Comment le Sahel est devenu l'épicentre du terrorisme mondial, comment éradiquer ce danger transnational de déstabilisation aux ramifications criminelles multiples et éviter qu'il n'envahisse les pays alentours en Afrique et ailleurs dans le monde ? La deuxième question est aujourd'hui celle qui intéresse tous les pays concernés de près ou de loin. Entre la lecture du rapport sur l'indice mondial du terrorisme 2023 (Global Terrorism Index 2023) qui met l'accent notamment sur les dernières données relatives au Sahel et le visionnage de la conférence sur la question initiée par l'Observatoire géostratégique de Genève, la différence réside dans les indications sur les enjeux pour certains pays intervenant dans la région et en Afrique de l'Ouest glissées par les intervenants au milieu des causes et effets des actes terroristes spécialement dans la zone des trois frontières. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur les origines du fléau, dont particulièrement le traçage de frontières artificielles et imposées par l'ancien colon (la France) sans respect des facteurs de souveraineté territoriale ni des facteurs humains, sociaux, géographiques et historiques. La qualité des intervenants choisis par l'Observatoire interpelle également : Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la DGSE, Paul Kananura, politologue et président de l'institut Afrika et Rémi Baudoui, professeur de Sciences Politiques et relations internationales à l'Université de Genève. Alain Juillet, ex-fonction oblige, s'est écarté de temps à autre de l'approche académique objective, ce qui renseigne dument sur les motivations qui président à la stratégie sécuritaire de son pays en Afrique, hier comme aujourd'hui ainsi qu'aux recommandations émises par un certain nombre de consultants de l'hexagone sur la question. Il est édifiant d'écouter l'ex-patron de la DGSE continuer à appuyer l'Algérie en tant que « LA » puissance régionale incontournable dans la lutte anti-terroriste ainsi que les deux accords moribonds d'Alger pour les raisons objectives que tout le monde connaît : globalement car signés uniquement par des groupes armés ne représentant qu'eux-mêmes, au détriment des populations censées bénéficier de l'accord. Mais que Juillet explique par le refus catégorique du gouvernement central malien d'appliquer sans plus de détails. Il est significatif qu'un ex-patron de la DGSE qui semble être féru d'histoire du Maroc puisqu'il parle dans son allocution « du royaume de Fès qui s'étend jusqu'au fleuve Sénégal » omette les événements contemporains, les renseignements et l'aide que les services sécuritaires marocains ont octroyés à son pays. En 2011, l'affaire d'Amgala, qui a permis d'appréhender Hicham Debja (en relation avec l'émissaire Nourredine Lyoubi au Sahel au Mali), a été traitée par les services sécuritaires du Maroc. En 2014 à Gao au Mali, Ahmed Al-Tilemsi, haut responsable du groupe jihadiste sahélien Al-Mourabitoun (né de la fusion de son mouvement MUJAO et de moulathamoun "enturbannés" deMokhtar Ben Mokhtar) acquis à AQMI, a été tué dans une opération des forces françaises. C 'est grâce au renseignement marocain que les Français ont pu l'appréhender. En 2019, Ali Maychouen a été neutralisé au Mali et ce, grâce à la coordination entre les services marocains et français. Considéré comme le numéro 2 du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), une organisation djihadiste reliée à Al-Qaïda, il a été abbattu par les forces françaises au Mali. Depuis 2008 jusqu'à nos jours, le Maroc a démembré des cellules du polisario actives au Sahel (pour l'EIGS et AQMI) et arrêté 100 combattants, visant la MINURSO, des personnes ou missions humanitaires et de la société civile, des institutions françaises, mais aussi américaines, espagnoles, nigériennes, burkinabés et maliennes. Et la liste est loin d'être exhaustive. Il est également intéressant de l'écouter exprimer son soutien inconditionnel à l'Algérie par la connaissance qu'a Alger des groupes armés islamistes et son expérience dans sa lutte contre le FIS et les GIA intramuros, avec une concession toutefois : Juillet reconnait à l'Algérie de les avoir seulement (pour ne pas dire dangereusement) repoussés hors territoire vers le Sud jusqu'au Mali, leur permettant ainsi de se multiplier et se transformer en AQMI, de donner naissance au JNIM et autres katibas islamistes violentes dont le Mouvement pour l'Unicité et le Jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). Il n'empêche, en filigrane l'on comprend que pour Juillet c'est à la France (au vu des raids qu'elle a menés dans la zone) de prendre le relais de son ancien département pour cueillir les islamistes et groupes islamistes qui sont nés algériens et ont contracté pour se multiplier et se renforcer des alliances ou encore ont fusionné avec d'autres branches islamistes violentes. Pour cela, l'on saisit que la France, forcée de retirer ses troupes du Mali et du Burkina Faso, a besoin de