ont reconnu le Sahara occidental comme étant marocain, tandis que d'autres alliés, dont l'Espagne, la France, les Pays-Bas et l'Allemagne reconnaissent que la proposition d'autonomie qui a été présentée par le gouvernement marocain pour le Sahara occidental «constitue la meilleure option pour aller de l'avant ». «Et pourtant, regrette le député, au Royaume-Uni, nous restons sur la touche». Au cours du débat, Kawczynski a plaidé en faveur d'une reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara «sous peine de courir le risque d'une erreur de calcul majeure dans notre approche stratégique géopolitique, non seulement à l'égard du Maroc mais de l'ensemble de l'Afrique du Nord». Il estime en effet que son pays «est en train de mettre en péril [son] potentiel avec Rabat et de prendre du retard sur nos concurrents – les Etats-Unis d'Amérique, l'Allemagne, l'Espagne et d'autres». Le député conservateur a, successivement, exposé des arguments solides à l'appui de sa démarche : «Le Maroc est sans doute le meilleur pays arabe avec lequel s'engager. Il possède la société la plus progressiste et, surtout, qui partage nos valeurs. C'est un partenaire stratégique fiable, qui poursuit tous les attributs d'une démocratie moderne. Nous pouvons et devons établir des liens commerciaux, politiques et sécuritaires solides avec cette nation». Kawczynski a évoqué les droits des femmes au Maroc, notant que les femmes marocaines «jouissent de beaucoup plus de pouvoir ... que dans de nombreux autres pays arabes.» Au sujet des droits religieux il a souligné «la manière dont la famille royale du Royaume du Maroc protège toutes les minorités religieuses», notamment la population juive marocaine. À propos de l'état de droit au Maroc, le député a noté qu'il existe, au Maroc, «une plus grande protection des citoyens en vertu de la Constitution, un véritable Parlement, un véritable système de freins et contrepoids et un véritable pouvoir de l'opposition». Il s'agit, a-t-il affirmé, «d'une véritable démocratie florissante où l'Etat de droit est protégé et où les gens peuvent débattre et se défier de la manière la plus vigoureuse possible sans crainte de représailles». Daniel Kawczynski a dit avoir constaté « les efforts massifs déployés [par le Maroc] pour endiguer le flux de migration clandestine vers l'Europe ». Compte tenu des problèmes auxquels le Royaume-Uni est confronté en raison de l'immigration clandestine qui opère dans la Manche, le député a estimé qu'il fallait « rendre hommage au soutien et à la vision extraordinaires dont le Maroc fait preuve pour surveiller ses propres frontières et veiller à ce que l'immigration clandestine ne finisse pas par se terminer en Europe et finalement à travers l'Europe jusqu'au Royaume-Uni ». Kawczynski a rendu hommage au roi Mohammed VI qui, a-t-il précisé « accomplit un travail important en Afrique subsaharienne, en aidant les pays frontaliers du Maroc à tenter de résoudre les tensions ethniques et religieuses qui ont tant ravagé l'Afrique subsaharienne et provoqué tant d'instabilité dans la région ». Il faudrait, a plaidé le député, soutenir le Maroc, qui offre des opportunités aux migrants clandestins en les aidant à s'installer dans le pays et à se former. Le député Kawczynski a également signalé les « énormes opportunités commerciales » qui existent au Maroc, en relevant que « 700 000 à 1 million de touristes britanniques visitent le Maroc chaque année » et que la société Xlinksprojette d'exporter de l'énergie verte marocaine vers la Grande-Bretagne via un câble sous-marin. Kawczynski a fait état des discussions, qu'il a qualifiées de «très peu satisfaisante», qu'il a eues avec l'ambassadeur britannique au Maroc. Ce dernier est d'avis que Londres nepeut pas reconnaître le Sahara occidental comme marocain «car, d'une manière ou d'une autre, cela empièterait sur [les relations du Royaume-Uni avec ses] territoires d'outre-mer, en particulier les îles Falkland». Pressé d'expliquer pourquoi et comment, le diplomate n'aurait pas donné de «réponse satisfaisante». Raison pour laquelle le député a demandé des éclaircissements au Ministre des Affaires étrangères sur ce point, tout en faisant remarquer que la France a aussi des territoires d'outre-mer. Daniel Kawczynski a invoqué l'opinion du professeur Marc Weller, président de la chaire de droit international et d'études constitutionnelles internationales à l'Université de Cambridge, qui a soumis un rapport au ministère des Affaires étrangères dans lequel il a évalué les raisons pour lesquelles le Royaume-Uni pourrait avoir des difficultés à reconnaître la marocanité du Sahara occidental.Le professeur Weller, a rapporté Kawczynski, « est arrivé à la conclusion que la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, et même la reconnaissance de la proposition d'autonomie, renforceraient en réalité nos relations avec nos territoires d'outre-mer et avec les îles Falkland ». Marc Weller contredit, par conséquent, l'ambassadeur britannique au Maroc. Dans sa réponse, le sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, David Rutley, s'est borné à rappeler la position traditionnelle du Royaume-Uni sur la question du Sahara, telle que ce pays l'exprime au Conseil de sécurité de l'ONU, et qui consiste en son «engagement à aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable, fondée sur un compromis, qui assurera l'autodétermination du peuple du Sahara occidental ». La position du Royaume-Uni, selon Rutley, «est équilibrée entre plusieurs intérêts nationaux et politiques fondamentaux et repose sur notre jugement politique sur la meilleure façon de protéger ces intérêts. Il est essentiel que nous soutenions le principe de l'autodétermination ; nous sommes fermement attachés à ce principe et au droit des peuples de décider de leur propre avenir, tel que consacré dans les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies sur le Sahara occidental». Au sujet du plan marocain d'autonomie, le responsable britannique a souligné que «le Royaume-Uni accueillerait évidemment chaleureusement toute solution susceptible d'obtenir le soutien de toutes les parties pour résoudre ce différend». Auparavant, Rutley a déclaré que « le Maroc est un pays ami, stable et important dans la région, qui connaît des réformes économiques et socio-économiques positives, guidées par le roi Mohammed VI ». Il a rappelé l'ancienneté du partenariat entre le Royaume-Uni et le Maroc, qui, a-t-il dit, partagent les mêmes idées sur plusieurs questions de politique étrangère, soulignant que «la relation est structurée autour de quatre piliers : diplomatique, sécuritaire, économique, éducatif et culturel.» Parmi les députés qui ont pris la parole, Jeremy Corbyn, indépendant, s'est opposé à Daniel Kawczynski, tandis que Rehman Chishti, conservateur, a longuement défendu les thèses de son collègue en faveur de la reconnaissance du Sahara marocain. En conclusion, Daniel Kawczynski a exprimé sa préoccupation de voir de nombreuses entreprises britanniques qui souhaitent investir au Sahara Occidental dissuadées de le faire, faute des facilités de crédit que UK Export Finance n'est pas en mesure de leur accorder. Le gouvernement britannique consentira-t-il à suivre la voie qui lui est recommandée par les parlementaires ? A ce stade et au vu de la réponse de David Rutley, qui coïncide parfaitement avec les déclarations de l'ambassadeur britannique au Maroc, cette perspective semble éloignée à court terme. Aux Etats-Unis, où le pouvoir législatif a entrepris en son temps des démarches similaires, la première lettre a été envoyée en 2007 par 173 membres du Congrès au président G.W. Bush, affirmant le soutien du Congrès au plan marocain d'autonomie. D'autres lettres ont suivi, jusqu'à la décision du président Donald Trump, 13 ans plus tard, de reconnaitre officiellement la souveraineté du Maroc sur le Sahara.