«Le système politico-militaire algérien s'est construit sur une rente mémorielle. On voit que le système algérien est fatigué, le Hirak l'a fragilisé. J'ai un bon dialogue avec le président Tebboune, mais je vois qu'il est pris dans un système qui est très dur», ces paroles de Macron, prononcées en 2021, empoisonnent toujours les relations entre Paris et Alger. D'après des informations médiatiques, Abdelmadjid Tebboune devait originellement se rendre en France les 2 et 3 mai avant de reporter sa visite. Pour Le Figaro, «on ne réussit jamais à changer en profondeur un pouvoir dictatorial. Soit il s'effondre, soit il demeure tel qu'en lui-même, ou il devient pire qu'il n'était.» «Il ne s'agit donc que d'un énième contretemps dans une relation bilatérale construite sur le principe même de l'impossible duo. En effet, derrière la question protocolaire se cache un imbroglio d'hésitations. Il dit la confusion d'une diplomatie élyséenne qui n'arrive plus à trouver le ton juste entre realpolitik et défense des valeurs démocratiques», note le journal français dans une analyse au vitriol qui fait intervenir plusieurs poids lourds politiques. Paris et Alger ont tourné, paraît-il, la page de la dernière crise diplomatique entre les deux pays. Au cours d'un entretien téléphonique le 24 mars, les deux chefs d'Etat, impopulaires, avaient levé des «incompréhensions» liées à une brouille autour d'une militante franco-algérienne. Malgré une interdiction de sortie du territoire en Algérie, cette militante, Amira Bouraoui, était entrée en Tunisie le 3 février, avant d'être interpellée au moment où elle tentait d'embarquer en direction de Paris. Elle avait finalement pu partir en avion vers la France le 6 février malgré une tentative des autorités algériennes de l'arrêter. Alger avait jugé que son départ pour la France constituait une «exfiltration illégale» effectuée avec l'aide de membres du personnel diplomatique et sécuritaire français et avait rappelé son ambassadeur à Paris pour consultation. Pour Le Figaro, «la réconciliation avec l'Algérie est l'utopie diplomatique du second quinquennat. Le prix de cette réconciliation, le président français s'en est persuadé, est de vider la querelle de la colonisation afin d'ouvrir une coopération qui débouchera sur la stabilisation de la société civile algérienne et un meilleur contrôle du flux migratoire.» Le Hirak, méprisé par les deux pays «Pour la très grande majorité des Algériens, le problème n'est plus la colonisation: c'est soixante ans de dictature du FLN qui ont gâché les chances d'une décolonisation heureuse» résume Samir Yahiaoui, représentant du Hirak à Paris, cité par le journal. «C'est bien simple, tout le monde regrette les années Bouteflika!» lance Yahiaoui. «Cette semaine, une résolution du Parlement européen en faveur de la liberté de la presse en Algérie a été discrètement empêchée par plusieurs députés européens proches d'Emmanuel Macron», reconnaît Le Figaro. «Je suis stupéfait de voir jusqu'où va la déférence française à l'égard d'un pouvoir algérien qui est sans doute le plus francophobe depuis très longtemps», avance Yahiaoui. «Nous sommes face à un Etat qui ne veut rien changer, car il doit protéger les chaînes de corruption, or, plus la société s'ouvre vers des coopérations avec l'extérieur, plus la corruption est dévoilée et fragilisée», renchérit Jean-Louis Levet, écrivain spécialiste des questions africaines. Mépris phénoménal «Je n'ai jamais vu des responsables politiques mépriser à ce point leur peuple», confirme au Figaro l'ancien premier ministre Manuel Valls à propos de ses contacts avec ses homologues, dont Tebboune lui-même, qui a été un ministre de Bouteflika pendant toutes ces années. «Face à cela, la ligne sinueuse d'Emmanuel Macron paraît bien embrouillée, maladroite et sans résultat tangible.»«Je suis perplexe face aux changements de pied du président. En 2017, il dit que "la colonisation est un crime contre l'humanité" ; en 2021, il stigmatise "un appareil politico-militaire qui vit de la rente mémorielle" ;en 2022, il accepte l'invitation de ce même pouvoir pour une visite officielle, et il envoie son premier ministre deux mois plus tard pour les travaux pratiques, puis il explique en janvier dans son interview au Point qu'il n'a pas vraiment prononcé la phrase rapportée par Le Monde sur "la rente mémorielle", tout en martelant: "Je n'ai pas à demander pardon, le seul pardon collectif que j'ai demandé, c'est aux harkis"», dit un diplomate de haut rang cité par Le Figaro. Enjeux géopolitiques Le contrôle du Sahel? «Jamais l'armée algérienne n'y mettra les pieds. Elle ne sait faire qu'une chose, c'est réprimer son peuple, et la doctrine du FLN depuis 1962 est de ne pas empiéter sur la souveraineté des autres», pointe Kader Abderrahim, auteur de Géopolitique de l'Algérie. Maintenant, avec le Maroc, les choses vont de mal en pis : «Il ne faudrait pas qu'Emmanuel Macron oublie qu'il y a 80.000 Français au Maroc, et 38 entreprises du Cac 40. L'enjeu économique pour la France, c'est le Maroc», relève Kader Abderrahim. «En revanche, la haine de la France fait recette en France, chez les Français d'origine algérienne, et il serait heureux, mais vain, d'espérer que le régime tenu par le FLN reconnaisse qu'il a lui aussi mené une sale guerre contre les siens, et surtout qu'il admette toutes les occasions manquées d'offrir à son peuple les bienfaits du développement», a-t-on noté. L'ex-conseiller de Nicolas Sarkozy à l'Elysée Henri Guaino est amer, lui-aussi : «J'ai fini par comprendre qu'avec ce régime on ne sait qu'une chose: on ne peut pas s'y fier», nous dit-il. L'armée algérienne fait ce qu'il faut pour garder le pouvoir, et Abdelmadjid Tebboune est son serviteur, d'où son surnom de «monsieur trois quarts président».