l'appui algérien. Campé sur la stratégie française d'antan qui a prouvé tout au long de la décennie passée sa faillite dans la stabilisation de la région ou du moins dans les pays où ses troupes étaient installées, l'exposé de Juillet n'était pas sans rappeler la note thématique de juin 2013 élaborée par la Direction Générale des Politiques externes du Parlement européen. En effet, celle-ci indique, par rapport au soutien à la présence internationale au Sahel que « l'Algérie joue un rôle ambivalent dans la région». A l'époque, la note du Parlement européen soulignait que « certaines personnes font également observer que le DRS emploie des méthodes peu orthodoxes dans ses activités de lutte contre le terrorisme, dont l'infiltration des groupes terroristes, la politique algérienne de lutte contre le terrorisme, délibérément intransigeante, résulte de son expérience en matière de conflit armé intérieur qu'elle a acquise au cours des années 90 ». Comme si ce mode opératoire engendrait l'éradication du problème. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts : les anciens GIA se sont métamorphosés en se renforçant (comme on l'a vu plus haut), le budget et la puissance militaires ne sont plus suffisants pour déterminer la volonté de lutte antiterroriste au Sahel et le rôle de l'Algérie s'est fortement amenuisé au profit du Maroc qui lui, a éradiqué la menace terroriste sur son territoire tout en s'assurant qu'elle ne naisse pas de ses cendres au Sud et tout en prônant vigilance et échanges sécuritaires pour prévenir les attaques terroristes. En effet, le cours des événements a montré la continuité du rôle ambivalent, voire opaque, de l'Algérie rendu effectivement possible par sa connaissance des groupes terroristes, de leurs modes opératoires et des activités criminelles au Sahel (mais en Libye aussi) ; à titre d'exemple : sa grande permissivité concernant les entrées à volonté d'Iyad ag Ghali sur son territoire. Et ce, sans partager l'information avec la coalition de lutte anti-terrorisme, entravant de fait son arrestation. Le cours des événements a également montré que l''espoir de voir l'Algérie soutenir par un rôle clair et sans faille la France et autres coalitions internationales est resté presque intact. Seule la France ou certains de ses experts et médias officiels continuent cependant d'y croire inconditionnellement, pendant que le reste du monde s'ouvre à d'autres Etats aux stratégies de lutte antiterroriste et anti crimes organisés transparentes. Chercher à amadouer ou appâter l'Algérie pour une présence réelle sur le terrain et des partenariats stratégiques en retour n'est pas nouveau. Ce soutien sans faille (oral du moins) à un leadership en matière de lutte antiterroriste en Afrique, contre un appui franc à la France au Sahel et en Afrique de l'Ouest n'est pas nouveau non plus comme ne l'est pas l'appât de la réconciliation mémorielle à la sauce algérienne, toujours en suspens comme un sucre d'orge et alimenté par des mises à jour (bien sur incomplètes et donc insatisfaisantes pour Alger) à chaque mandat présidentiel français -le dernier en date étant le rapport Stora. Le désormais expert/consultant français concède cependant l'échec de la France et peine à trouver des effets stabilisateurs aux opérations de Barkhane. Chose que l'indice mondial du terrorisme explique, arguments d'autorité à l'appui puisque des groupes comme le JNIM sont passés du terrorisme à l'insurrection, augmentant leurs activités et la létalité de leurs campagnes. La situation est différente dans d'autres pays de la région où la France est restée présente comme au Tchad et au Niger, car elle n'opère qu'en liaison avec les armées nationales. Faits et témoignage personnel d'expert à l'appui, Paul Kananura l'a ensuite académiquement corrigé sur la véracité, l'ampleur et la gravité des conséquences de certaines actions et stratégies de l'ancien colon (ainsi que parfois de l'assistance de la communauté internationale). Il a également posé la question du financement du terrorisme qui reste entière, du soutien international sincère ainsi que de l'inexistence du « service après-vente politique » après les raids contre les chefs extrémistes menés par la France principalement. Une chose est sure est que la France entend peser de tout son poids pour maintenir sa présence sécuritaire et ses intérêts stratégiques au Sahel et en Afrique de l'Ouest. Cependant, ce que ce pays n'a pas réussi au Sahel, en s'installant pourtant dans des pays vulnérables, comment le réussira-t-il dans le golfe de Guinée où ses troupes se sont redéployées ? La stratégie des raids sans renforcement de la gouvernance ni autonomisation des populations a montré ses limites. L'acceptation par les populations et les gouvernements locaux des intérêts politico-stratégiques de puissances mondiales et a fortiori celle de l'ancien colon sous le sceau sécuritaire a elle aussi montré ses limites avec la fin de Barkhane et celle programmée de la MINUSMA.